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DR. ISSIAKA KONÉ: « L’asphyxie atteint 30 à 34% des nouveau-nés »

  1. ISSIAKA KONÉ, PÉDIATRE AU CSREF DE LA CV

« L’asphyxie atteint 30 à 34% des nouveau-nés »

Selon les explications de notre interviewé, Dr. Issiaka Koné, pédiatre au CSREF de la commune V, l’asphyxie est une pathologie assez fréquente chez les nouveau-nés. Au Mali, elle est l’une des causes d’anomalies neuro-développementales chez les enfants, et est aussi l’une des trois principales causes de morbidité et de mortalité des nouveau-nés.

Les Echos : Pouvez-vous nous édifier sur l’asphyxie chez les bébés ?

Dr. Koné : L’asphyxie chez le nouveau-né, c’est tout enfant qui, à la naissance, a des manifestations liées à un manque d’oxygène dans les organes. Cette manifestation est constatée avant, pendant ou immédiatement après la naissance. On parle alors de difficultés à s’adapter. Cliniquement, cela concerne des bébés qui n’ont pas crié à la naissance ; ce qui représente le premier signe d’une mauvaise adaptation. En gros, c’est ce qu’on appelle l’asphyxie. Ce sont des bébés qui ont manqué d’air à une phase quelconque du travail d’accouchement ou juste après l’accouchement. En termes d’hospitalisation, je dirais que l’asphyxie atteint 30 à 34% des nouveau-nés, selon les études hospitalières. Ce qui est vraiment énorme.

Les Echos : Quelles peuvent être les causes de cette anomalie ?

Dr. Koné : Les causes de l’asphyxie sont multiples. Mais, de façon simple, il y a des causes maternelles, fœtales et funiculaires. Les causes maternelles sont des causes mécaniques (liées au bassin), pré-éclampsie, infections, grossesses post-terme. Pour les causes fœtales, il peut s’agir de prématurité. Pour les causes funiculaires, il peut s’agir de circulaire du cordon, de procidence du cordon.  Souvent, l’asphyxie peut survenir dans un contexte de grossesses multiples c’est-à-dire les grossesses avec deux ou trois bébés peuvent être causes de cette pathologie.  Aussi, les bébés macrosomes, c’est-à-dire qui sont trop gros par rapport au poids normal, peuvent poser un problème de sortie à travers les voies génitales maternelles, pouvant alors entraîner l’asphyxie. Un autre contexte n’est pas à négliger : c’est celui des infections ; celles-ci occupent une part importante dans la survenue des cas d’asphyxie. De façon schématique, ce sont les quelques grandes causes qui peuvent expliquer la survenue des cas d’asphyxie chez l’enfant à la naissance.

Les Echos : Le risque de mort lié à l’asphyxie est-il élevé chez les enfants ?

Dr. Koné : L’asphyxie est l’une des trois principales causes de morbidité et de mortalité chez les enfants à travers le monde. Dans le contexte malien, elle est beaucoup plus importante du fait que d’abord nos services ne sont pas aussi développés ; ils n’ont pas le matériel adéquat pour la prise en charge correcte des bébés pris d’asphyxie. Egalement, tout bébé qui fait une asphyxie, a un risque élevé de séquelles, vu que ça a un impact beaucoup plus important sur le cerveau et son développement. Quand on parle d’asphyxie, ça veut dire que c’est l’organisme qui a manqué d’air, et principalement le cerveau est très sensible à cela. Or, tout le fonctionnement du corps est essentiellement dépendant du cerveau. Donc, l’asphyxie joue beaucoup plus sur le cerveau de ces bébés. Ce qui fait qu’en termes de morbidité et de mortalité, elle est importante parce que la prise en charge est difficile dans notre contexte. Ainsi, l’asphyxie est soit la première ou la deuxième cause de mortalité et de morbidité dans les services de néonatologie au Mali, selon les études hospitalières réalisées.

Les Echos : Vous dites que la prise en charge de l’asphyxie néonatale est assez problématique dans notre pays. Y a-t-il tout de même des centres spécialisés en la matière ?

