En s’aplatissant, en recevant de bonne grâce une volée de bois vert de la part du Sous-Secrétaire d’État aux affaires politiques des États-Unis, et en quémandant une prolongation du mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), le Gouvernement se résout à un aveu d’échec et brade ce qu’il restait encore d’honneur et de dignité au grand peuple du Mali.
Son arrogance légendaire, au plan national, a vite fait de céder le pas à une humilité insoupçonnée. Voici l’aveu d’impuissance du Chef du Gouvernement, Soumeylou Boubèye MAIGA, devant les membres du Conseil de sécurité des Nations-Unies, ce 29 mars : « (Mais) nous devons être lucides et réalistes : si des progrès ont été réalisés au regard de la situation de 2013, la situation de mon pays reste particulièrement préoccupante : la menace jihadiste perdure malgré les succès militaires, notamment dans le Centre où les antagonismes ancestraux sont instrumentalisés et engendrent la plus grande souffrance de la population comme les tragiques évènements du 23 Mars nous l’ont cruellement rappelé. La mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la réconciliation, malgré nos efforts inlassables et les progrès enregistrés, reste lente et fragile. Trop fragile pour que nous relâchions nos efforts. Trop fragile pour que la communauté internationale se retire. Trop fragile pour considérer que le travail est terminé ».
Un bilan squelettique
Ce plaidoyer navrant est à la mesure de l’échec du Gouvernement comme l’attestent les maigres avancées timidement présentées par le chef de la délégation malienne. Il égrène l’installation d’un Comité d’Experts pour la réforme de la Constitution qui est contesté ; la mise sur pied d’un Cadre de Concertation National auquel le Parti FARE An Ka Wuli préfère ‘’dialogue national refondateur qui permettra aux Malien de revisiter les institutions de la République et les pratiques démocratiques en cours’’ ; l’URD du Chef de file de l’Opposition préconise un ‘’dialogue politique national’’.
Il faut rappeler que pour Djiguiba KEITA dit PPR, du Parti PARENA, il faut avant tout un « dialogue politique » qui doit déterminer des démarches et des actions à mener. Sans ce dialogue, il pense que le Premier ministre est en train de mettre « la charrue avant le bœuf ». « On est n’est pas d’accord avec ce cadre de concertation national. On souhaite la concrétisation du dialogue politique, avant la mise en place de ce Cadre de concertation. On ne va pas nous mettre devant les faits accomplis ».
De son côté, la Coordination des mouvements armés (CMA), jugeant improductif le CCN a purement et simplement plié bagage. De fait le Cadre de Concertation National est un échec.
Le PM sort de sa besace que pour renforcer le caractère consensuel de la révision constitutionnelle, le Président de la République a récemment initié des rencontres avec tous les leaders de la majorité et de l’opposition en vue de recueillir leur analyse de la situation nationale et leurs propositions pour une vie politique et sociale animée autour d’une vision commune des grands problèmes de notre nation. Mais, il doit convenir avec tous les observateurs avisés de la scène politique nationale que ces rencontres ne sont jamais allées au-delà de l’effet d’annonce. La dynamique de ces rencontres s’est grippée dès qu’il s’est agi de remises en cause des gouvernants et de leur mode de gouvernance. Il est clair alors que les fruits ne tiendront jamais la promesse des fleurs quand on se croit doter de la science infuse et qu’on continuera à traiter les autres de « petits messieurs ».
Le Code des Collectivités et la loi portant conditions de la libre administration des collectivités territoriales promulgués le 2 octobre 2017 ont établi des bases solides pour la réforme administrative et la décentralisation ? Voici ce qu’en pense la CMA, à travers son communiqué N°35/2017/CC-CD-CMA : ‘’la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) a appris avec inquiétude, le vote de la Loi fixant les modalités de fonctionnement des Collectivités Territoriales par l’Assemblée Nationale dans sa session du 15 Septembre 2017 et sa promulgation par le Président de la République.
