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Djihadisme au Mali: la guerre que Paris disait avoir gagnée est loin de l’être

Entretien avec Francis Simonis, historien et chercheur spécialiste du Mali.

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Paris s’était vanté il y a trois mois d’avoir donné un coup de pied dans la fourmilière djihadiste au Nord-Mali dans le cadre de l’opération militaire Serval. Force est de constater que la fourmilière est en train de se reconstituer : plus une semaine ne se passe quasiment sans que les casques bleus de l’Onu ne soient la cible d’attaques terroristes. Comment expliquer ce regain islamiste, au coeur de l’explosive région du Sahel ?

Il ne se passe quasiment plus une semaine sans que les casques bleus de l’Onu ne soient la cible d’attaques des djihadistes au Nord-Mali.

La dernière en date a fait neuf morts parmi le contingent nigérien, ce vendredi 3 octobre près de Gao.

Une semaine plus tôt, Hervé Ladsous, le patron des opérations de maintien de la paix de l’ONU, s’était déjà alarmé de la déterioration de la situation dans la région : « C’est incontestable : les terroristes et les djihadistes, et sans doute aussi les trafiquants, ont repris du poil de la bête ». 

Il ne s’est pourtant écoulé que trois mois depuis que François Hollande s’est félicité du succès de l’opération militaire Serval : « C’est une mission parfaitement accomplie », s’était réjoui le Président français lors d’un discours aux armées à la veille du 14 juillet.

La France – l’ex-puissance coloniale – avait envoyé 3000 hommes au Nord-Mali en janvier 2013 afin de stopper la progression des islamistes armés et soutenir l’armée et l’Etat maliens, aux abois.

Un an plus tôt, la rébellion touarègue du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) avait en effet lancé une offensive dans le nord du Mali, provoquant une profonde crise politico-militaire. Profitant du chaos, des groupes jihadistes alliés à Al-Qaïda avaient rapidement évincé le MNLA, « pris » la ville de Gao, et progressé vers Bamako. Leur objectif : instaurer une république islamique. 

A l’été 2014, un an et demi après le lancement de Serval, Jean-Yves Le Drian avait estimé que l’opération était « de fait terminée » et avait « rempli sa mission ». Le ministre de la Défense avait alors annoncé le redéploiement des 3000 soldats français, toujours chargés de lutter contre le terrorisme, sur une zone d’opération plus large, la région sahelienne. L’opération Barkhane, sorte de prolongement de Serval donc, se trouve à l’heure actuelle toujours en cours.

Le retour, aujourd’hui, des djihadistes au Nord-Mali, ceux-là même que la France était censée avoir chassés, interroge à la fois sur la stratégie de Paris et de ses alliés régionaux dans la lutte anti-islamiste, et sur les ressorts du regain islamiste nord-malien.

Sur ces questions, l’éclairage de Francis Simonis.

JOL Press : Comment expliquer le vide sécuritaire qui règne aujourd’hui dans la moitié nord du Mali

Francis Simonis : Ce vide sécuritaire s’explique par quatre facteurs principaux :

1- Le retrait progressif des troupes françaises qui, à l’exception des forces spéciales, n’interviennent pratiquement plus sur le terrain – en tout cas pour assurer la sécurité des populations ;

2- L’inadéquation des forces de l’ONU à la mission qui leur est confiée ;

3- L’absence des troupes maliennes qui, depuis la déroute qu’elles ont subie à Kidal, au mois de mai, sont pratiquement absentes du nord du pays ;

4- L’impunité dont jouissent les groupes armés touaregs et arabes, à l’origine de la partition du pays en 2012, ce qui leur permet aujourd’hui de faire régner la terreur dans les zones rurales.

JOL Press : L’opération Serval a-t-elle trop hâtivement été remplacée par Barkhane ?

Francis Simonis : Le problème n’est pas tant le remplacement de l’opération Serval par l’opération Barkhane que la manière même dont l’opération Serval a été conduite.

Serval, affirmait François Hollande le 15 janvier 2013, avait trois objectifs : mettre fin à « l’agression terroriste », « sécuriser Bamako » et « permettre au Mali de retrouver son intégrité territoriale ». Si les deux premiers ont été clairement atteints, on est loin du compte en ce qui concerne le troisième !

Bien au contraire, en janvier 2013, l’armée française a interdit à l’armée malienne de prendre position dans le nord du pays pour permettre à ses protégés du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) de s’installer dans la région de Kidal. Elle a de même empêché l’armée tchadienne de désarmer les rebelles touaregs.

Dans les faits, le calme n’est jamais revenu dans le nord, et seule la présence française permettait à un certain ordre de régner, en dépit de tragiques accidents, comme l’assassinat, en novembre dernier, des deux journalistes de RFI et de nombreux attentats contre les forces de l’ONU peu médiatisés en France.

La tentative hasardeuse de reprise de Kidal par la force au mois de mai s’est soldée par une débâcle de l’armée malienne et par sa disparition du nord du pays, où elle n’est plus guère présente que dans les villes de Gao et de Tombouctou.

