Lors de son séjour à Doha, au Qatar, le Dr Choguel Kokalla Maïga a accordé une interview à nos confrères de la chaîne arabe Al Jazeera. En voici la quintessence.
Comment décrivez-vous votre relation avec les autorités de l’Union africaine, après le dernier sommet le Mali est toujours suspendu ?
Vous savez, notre ministre des Affaires étrangères accompagné de ses deux homologues de la Guinée et du Burkina-Faso ont été à la réunion de l‘Union africaine, je crois qu’ils ont tout expliqué, et du compte rendu qui nous a été fait, beaucoup de chefs d’État ont bien compris la position du Mali. Maintenant, les déclarations qu’ils ont été prises après, nous le pensons, n’auront pas d’influence parce que nous sommes déterminés à aller dans le sens que veulent nos peuples. Les peuples disent aujourd’hui la priorité pour eux, c’est la lutte contre le terrorisme, la lutte pour la sécurité et parallèlement nous faisons les réformes politiques et institutionnelles pour retourner à l’ordre constitutionnel. Maintenant tout le reste, tout le lobbying qui se fait au niveau sous régional, ça c’est une autre affaire. Ceux qui viennent chez nous comprennent que c’est complètement différent de ce qui a été dit dans les différents rapports. La preuve, le président de l’Union africaine, Moussa Faki, était arrivé au Mali, il y a quelques semaines, je crois quelques jours avant le sommet de l’Union africaine, si vous regardez son discours après avoir passé en revue la situation sur le terrain, son discours est proche de la réalité que la reconduite des constats.
Comment souhaitez-vous faire améliorer cette relation avec l’Union africaine ?
Nous avons décidé de nous assumer d’abord, continuer à faire ce que nos peuples demandent pour ce faire approuver par ces peuples, et parler avec nos partenaires et à l’Union africaine, à tous nos amis dans le monde, raffermir nos relations avec les pays qui nous comprennent et nous soutiennent. Nous sommes certains que sur le long terme nous aurons raison, parce que la vérité finira toujours par triompher avec le retour progressif de la paix et l’organisation du processus de transformation de nos états.
Quelles sont vos attentes de la part de ces institutions africaines surtout à la lumière de la situation économique et sécuritaire au Mali ?
Vous savez, en Afrique, on a appris à faire comprendre que sans les institutions, sans l’extérieur on ne peut rien faire. Au Mali, nous avons inversé cette situation, je crois dans les pays qui nous entourent aussi. Vous savez que c’est le même pays, les mêmes militaires, le même terrorisme, il y a deux , trois ans, la situation était pire que cette année : des camps militaires entiers tombaient, des villages étaient rasés, ce système est bloqué aujourd’hui, notre armée a pris l’initiative, elle monte en puissance. Qu’est ce qui a changé, c’est le leadership, nous avons un nouveau chef d’État qui a une vision très claire. Par étape priorité d’abord : la sécurité ; deuxième étape : sécurité alimentaire, sécurité sanitaire, sécurité d’aller et revenir, parallèlement organiser le processus de transition vers des institutions constitutionnelles et non pas l’inverse. Certains auraient voulu que nous continuions à parler seulement du retour des institutions, nous avons dit que ça ne peut pas marcher, nous avons fait trente ans d’élections, et pendant ces trente ans, il y a eu plus de deux à trois coup d’État. Il y a d’autres pays d’Asie, par exemple l’Afghanistan, ils ont fait 20 ans là-bas, un jour ils ont décidé de partir, ça veut dire qu’il faut laisser les peuples décider de ce qu’ils doivent faire. Personne de l’extérieur ne peut imposer un ordre dans un pays. Seuls les fils du pays doivent connaitre les problèmes, et l’ordre prioritaire dans lequel ils doivent régler les problèmes, c’est à cela que nous nous sommes attachés, c’est le grand tort[AMN1] des autorités maliennes. Avant il y avait des autorités qui étaient félicitées, le Mali était cité en exemple, mais si vous demandez à la population , elle était désespérée. Aujourd’hui les terroristes n’ont plus sanctuaire, ils n’ont plus de base militaire dans notre pays, aujourd’hui la peur a changé de camps.
