Contrairement à une volonté populaire exprimée lors de la Conférence d’entente nationale en 2017 et du Dialogue national inclusif (DNI), en décembre 19, le chef de la diplomatie française, Jean Yves Le Drian, impose une nouvelle démarche au Mali à l’issue de sa visite à Bamako, ce 26 octobre 2020. Ledrian exclut toute idée de négociation avec les groupes djihadistes, tut-il des Maliens. Cette position du chef de la diplomatie française, qui est bien celle de l’ancienne puissance coloniale, tombe comme un cheveu dans la soupe quand on sait que l’Union africaine et les Nations unies se sont également montrées favorables à l’idée d’un dialogue avec ces groupes armés qui écument une bonne partie du Sahel.
Au Mali, dès la fin de l’année 2012, la question du dialogue avec les groupes d’expression jihadiste, labélisés terroristes, a constitué une sorte de zone grise, voire un tabou qui cristallise et interroge les contradictions entre les acteurs de la crise malienne ainsi que leur impact tant sur la trajectoire de la violence ainsi que sur la résolution du conflit.
Les précurseurs
Au lendemain de la crise multidimensionnelle, l’ancien président du Haut Conseil islamique du Mali, l’imam Mahoumoud DICKO, s’est posé en précurseur, en préconisant le dialoguer avec les djihadistes de nationalité malienne.
« Je suis pour cette solution depuis le début de la crise et je maintiens encore cette option. Aujourd’hui, ceux qui meurent, ce sont des Maliens comme nous. Que les victimes soient des civiles ou des militaires, c’est le Mali qui perd ses fils », avait-il déclaré en février 2020 l’imam Mahmoud DICKO sur la radio Niétaa.
Alors qu’il était président du HCIM, il avait, sans cesse, invité les autorités à dialoguer avec tous les acteurs maliens de la crise, notamment les djihadistes pour une sortie rapide de crise.
Une proposition qui avait été rejetée par les autorités et une grande partie de la classe politique.
En novembre 2016, pour l’État malien et la communauté internationale, il n’est pas question de négocier avec les jihadistes maliens dans le cadre du processus de paix au Mali. « Certains me reprochent de ne pas chercher à négocier avec Iyad Ag Ghaly : c’est hors de question », déclarait Ibrahim Boubacar KEITA à Jeune Afrique fin 2017. Rien de très surprenant tant, depuis son arrivée au pouvoir, en 2013, le Président affiche sa fermeté vis-à-vis des jihadistes.
En fin 2016, alors que l’imam semblait prêché dans le désert, l’ex-chef de la diplomatie du Mali, Tiébilé DRAME, se disait convaincu que la recherche de la paix passe par la négociation, même avec les pires criminels islamistes. Y compris les djihadistes, auteurs d’exactions abominables dans le nord de son pays.
« Il ne sert à rien de nous cacher derrière notre petit doigt, regardons plutôt la vérité en face. Nous avons aujourd’hui des Coulibaly, des Mamadou, des Tounkara, des Konaté dans les groupes djihadistes : ce sont nos frères maliens. Nous devons parler avec eux », affirme-t-il dans un entretien accordé au journal Le Monde.
Des initiatives de dialogue
Peu à peu, l’idée de ce dialogue avec les djihadistes a fait di chemin pour s’emparer de l’ensemble national.
Pour sortir de la crise actuelle, l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, signé le 15 mai et le 20 juin 2015, à Bamako, a proposé l’ouverture d’une série d’espaces et d’initiatives de dialogue dont la tenue d’une Conférence d’Entente Nationale (CEN). Lors de son discours à la Nation le 31 décembre 2016, le Président de la République a annoncé la tenue de la CEN à Bamako au mois de mars 2017. Chose promise, chose due.
Clôturée le dimanche 2 avril 2017 au Palais de la Culture ‘’Amadou Hampaté Ba’’ sous la présidence du chef de l’État Ibrahim Boubacar KEITA, la Conférence d’Entente Nationale, dans ses recommandations, a invité le Gouvernement à ouvrir le dialogue avec les jihadistes maliens, notamment Iyad Ag Ghali, chef du groupe terroriste Ansar Eddine et son allié Amadou Kouffa.
« Négocier avec les extrémistes religieux du nord, notamment Iyad Ag Ghali en préservant le caractère laïc de l’État », indique l’acte de la Conférence d’Entente nationale.
Une demande précédemment faite par l’opposant politique, Tiébilé DRAME, Président du PARENA et par Mahmoud DICKO, Président du Haut Conseil Islamique (HCI).
« Pour ma part depuis 2014, je recommande de parler avec les jihadistes maliens. Que fait-on avec eux ? Engager des discussions avec eux, savoir ce qu’ils veulent, est-ce qu’ils ont des revendications ? Et s’ils en ont, comment le pays est prêt à les traiter pour parvenir à la paix », a-t-il déclaré Tiébilé Dramé.