Dr. Koné : Il y a des services spécialisés pour la prise en charge des enfants souffrant d’asphyxie. Par exemple, il y a le CSREF de la commune V. Nous y avons un service de Néonatologie. La prise en charge des bébés qui n’ont pas un mois de vie entre dans ce cadre-là. Pratiquement, dans presque tous les CSREF de Bamako, aujourd’hui, nous avons un service de prise en charge des nouveau-nés. Mais le hic est que le plateau technique pose problème parce que pour prendre correctement en charge ces enfants, il faut des matériaux assez sophistiqués dont nous ne disposons pas. Et même si nous les avions, les coûts seraient difficilement supportables pour les parents présentement. Selon notre expérience de praticien, la prise en charge des nouveau-nés concernés par l’asphyxie nécessite un séjour d’hospitalisation assez long. Ces bébés-là sont hospitalisés 7 jours au minimum. Parfois même, il faut deux semaines voire un mois d’hospitalisation pour que ces bébés puissent avoir une certaine autonomie. Sachant les conditions économiques de plusieurs parents maliens, la prise en charge devient du coup difficile.

Les Echos : Peut-on avoir une idée du coût ?

Dr. Koné : Dans la plupart des cas, après 72 heures d’hospitalisation, les parents commencent à se plaindre du coût élevé. Sachant que les bébés atteints d’asphyxie sont des enfants qui ne peuvent pas se nourrir d’eux-mêmes, ils ont besoin de sérums pour les aider et aussi de pas mal de médicaments. Le coût moyen de l’ordonnance par jour tourne autour de 5000 FCFA, ce qui devient une charge énorme pour les parents dont la plupart a surtout des revenus modestes. Imaginez ! s’il faut hospitaliser l’enfant pendant 10 ou 30 jours. C’est pourquoi, faute de moyens, certains parents décident de rentrer à la maison alors même que l’enfant n’a pas bien récupéré. Les médecins se débrouillent souvent pour aider ces parents, vu que le bébé en a besoin.

Les Echos : Existe-t-il un moyen de prévenir cette maladie ?

Dr. Koné : Oui. Depuis les consultations prénatales, la femme doit suivre toutes les indications. Cela permet aux obstétriciens de savoir si elle est en risque de faire face à l’asphyxie, et donc, prendre les mesures adéquates qui s’imposent pour l’éviter. Par exemple, avec les femmes qui ont des problèmes de bassin et qui sont dépistées au dernier mois de la grossesse, ça permet de prendre une décision : soit de faire une césarienne, soit autre chose. Ou bien d’être plus prudent avec cette dame pendant le travail d’accouchement. Je dirais que c’est la clé de voûte pour amoindrir les risques. La deuxième chose concerne la qualité de formation des agents et surtout l’équipement de nos structures en matériel adéquats.  Certes, nous avons certains moyens, mais on peut mieux faire pour minimiser les risques. Dans les pays qui ont beaucoup plus de moyens, l’asphyxie est détectée très tôt, avant même que les dégâts ne commencent à s’installer dans le cerveau.  Ce qui permet aux uns et aux autres d’intervenir rapidement pour minimiser les conséquences qui sont liées à ce mal. Après la naissance, les moyens de suivi doivent être beaucoup plus renforcés. Avec un suivi renforcé, une femme peut avoir des difficultés juste après l’accouchement ; mais le bébé peut ne pas manifester de signes d’asphyxie dans les minutes qui suivent. Si les moyens de suivi sont renforcés, effectivement, cela permet de bonifier le traitement et de pouvoir faire quelque chose pour améliorer la survie des bébés.

Les Echos : Pouvez-vous nous parler des signes de la maladie ?

Dr. Koné : Les premiers signes de la maladie sont observés juste après la naissance. Par exemple, les bébés qui n’ont pas crié après leur naissance. C’est le premier signe de mauvaise adaptation. Ensuite, nous avons un score que nous évaluons. Ce score est appelé le Score d’Apgar (la respiration, la fréquence cardiaque, la réactivité, le tonus et la coloration). Ce score nous permet de dire de façon plus concrète si le bébé ne s’est pas bien adapté, s’il a fait une asphyxie ou pas. Dans les centres qui disposent de beaucoup plus de moyens, on fait des prélèvements sanguins pour analyser plus profondément cette maladie. Mais nous n’avons pas ces moyens. Nous nous limitons principalement au fait que le bébé n’a pas crié et au score d’Apgar ainsi d’autres signes tels que les convulsions, les réflexes archaïques etc. ; pour nous permettre d’avoir une idée sur la bonne adaptation ou pas des bébés.

