Il y a 41 ans mourait Modibo Kéita, Premier président de la République du Mali née le 22 septembre 1960. Depuis l’avènement de la démocratie au Mali, tous les Présidents se sont, chaque année, prêtés à la cérémonie de commémoration du 17 mai 1977, jour où le fils de Daba Kéita est mort dans les geôles de Moussa Traoré.
Avant lui, Fily Dabo Sissoko et ses compagnons avaient péri quelque part dans le désert malien. Puis ce fut Abdoul Karim Camara dit Cabral, leader estudiantin assassiné le 17 mars 1980 par les hommes du même Moussa Traoré. Trois hommes, trois destins tragiques et pourtant un traitement différent par les autorités maliennes. Incontestablement Modibo Kéita aura marqué plusieurs générations de Maliennes et de Maliens même si ce n’est pas pour les mêmes raisons. En 1960, le 22 septembre, c’est un homme d’une carrure exceptionnelle qui déclare l’indépendance de ce qui était le Soudan français sous la colonisation française. Ce sera la République du Mali, Mali comme le mythique Empire qui rayonna au 13ème siècle et s’étendit sur une grande partie de ce qui est aujourd’hui l’Afrique de l’Ouest. Ce fut la re-naissance d’un peuple qui, jamais, n’a accepté la domination coloniale comme en témoignent la révolte du Bélédougou, celle de Sabouciré, du Kénédougou et des Bobos de Banzani Théra. La confiance des Maliens et des Maliennes en ce beau Malinké était totale pour la construction d’une Nation moderne. D’autant plus que l’homme bénéficiait par ailleurs d’une aura internationale qui lui permit de jouer un tout premier rôle dans la création de l’Organisation de l’unité Africaine (OUA) et dans la gestion de la crise algéro-marocaine. Cependant, l’option socialiste, qui se manifesta par une gouvernance autoritaire et intolérante, provoqua l’exode vers des pays plus accueillants de centaines de milliers de nos compatriotes dont certains ne sont plus jamais rentrés au pays, et finit par créer, à l’intérieur du pays, un mécontentement qui ne put se manifester qu’à cause de la répression d’une milice plus puissante que l’Armée malienne. Le sommet de l’autoritarisme fut atteint quand, en 1964, un tribunal populaire condamne à mort Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko et Kassim Touré qui avaient eu tort d’avoir manifesté publiquement conte la création du Franc malien. Ils seront fusillés quelque part dans le désert malien. Leurs corps sont à jamais enfouis sous le sable empêchant définitivement leurs parents de faire leur deuil. Lorsque, le 19 novembre 1968, le Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN) renverse le dictateur, le Peuple du Mali manifeste sa joie et danse pendant plusieurs mois. Ce sera, malheureusement, 23 années d’une autre dictature qui sema la mort sur son parcours dont celui de Modibo Kéita le 17 mai 1977 et surtout, point culminant de la bêtise humaine, celle d’Abdoul Karim Camara dit Cabral, leader estudiantin qui luttait, avec ses camarades, pour plus de liberté et de meilleures conditions d’études pour leurs camarades de l’Union des Étudiants du Mali (UNEM). Modibo Kéita est mort sans avoir eu droit à un procès mais aussi sans repentir pour la mort de Fily Dabo Sissoko et ses compagnons Hamadoun Dicko et Kassim Touré. L’homme qui fit périr le héros de l’indépendance et brisa l’espoir d’un étudiant de 25 ans vit aujourd’hui avec tous les honneurs de la République. Il est honoré par celui-là même qui se recueille depuis 5 ans maintenant sur la tombe de sa victime, sans aucune référence à sa mort tragique et injuste provoquée par un homme considéré comme « un grand républicain ». Si Modibo Kéita repose au Cimetière de Hamdallaye où ses parents proches et admirateurs peuvent se recueillir sur sa tombe, Abdoul Karim Camara dit Cabral est couché quelque part – certains disent dans une ville du nord – sans qu’aucun compte ne soit demandé à celui qui l’a assassiné et qui est toujours vivant. L’hypocrisie malienne honore les héros et leurs assassins. En effet, si Modibo Kéita jouit toujours d’une grande estime, particulièrement au sein de la jeunesse malienne et cela au prix de la falsification d’un grand pan de notre histoire pourtant très récente, personne n’évoque officiellement la disparition tragique de Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko et Kasim Touré, victimes de l’intolérance politique. Aussi longtemps que ces hommes, qui sont morts par amour pour le Mali et pour la démocratie, ne seront pas réhabilités, toute commémoration de la mort de Modibo Kéita sera pure hypocrisie. Le Peuple-Mali attend toujours le premier Président qui remettra l’histoire de notre pays à l’endroit en honorant officiellement la mémoire de Fily Dabo Sissoko et de ses compagnons et en les réhabilitant. Quand Moussa Traoré disparaîtra – que Dieu le garde encore longtemps parmi nous – il ne fait aucun doute que le Mali démocratique l’honorera comme il honore Modibo Kéita et Abdoul Karim Camara dit Cabral. Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko et Kassim Touré, eux, ne sont pleurés que par leurs parents et les rares Maliens qui se souviennent encore d’eux. On ne peut exiger des autres de réparer les fautes de l’histoire pendant que nous-mêmes fermons les yeux sur les nôtres. Puisse le Tout-Puissant, en ce mois béni de Ramadan, donner la sagesse au Mali pour pleurer tous ses fils méritants et les honorer pareillement !