L’exercice ‘‘démocratique’’ a eu lieu au Centre international de conférence de Bamako (CICB). Le chef du gouvernement était, jeudi dernier, face aux conseillers nationaux pour faire l’état de la mise en œuvre du Programme d’action gouvernemental (PAG), présenté en août 2021 devant le Conseil national de transition, organe législatif qui fait office de l’Assemblée nationale. Dix (10) mois après la rectification, l’on se rend compte que les jalons d’un Mali Koura n’ont jamais été lancés.
Ça y est. Le changement rêvé par nos compatriotes avant et après la chute du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est enterré à jamais. C’est ce qui ressort de l’interpellation du Premier ministre Dr Choguel Kokalla Maïga devant le Conseil national de transition (CNT). Il a été constaté que dix mois après l’arrivée des hommes de la rectification au gouvernement, le rêve n’est jamais devenu une réalité sur aucun dossier brûlant pouvant annoncer le début de la refondation. Chargé de conduire ce processus pour l’avènement d’un autre Mali, appelé par nos concitoyens Mali Koura, le chef du gouvernement tourne en rond.
Certes, le régime d’IBK, incarné par la mauvaise gouvernance émaillée de scandales politico-financiers, n’était plus en mesure de répondre aux aspirations profondes du peuple malien, mais la transition, qui s’est installé à sa place avec l’espoir de mettre de l’ordre dans le pays, ne fait pas mieux que lui. Elle conduit inéluctablement le pays vers une destination inconnue aux conséquences imprévisibles. Elle s’est éloignée des attentes des citoyens maliens en maintenant et en consolidant les mêmes mauvaises pratiques de travail, de gouvernance et de gestion calamiteuse des ressources humaines du régime déchu. Et tout porte à croire qu’elle maintient le peuple malien dans une sorte d’immobilisme pour qu’aucun changement véritable ne voie le jour pour faire oublier aux Maliens la gabegie des trente dernières années de gestion opaque démocratique du pays par des acteurs du Mouvement démocratique qui avaient promis monts et ciel aux Maliens, en mars 1991.
La mort dans l’âme
Le pot aux roses a été découvert le 21 avril 2022. Le passage du Premier ministre devant le CNT a sonné comme un tocsin pour ceux qui ne veulent pas voir la réalité en face. Il est révélateur à plus d’un titre que le pays ne bouge pas dans le sens souhaité par les masses laborieuses qui ont contribué à la chute du président IBK pour la naissance d’un Mali émergent. Il est clair que le chef du gouvernent de la transition n’a rien entrepris pour mettre le pays au travail et tourner définitivement la page de la pègre démocratique qui s’est emparée des leviers politico-financiers et économiques de notre pays pour son enrichissement personnel et égoïste sur les fonds publics. Il s’est laissé emporter par des envolées lyriques, des déclarations à l’emporte- pièce soutenues par des femmes et des hommes qui font parler leur cœur à la place de la raison et de la réflexion pour trouver les voies et moyens à une sortie de crise durable. Cette ambiance électrique dans laquelle Dr Choguel Kokalla Maïga s’est engouffré pour ne plus voir les réalités en face en devenant le chef d’orchestre d’un groupe d’agitateurs, devenus les vrais animateurs de l’échiquier politique national.
Dans ses réponses, c’est la mort dans l’âme. Le Premier ministre lui-même reconnaît que les dossiers sur lesquels il était très attendu, à savoir la lutte contre la corruption, la réduction du train de vie de l’État, le choix judicieux des hommes dans les nominations, l’audit des services publics, des programmes et projets, le bradage du patrimoine national (vente des bâtiments publics, privatisation des sociétés et entreprises d’État) n’ont pratiquement pas connu un début d’exécution. C’était sur ce vaste chantier qu’il pouvait redonner espoir au peuple malien en ouvrant des enquêtes avant la relecture des textes fondamentaux de notre pays devant déboucher sur la refondation. Malheureusement, M. Maïga a choisi une autre voie. Celle d’un contrepied à la refondation de l’État du Mali. Et pour noyer le poisson, il déclare que le temps de la justice n’est pas celui des politiques et de la presse. Et sans l’activation de ces dossiers, la refondation est dans l’impasse.