Tout a changé comme vous venez de le dire votre excellence, vous voulez entendre ce que le peuple veut, alors parler nous du référendum qui devait prendre place la troisième semaine de ce mois, est-ce que vous allez organiser ce référendum comme prévu ?
Le référendum sera organisé conformément au projet de constitution que le Président va soumettre à la population, il sera organisé Inchallah.
Jusqu’à présent les institutions électorales n’ont pas été convoquées?
Vous savez, nous avons mis en place un organe indépendant d’organisation des élections, cet organe est totalement indépendant, c’est lui qui déterminera le rythme auquel il va travailler, et qu’est-ce qui va être fait quand, ça relève de son autorité. Ce que nous devons faire au niveau de l’exécutif, c’est de préparer tous les textes législatifs, règlementaires, y compris le projet de constitution et nous tenir prêts, à tout moment, lorsque l’organe chargé d’organiser les élections nous dit de déclencher le processus. Donc l’exécutif, le parlement, le Président se tiendront prêts et se mettrontà la disposition de l’organe chargé d’organiser les élections qui est indépendant.
Votre excellence, vous avez renoncé à la coopération avec la France, qu’elle est votre évaluation de cette mesure et des conséquences sur le terrain ?
Je voudrais rectifier, nous n’avons pas renoncé à cette coopération, c’est la France, disons les dirigeants français, qui ont voulu imposer à notre pays ce qu’il faut faire, ce qu’il faut penser, ce qu’il faut dire. Nous avons dit que cette époque est révolue. C’est notre pays qui choisit ses dirigeants, son gouvernement, et choisit ses partenaires. On dit qu’on ne choisit pas ses parents et ses voisins, mais on peut choisir ses partenaires. Ce sont les Français qui ont décidé parce qu’il y a un gouvernement qui ne leur convient pas. Ce sont eux qui ont décidé de partir après l’installation du Président et du Premier ministre, nous leur avons dit partez. Je veux rectifier, ce sont eux qui ont décidé de partir en imaginant qu’on va venir les prier de rester. Nous nous avons dit qu’on ne priera personne.
En fait, vous avez renoncé à ces accords ?
Quand vous demandez de partir, on vous dit de venir, vous décidez de partir sans nous aviser, on apprend par les médias ou dans une réunion que vous avez décidé de partir, c’est ce que nous avons appelé abandon en plein vol. A partir de ce moment, nous avons tiré les conclusions, les bonnes pour notre peuple.
Quelles sont les conséquences de la sortie de la France du Mali ?
Vous savez, nous, nous avons fait une analyse objective de la situation historique et politique dans le monde. Nous avons constaté que le terrorisme était confiné à l’extrême nord du pays. Lorsque les autorités Mali ont fait appel à l’État français, le Président de France d’alors, François Hollande, avait déclaré que l’intervention française poursuivait trois objectifs : détruire le terrorisme, instaurer l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire, et appliquer les résolutions du système des Nations-Unies. Je crois qu’il l’a confirmé ici au Qatar lors d’un voyage en 2014. Mais 9 ans après, le terrorisme qui était confiné au nord du Mali a pris 80% du territoire. L’autorité de l’État du Mali n’est toujours pas installée dans une enclave créée par l’État français. Parce que lorsque notre armée a libéré tout le pays avec l’appui aérien de la France, il y a une enclave où l’armée française a interdit que l’armée malienne n’entre. Cette enclave a servi de sanctuaire pour le terrorisme pour aller s’organiser et revenir. Donc le terrorisme n’a pas été vaincu, l’autorité de l’État n’a pas été restauré au pays, les résolutions changent à chaque session. Deuxième chose, nous avons des informations précises que certains actes terroristes sont en contact avec les français, on a les preuves. Troisièmement, nous avons regardé dans le monde, nulle part ce qu’on appelle la communauté internationale seule n’a apporté la paix dans un pays. Je viens de citer le cas d’un pays asiatique où pendant 20 ans on organisait des élections, et un jour ils ont décidé de partir, les populations se sont accrochées au train d’atterrissages de l’avion. Au Mali les militaires, des officiers patriotes qui étaient sur le terrain pendant la moitié de leur vie sont revenus avec les contestations qui étaient dans le pays pendant quatre mois pour changer la donne et dire d’abord : « restaurons la sécurité et ensuite organisons les élections », les Français ont dit non. Nous avons décidé de choisir un partenaire qui ne nous fera pas chanter.