La Minusma, pour sa part, n’a ni le matériel ni les moyens humains de quadriller le nord du Mali, qui échappe de fait à toute autorité.

JOL Press : Quelles menaces les trois principaux groupes islamistes du Nord-Mali – Aqmi, Mujao, Ansar Dine – font-ils peser ?

Francis Simonis : L’opération Serval, en dépit des succès qu’elle a remportés en portant des coups très durs aux combattants d’Aqmi, a consisté à donner un grand coup de pied dans une fourmilière, et à laisser les troupes des Nations unies et l’armée malienne gérer la situation intenable ainsi créée.

Après avoir fait le gros dos, les groupes jihadistes se sont aujourd’hui reconstitués.

Ansar Dine attire peu l’attention, mais tout porte à croire que son leader, lyad ag Ghali – dont certaines sources indiquent par moment la présence dans la région de Kidal -, est l’une des clés de la situation.

Aqmi [Al-Qaïda au Maghreb islamique, ndlr] s’est signalé récemment par l’enlèvement de Touaregs, accusés de collaborer avec les forces françaises et la Minusma, et par la décapitation de l’un d’entre eux, dont la tête a été déposée sur le marché de Zouera, dans la région de Tombouctou, afin de terroriser la population. C’est un procédé nouveau dans la région – qui a peu retenu l’attention en France -, qui semble lié à une imitation du mode opératoire de l’Etat islamique (EI).

Le groupe le plus actif et le plus puissant est incontestablement le Mujao, dont il faut rappeler qu’il bénéficie d’appuis importants au sein de la population locale. La prise de contrôle de Gao par le Mujao, en juin 2012, avait en effet été perçue comme une libération par une partie des habitants, qui voient aujourd’hui en lui un rempart contre les indépendantistes du MNLA dont ils n’ont pas oublié les exactions.

Enfin, il ne faut pas oublier le Mouvement Arabe de l’Azawad (MAA), et surtout le MNLA, qui agit en toute impunité dans la région de Kidal, lève des impôts et distribue même des cartes d’identité au nom d’un prétendu Etat de l’Azawad !

JOL Press : Paris envisage d’« agir » dans le sud de la Libye, sanctuaire terroriste. Cela pourrait-il avoir un impact décisif dans la lutte contre les djihadistes du Nord-Mali

Francis Simonis : Le déclenchement prochain d’une opération en Libye est plus que probable, comme en témoigne l’annonce récente de la construction d’une base française près de Madama, dans le nord-est du Niger.

Il est clair que la France a une approche globale de la situation et qu’on ne peut espérer affaiblir les groupes islamistes au nord du Mali tant que règne le chaos en Libye.

Mais les problèmes du nord du Mali ont aussi des causes locales, qu’une intervention en Libye ne réglera pas.

JOL Press : Où en sont les négociations, à Alger, entre Bamako et six mouvements armés du Nord-Mali ? Un accord aurait-il un impact sur les activités djihadistes dans le pays, alors que les islamistes ne participent pas aux discussions ?

Francis Simonis : Les négociations sont au point mort. Elles ne sont pas près d’aboutir en raison des nouvelles revendications du MNLA, qui réclame maintenant la mise en place d’un Etat fédéral !

La situation est d’autant plus inextricable que la position du gouvernement malien n’est guère lisible alors qu’une partie de la population a manifesté récemment à Bamako pour défendre l’intégrité territoriale du pays.

JOL Press : Le ministre de la Défense français a souligné le risque de voir divers groupes radicaux à travers le monde faire « une jonction » avec l’EI : « Si tout cela se propageait vers le nord Mali, le nord-Niger, nous serions dans une situation extrêmement grave ». Quels sont les risques de connexion entre les djihadistes du Mali et l’EI ?

Francis Simonis : Les méthodes radicales employées par l’EI et les succès qu’il a remportés sur le terrain impressionnent une partie de la mouvance islamique, alors qu’Al-Qaïda est en perte de vitesse ; un certain nombre de groupes radicaux sont prêts à lui faire allégeance, comme ils le faisaient autrefois auprès d’Al-Qaïda.

La décapitation récente d’un notable touareg dans la région de Tombouctou est à ce titre inquiétante. Elle indique, semble-t-il, une fuite en avant de la part de certains membres d’Aqmi qui adoptent désormais le seul mode opératoire capable, par l’horreur qu’il inspire, d’assurer une couverture médiatique à ses opérations.

Bref, la guerre que François Hollande annonçait bien imprudemment avoir gagnée à Bamako le 19 septembre 2013 est bien loin de l’être aujourd’hui: en un mois, une vingtaine de soldats de l’ONU ont payé de leur vie pour le savoir !

 

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press. 

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Francis Simonis est historien, spécialiste de l’Afrique occidentale et du Mali. Il enseigne à l’Institut des Mondes Africains, basé à Aix-en-Provence.

Source: JOL Press

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