Les Échos : Quelles sont les différentes formes d’asphyxie ?

Dr. Koné :  Il y a l’asphyxie proprement dite et les conséquences de l’asphyxie. Les conséquences sont généralement appelées l’encéphalopathie anoxo-ischémique. C’est lorsque le bébé ne s’est pas bien adapté à la naissance et que cette mauvaise adaptation a eu un impact sur son cerveau, et qui se manifeste par certains signes neurologiques comme le manque de succion, les convulsions… (en bambara, on dit « Kono ye dén minen » c’est-à-dire la maladie de l’oiseau). Il y a l’hypotonie, le coma. En d’autres termes, les bébés qui deviennent trop mous, trop flasques voire immobiles, contrairement à un bébé bien portant qui est tonique et crie partout. Ils peuvent avoir des problèmes de respiration et de digestion. Donc, voilà ! ce sont des complications résultant de l’asphyxie. Mais, l’encéphalopathie est la forme la plus grave de l’asphyxie.

Les Échos : Quelles peuvent être les conséquences sociales pour l’enfant ?

Dr. Koné : Les conséquences peuvent être énormes. Les médecins peuvent bien aider l’enfant à survivre. Mais, selon les circonstances, on ne peut pas empêcher la survenue de certaines séquelles. Le plus souvent, ces séquelles sont neurologiques. La forme la plus connue est ce qu’on appelle IMC. Il y a aussi les retards de développement psychomoteur. Les enfants victimes de ces maladies vont mettre plus de temps à marcher et à parler. Ils prennent du retard dans les différentes phases de leur développement. Par exemple, un enfant doit pouvoir tenir sa tête deux mois après sa naissance ; pour s’asseoir, il faut à l’enfant entre 6 et 9 mois. Mais les bébés qui souffrent de ces séquelles, eux vont mettre plus de temps pour y parvenir. Un enfant doit pouvoir se mettre debout et commencer à marcher entre 10 et 11 mois ; or, ces bébés ayant eu l’asphyxie mettront plus de temps ; souvent   même, ils pourront avoir besoin d’un accompagnement pour y parvenir.  Il y a aussi l’épilepsie, les conséquences cognitives, les aléas sur l’intelligence de l’enfant. Comme conséquence sociale : le risque est très grand qu’on ait des enfants peu performants à l’école. Un autre aspect social du problème est ceci : par exemple, les enfants qui souffrent de retard psychomoteur peuvent avoir, même à 15 ou 16 ans, des difficultés de relations aux autres, même au sein de la famille.

Les Échos : Peut-on dire qu’ayant été affecté par l’asphyxie à la naissance, un enfant risque de voir son espérance de vie en pâtir ?

Dr. Koné : Je n’ai pas connaissance d’études spécifiques par rapport à l’espérance de vie sur ce sujet précis. Nous n’avons pas de suivi de ces enfants à long terme. Nous parvenons à les récupérer, à les soigner. Après leur sortie d’hospitalisation, nous ne continuons pas de les suivre à long terme.   Or, c’est ce qui aurait pu nous permettre de connaître leur espérance de vie et les autres conséquences liées à leur état. Généralement, ce sont des enfants qui ont de grosses difficultés de santé tout le temps. Ils souffrent de beaucoup de maladies telles que les problèmes respiratoires pendant leur adolescence jusqu’à l’âge adulte.

Les Échos : Quel est votre mot de la fin ?

Dr. Koné : Il est très important d’investir dans la santé des nouveau-nés. On parle beaucoup de la réduction de la mortalité infantile. Mais, jusque-là, les moyens financiers ne suivent pas les politiques tracées.  Les politiques décident mais les moyens ne suivent pas. Au Mali, nous commençons à avoir plusieurs spécialistes dans le domaine de na néonatologie, ce qui réjouissant. Mais comprenons ceci : le spécialiste ne peut rien faire sans moyens. Nous avons besoin d’accompagnement financier et technique pour pouvoir assurer de manière adéquate le traitement de ces enfants. Ce qui permettra à coup sûr la réduction de la mortalité infantile.

Propos recueillis par Siguéta Salimata Dembélé

Source: Les échos Mali

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