Excellence ce partenaire c’est la Russie n’est-ce pas ?
Exactement c’est la Russie, c’est connu, mais la Russie n’est pas notre seul partenaire. Comme les Français parlent beaucoup de la Russie, on en parle aussi. Nous avons choisi trois principes à partir desquelles un pays peut être ami du Mali :
respecter notre souveraineté, on ne peut pas dicter à nos autorités ce qu’elles doivent faire,
le Mali doit avoir le libre choix de son partenariat stratégique ,
et enfin, dans toute action publique, il faut se poser la question en tête quel est l’intérêt du peuple malien.
L’Union Européenne et les Etats-Unis expriment leur souci de la présence de Wagner de Russie, pensez-vous que c’est légitime ?
Ces soucis ne sont pas légitimes, il faut les relativiser. Nous notre priorité, c’est de sécuriser notre population. Pendant qu’on est en train de nous massacrer par centaines, on ne peut pas venir nous parler d’autre chose. En Afrique, il y a un dicton qui va vous faire rire. Un cabri déjà mort, qu’on le brûle ou qu’on le mette au frigo, qu’est-ce que ça change pour lui. Nos populations et nos militaires sont en train d’être tués, les autres sont dans les débats académiques. On achète un avion de transport de troupe aux Etats-Unis, on fait un an nous ne pouvions pas rentrer en possession de notre avion, on tue nos troupes dans un camp militaire, on ne peut pas apporter du soutien parce que c’est la communauté internationale qui doit donner l’avion de transport, on ne pas l’avoir. Logiquement, si nous avons décidé de prendre notre destin en main, nous travaillons avec celui contre lequel personne ne peut faire de pression. Aujourd’hui, nous avons équipé notre armée. En une année plus que les trente dernières années, c’est grâce avec la coopération avec la Russie, la peur a changé de camp, c’est avec la coopération avec la Russie et d’autres partenaires notamment la Chine, la Turquie et d’autres. Nous disons que notre priorité c’est notre peuple. J’ai expliqué aux ambassadeurs qui sont dans notre pays, ils ne sont pas dans un combat qui n’est pas le leur. Il y a un état qui fait du lobbying aux Nations Unies uniquement pour mettre du bâton dans les roues du Mali, ce État est connu.
Cette coopération avec la Russie, quels sont les résultats surtout au niveau sécuritaire ?
Les résultats, je viens de vous le dire : d’abord la peur a changé de camp, avant le début de notre coopération avec la Russie il y a des villages entiers qui étaient tués par des soi-disant musulmans. Vous savez l’islam c’est la religion dominante chez nous, plus 95% de musulmans, l’islam est chez nous depuis plus de mille ans. On massacrait des camps entiers, des camps construits par la communauté internationale. Aujourd’hui, nous avons des avions de combats, de transports, des drones, aujourd’hui on ne peut pas venir s’attaquer aux camps. Pour aller là où nous voulons, nous n’avons pas besoin de l’injonction d’un pays étranger, c’est tout ce que nous avons demandé.
Propos transcris par Macki Niang
Le Sphinx