Cette nouvelle loi ne prend en compte, en aucun cas des dispositions dudit accord contenues en ses articles 1, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 15 et annexes 2 (V.b et c) qui concernent entre autres, l’élargissement des compétences des Collectivités Territoriales, rôles et mode d’élection du Président de l’Assemblée Régionale, la répartition des tâches entre les collectivités sur la base du principe de subsidiarité, les relations entre la Région et l’État et le rôle du Représentant de l’État. (…) Par conséquent, nous exhortons à une réouverture des concertations sur le projet de code des Collectivités Territoriales en vue de la prise en compte des dispositions de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali’’.
À son tableau de chasse, le Chef du Gouvernement accroche : pour contrer les nouvelles menaces, le Gouvernement du Mali a élaboré et mis en œuvre un Plan de Sécurisation Intégrée des Régions du Centre (PSIRC). Initiative, certes, louable, mais depuis le lancement de ce PSIRC, il n’y a jamais eu autant de victimes civiles au Centre du pays. Les honneurs de Koulougon-peulh (plus d’une trentaine de morts) et de Ogossagou (plus de 160 morts et des blessés) se passent de tout commentaire. En 2018, plus de 240 attaques ont été commises contre des civils, des responsables gouvernementaux maliens et des membres de forces nationales et internationales, alors que ce chiffre était de 183 en 2016.
Selon le PM, ‘’le Gouvernement a lancé le processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) accéléré le 6 novembre 2018, à Gao, Tombouctou et Kidal. Cette opération concerne les éléments du Mécanisme Opérationnel Conjoint. Elle a permis l’enregistrement et le désarmement de plus de 1 400 combattants sur 1.600 prévus, tous issus des deux Mouvements signataires de l’Accord et des autres groupes armés ayant accepté l’Accord’’.
Après 4 ans d’un processus, on arrive à intégrer à peine 1 400 combattants ; alors que l’effectif global à prendre en compte dans le cadre du DDR est de 36 000 combattants. Quel exploit ! Ces chiffres sont tout simplement affligeants.
L’arnaque intellectuelle
À l’agacement de ce bilan squelettique, s’ajoute une duperie à grande échelle. Le rapport du secrétaire général des Nations-Unies qui salue d’importantes avancées dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, au cours des derniers mois, est considéré comme du pipeau, à la limite de l’escroquerie intellectuelle. Ce dont ne s’accommodent pas les États-Unis. Pas surprenant alors le coup de savon de DAVID HALE, Sous-Secrétaire d’État aux affaires politiques des États-Unis, qui a déclaré que le Conseil de sécurité doit reconnaître la gravité de la situation sécuritaire au Mali. Les Casques bleus de la MINUSMA se retrouvent dans un environnement allant bien au-delà des limites du maintien de la paix traditionnel et sont systématiquement et résolument attaqués par des extrémistes « mobiles, intelligents, bien organisés et qui ne veulent pas renoncer ». La MINUSMA, a-t-il rappelé, est l’opération onusienne « la plus dangereuse au monde » et a fait un nombre de victimes « sans précédent ». Cette violence, ainsi que la hausse de la violence intercommunautaire et interethnique, en particulier dans le centre du Mali, s’accompagne d’un « manque inacceptable » de progrès dans la mise en œuvre de l’accord d’Alger.
Le rapport en date du 5 mars faisait état de certains progrès en matière de DDR et du bon déroulement de l’élection présidentielle de 2018 au Mali.
« Cependant, nous avons été déçus qu’il ne fournisse pas d’évaluation claire de l’absence de progrès significatifs sur tous les points restants. Cette lacune contraste avec le rapport de l’Observateur indépendant, qui reconnaissait les progrès préliminaires, mais tirait la sonnette d’alarme sur le manque de volonté politique pour mettre en œuvre l’Accord, seul un des sept objectifs ayant été complètement atteints », selon la délégation américaine.
« Nous nous attendons à voir progresser les mesures en suspens avant que le Conseil de sécurité ne négocie la prorogation du mandat de la MINUSMA en juin », a-t-elle mis en garde, en faisant part de trois domaines prioritaires d’action.