À la suite de cette recommandation, le gouvernement avait mis en place commission de bons offices dirigée par l’imam Mahmoud DICKO.
Quelques années plus tard, en décembre 2019, les travaux du Dialogue national inclusif (DNI) aboutissent à la même recommandation. Cette rencontre qui a regroupé l’ensemble des acteurs de la vie nationale, de l’intérieur et de l’extérieur du pays, a invité le Gouvernement, au niveau de la thématique N° 1 relative à la Paix, sécurité et cohésion sociale, les participants ont invité le Gouvernement à engager le dialogue avec Amadou Koufa et lyad Ag Ghali pour ramener la paix au Mali.
L’intérêt affiché pour le dialogue
Les autorités nationales ne semblent plus être contre l’idée de traiter avec certains groupes terroristes, si cela peut contribuer à faire cesser les violences dans certaines régions du pays. Au cours d’une conférence animée en janvier 2020, le Haut représentant du Président Ibrahim Boubacar KEITA pour le Centre, Dioncounda TRAORE, a révélé avoir mandaté, il y a quatre mois, à des personnes pour prendre attache avec Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa, chefs respectifs du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GISM) et de la katiba du Macina. Devant l’absence de retour, le Haut représentant du Président pour les régions du Centre a indiqué avoir décidé, il y a quelques semaines, d’envoyer de nouveaux émissaires.
Conforment aux conclusions du DNI, le Mali officiel assume publiquement sa disposition à dialoguer avec les chefs de la nébuleuse terroriste qui ensanglante le Nord et le Centre du pays en vue de parvenir à une paix durable. Dans une interview exclusive accordée ce lundi 10 février 2020 à RFI et France 24, à Addis-Abeba, le Président IBK reconnait pour la première fois l’ouverture d’un dialogue avec les chefs jihadistes Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa.
L’UA et l’ONU ouvrent la voie
En début du mois d’octobre 2020, un haut responsable de l’Union africaine (UA), Smaïl Chergui, appelle à « explorer le dialogue avec les extrémistes » pour faire taire les armes dans le Sahel, après huit ans de crise sans issue en vue.
« Le terrorisme et les violences entre communautés persistent et la menace s’étend en Afrique de l’Ouest », souligne M. Chergui, commissaire de l’UA à la paix et la sécurité, dans une tribune parue mercredi 14 octobre dans le quotidien suisse Le Temps.
Le 19 octobre, Le secrétaire général de l’ONU parle d’établir un « dialogue » avec les groupes jihadistes.
« Il y aura des groupes avec lesquels on pourra parler, et qui auront intérêt à s’engager dans ce dialogue pour devenir des acteurs politiques dans le futur », a en effet déclaré le secrétaire général de l’ONU lors d’un entretien accordé au quotidien Le Monde. « Mais il reste ceux dont le radicalisme terroriste est tel qu’il n’y aura rien à faire avec eux », a-t-il ajouté.
En tout état de cause, paix ou non, le gouvernement du Mali semble dans cette logique de dialogue, depuis peu. Des échanges de prisonniers entre le Mali et des groupes terroristes ont été obtenus dans ce sens. On se rappelle en 2019 du troc de jihadistes contre la libération du confrère Tamboura. Il y a quelques jours, le chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé et la Française Sophie Pétronin ainsi que deux autres otages italiens ont été libérés en échange de celle plus deux cents terroristes détenus dans les geôles à Bamako.
Le pied dans le plat
La visite de ce 26 octobre 2020 met un arrêt à ce processus. En effet, arrivé à Bamako, ce 25 octobre, le ministre français des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, estimé, hier lundi, qu’un dialogue n’était pas possible avec les groupes djihadistes, une position qu’a immédiatement nuancée le chef du gouvernement malien de transition.
« Disons les choses très clairement : il y a les accords de paix et puis il y a les groupes terroristes qui n’ont pas signé les accords de paix. Les choses sont simples », a déclaré devant la presse le chef de la diplomatie française. Le premier haut responsable français à se rendre au Mali, depuis le coup d’État du 18 août, interrogé sur les possibilités d’un dialogue avec les groupes liés à Al-Qaïda et au groupe État islamique, il a ajouté que la position de la France était également celle « des pays du G5 Sahel, c’est la position de la communauté internationale, c’est la position du Conseil de sécurité » de l’Onu.
À ses côtés, le Premier ministre, Moctar Ouane, a toutefois immédiatement rappelé que le « dialogue national inclusif », vaste concertation nationale tenue fin 2019 au Mali, « a très clairement indiqué la nécessité d’une offre de dialogue avec les groupes armés » djihadistes.
Par Abdoulaye OUATTARA
Source : INFO-MATIN