Pourtant quand il animait encore le Comité stratégique du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), il se disait être porteur d’un projet politique et social et en plus propriétaire d’un bâton magique pour régler définitivement tous les problèmes auxquels le peuple malien est confronté et relever tous les défis auxquels le Mali fait face. Les multiples communiqués de presse signés par lui, ses déclarations et interventions dans les médias en font foi. Il ne ratait aucune occasion pour jeter l’opprobre sur le gouvernement de Moctar Ouane et sur la composition du Conseil national de transition (CNT). Sans surprise, sa campagne médiatique à outrance et de diabolisation contre la première équipe gouvernementale de la transition a porté fruit. Le voilà, le 7 juin 2021, nommé Premier ministre d’un gouvernement qu’il baptise de rectification.
Comme dirait l’autre, la moutarde lui est montée par le nez. Au lieu de rassembler les Maliens, de fédérer leurs énergies autour de l’essentiel pour faire face aux urgences et à la situation difficile que traverse notre pays depuis dix ans, Choguel Kokalla Maïga devient le pourfendeur de tous les régimes qui ont géré le pays, sauf celui de son mentor, le général Moussa Traoré, oubliant que tous les malheurs du Mali prennent leur source du coup d’État de ce dernier en novembre 1968. À la recherche de soutiens au sein de l’opinion malienne pour un positionnement politique, personne n’est épargné par ses flèches, diatribes, piques, attaques lancées dans toutes les directions. Même les morts n’ont pas été épargnés dans leur dernier sommeil par ses déclarations aux relents de haine, de vengeance, de revanche et de règlements de compte. À cela s’ajoutent la révision et la falsification de l’histoire dans le seul dessein de faire plaire à des gens qui vouent une haine viscérale à l’endroit de la classe politique. Il fait semblant de ne pas se considérer comme comptable de la gestion chaotique des trente dernières années du pays. Alors qu’il était au cœur du système du vol des richesses nationales organisé par les démocrates de la vingtième heure. Il s’est servi de la démocratie qu’il critique et condamne avec véhémence au même titre que les démocrates prédateurs. Le Premier ministre Maïga ignore certainement que son ascension au plus haut sommet de l’État est une des conséquences de la mauvaise gestion de la démocratie par ses complices démocrates dans la destruction de notre tissu socioéconomique à des fins personnelles.
À force de s’en prendre à l’autre, le chef du gouvernement Choguel Kokalla Maïga ne voit plus l’urgence d’aller vite sur le terrain de la satisfaction des préoccupations des Maliens comme c’est le cas en Guinée, où la transition de ce pays est en train de mener une lutte implacable contre la corruption et les autres maux qui ont amené les militaires à prendre le pouvoir. Si Dr Maïga avait engagé un véritable combat contre l’absentéisme dans l’administration générale, l’audit de la nation, en plus de la restauration de l’honneur et de la dignité du peuple face aux puissances impérialistes et leurs mandibules maliennes, il allait adhérer les plus sceptiques à sa lutte. Malheureusement, c’est le contraire. Au niveau de la justice, on assiste la mort dans l’âme à des arrestations suivies de libération sans aucune explication. Et le procès de Bakary Togola devait servir de leçon à tous ceux qui cherchent à torpiller le processus irréversible de la refondation de l’État avec le retour des sanctions contre les ennemis de la nation. Au lieu de prendre le taureau par les cornes en sanctions à l’image de la Tunisie et de la RD Congo, ils bénéficient de la promotion.
En tout cas, la réussite de la transition est liée au retour de la sanction dans l’administration malienne. Sans cela, ses efforts seront vains et la refondation ne verra jamais le jour.
Yoro SOW
Source: Inter De Bamako