Premièrement, le Mali devrait élargir l’inclusivité du processus de réforme constitutionnelle, pour garantir un référendum constitutionnel légitime, en associant les groupes armés, l’opposition et la société civile. Deuxièmement, a poursuivi le haut fonctionnaire, les parties à l’accord d’Alger devraient accélérer l’intégration, la formation et le déploiement des combattants participant au programme de DDR dans le nord du Mali.
« Troisièmement, le Gouvernement malien devrait codifier juridiquement la zone de développement du nord et fournir davantage de ressources aux administrations intérimaires de cette région. Il devrait, en outre, veiller à ce que les administrations intérimaires ne soient pas simplement des présences symboliques, mais puissent effectivement fournir des services », a insisté M. Hale.
JEAN YVES LE DRIAN, ministre de l’Europe et des affaires étrangères de la France, qui faisait l’avocat du diable, a engagé la responsabilité des parties, en feignant des sanctions éventuelles : ‘’l’ensemble des parties doivent remplir leurs obligations. Et s’il le faut, nous sommes résolus à imposer de nouvelles sanctions à l’encontre de ceux qui entraveraient la mise en œuvre de l’Accord’’.
Les mauvaises notes
La déception n’est pas que du côté des États-Unis.
Selon HEIKO MAAS, ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne, ce sont des femmes et les hommes du Mali qui détiennent la clef de la paix dans le pays.
Pour Lord TARIQ AHMAD DE WIMBLEDOM, ministre d’État pour le Commonwealth et les Nations Unies du Royaume-Uni, davantage de choses restent à faire pour que le Mali arrive à une paix pérenne. Il faut donc lancer des réformes profondes, dans des domaines tels que la réforme constitutionnelle, l’économie, la sécurité ou encore la participation des femmes à la vie publique.
Selon Mme JOANNA WRONECKA de la Pologne, en dépit de certains progrès, la Pologne déplore que plusieurs aspects de l’Accord pour la paix et la réconciliation restent encore lettre morte.
GUSTAVO MEZA-CUADRA du Pérou a déclaré que la mise en œuvre intégrale de l’Accord pour la paix et la réconciliation par ses signataires doit demeurer une priorité. Or, en dépit des progrès déjà accomplis sur certains aspects de cet accord, il reste beaucoup à faire, notamment pour faire avancer la réforme constitutionnelle et tenir dans les délais impartis les élections législatives à venir. Le représentant s’est ensuite désolé de l’attaque meurtrière qui a fait au moins 160 morts dans un village près de Mopti.
MARC PECSTEEN DE BUYTSWERVE de la Belgique a indiqué que la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation n’a pas progressé comme espéré, détruisant petit à petit les espoirs suscités lors de sa signature.
JOSÉ SINGER WEISINGER de la République dominicaine a salué la mise en œuvre de certains dispositifs de l’Accord pour la paix et la réconciliation, tout en regrettant la lenteur dans la mise en œuvre de certains autres éléments, comme la réforme du secteur de la sécurité et les programmes de développement du Nord du pays. Il s’est aussi préoccupé de la recrudescence de la violence ciblant les civils, les forces de sécurité et la MINUSMA.
M. DIAN TRIANSYAH DJANI d’Indonésie a commencé par saluer les progrès déjà accomplis au Mali dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation (…). Mais il a évoqué aussi les domaines dans lesquels les avancées demeurent insuffisantes, dont la réforme constitutionnelle, la reconstitution et le redéploiement des Forces de défense et de sécurité, ainsi que l’établissement de la zone de développement dans le nord du pays. Par ailleurs, le représentant s’est dit préoccupé par la situation sécuritaire et humanitaire, en particulier dans le nord et le centre du Mali (…).
Comme le disait quelqu’un, « sauvons-nous, nous-mêmes ». Ce qui renvoie à ce slogan (aux allures propagandistes) de l’ère GMT : ‘’l’aide la plus noble et la plus utile est et sera celle qui proviendra de nous-mêmes’’. Encore faudrait-il que ceux qui président aux destinées du pays intègrent une bonne fois pour toutes que la main qui reçoit sera toujours inférieure à celle qui donne.
PAR BERTIN DAKOUO
Info-matin