Invectives, attaques personnelles… L’affaire Soumeylou Boubèye Maïga a porté les frictions à leur paroxysme.
La querelle entre deux piliers de la haute magistrature a tourné au grand déballage. Le débat judiciaire a dérapé sur ce terrain d’extrême individualisation. L’antagonisme s’est mué en règlement de comptes. Dans un brûlot sans précédent, Cheick Mohamed Chérif Koné, ex- premier avocat général de la Cour suprême« Je suis encore au regret de relever que le décret qui met fin à mes fonctions de Premier Avocat Général ne se fonde que sur des considérations purement subjectives, aucune cause mettant fin aux fonctions de membre de la Cour suprême n’étant visée dans le décret. Ce qui me conforte dans ma décision d’intenter un recours en nullité contre ce décret dépourvu de toute base légale. » a déclaré Cheick Mohamed Chérif Koné dans sa lettre au président Assimi Goïta. Selon lui, les mêmes qui l’accusent de ne pas se conformer à leur illégalité, après avoir violé la Constitution et la loi organique de la Haute cour de justice, viennent de transgresser leur propre loi organique qui ne prévoit pas la révocation d’un Premier Avocat Général, ni par le Président de la République seul, ni par le gouvernement, encore moins sur initiative d’un bureau de la Cour suprême dont il est aussi membre.
« Je voudrais par la même, attirer votre attention sur le danger qui menace le fondement même de l’Etat de droit par ceux-là même qui ont cru profiter de leur position pour surprendre votre bonne foi, en faisant passer leur bon vouloir comme étant l’expression de la loi, voire même de la Constitution : A cet égard, je trouve scandaleux qu’un gouvernement puisse prendre le risque, dans un décret de révocation, de méconnaitre le principe de la séparation des pouvoirs pour se livrer à des diatribes contre un magistrat ayant servi la justice de son pays pendant plus de trente-cinq ans sans avoir reçu le moindre reproche, tant sur le plan professionnel que sur le plan de l’éthique et de la déontologie, de la part du Conseil Supérieur de la Magistrature. » a écrit le magistrat qui se dit ainsi victime d’une machination illégale. Pour toutes ces raisons, écrit-il par la suite, il dit espérer que le destinataire de son message, aura la sagesse de retirer purement et simplement le décret mis en cause, de leur ordonnancement juridique, en ce qu’il ne fait honneur, ni à la démocratie, ni à l’Etat de droit. Ce, avant qu’ils se retrouvent devant les juridictions nationales compétentes, au besoin, s’il le faut devant les instances internationales. Et d’enfoncer le clou en soumettant le président Assimi Goïta à une interrogation : « Monsieur le Président, à la lumière de ce qui précède, la question à laquelle vous devriez répondre est la suivante : Entre mes comportements et ceux des premiers responsables de la cour suprême, lesquels sont les plus responsables et irréprochables, et lesquels sont irresponsables et déshonorants pour l’Etat de droit et la démocratie ? »
Deux hommes, deux conceptions du droit et, surtout, de la compétence de la Cour suprême. Le procureur a choisi pour ring les plateaux de la télévision nationale le 25 août dernier en soutenant détenir de nouvelles preuves contre Soumeylou Boubèye Maïga dans l’enquête portant sur l’achat d’un avion présidentiel et de matériel militaire sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta en 2014.Le 8 septembre, le procureur a obtenu le limogeage du premier avocat général.
Timbo accuse Boubèye
Soumeylou Boubeye Maïga était ministre de la Défense au moment des faits et il n’a pas été blanchi, insiste le procureur. Si le procureur du pôle économique avait refermé le dossier en 2018, c’était pour se « conformer aux instructions qu’il avait reçu des plus hautes autorités administratives », tacle Timbo, en insistant pour que la procédure aille cette fois à son terme. Deux jours après cette tonitruante sortie médiatique, Soumeylou Boubeye Maïga et Bouaré Fily Sissoko, ancienne ministre de l’Économie et des Finances, sont placés sous mandat. Au cœur du contentieux, l’affaire « Air IBK », que l’on croyait enterrée par un classement sans suite prononcé en 2018. Mais c’était sans compter sur Mahamadou Timbo.
« Soumeylou Boubèye Maïga a été mis ce jeudi sous mandat de dépôt par la Cour suprême du Mali dans une affaire d’atteinte aux biens publics », a précisé Jeune Afrique qui cite un membre de la Cour suprême, qui a requis l’anonymat.
Il est interrogé dans le cadre de l’achat en 2014, alors qu’il était ministre de la défense, d’un avion présidentiel, une acquisition épinglée par le Bureau vérificateur général (BVG), autorité malienne indépendante, qui a dénoncé des pratiques de surfacturation, de détournement de fonds publics, de fraude, de trafic d’influence et de favoritisme.
Ibrahim Boubacar Keïta ne s’est toujours pas exprimé sur les soupçons de fraude qui le visent après la publication du rapport du Vérificateur général sur l’achat de l’avion présidentiel. Environ 38 millions d’euros restent toujours introuvables.
25 milliards introuvables
À Bamako, le rapport d’enquête relatif à l’achat hors budget d’un avion présidentiel et de matériel militaire publié fin octobre par le Bureau du vérificateur général n’en finit pas de faire des vagues. Pourtant, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) continue de garder le silence face aux accusations de fraude qui le visent.
Mais les ministres serrent les rangs. Bouaré Fily Sissoko, qui détient le portefeuille de l’Économie et des Finances, a ainsi déclaré, le 14 novembre, sur RFI : « Entre-temps, on a découvert que ce qu’on dit être une marge faramineuse a servi en partie à acheter des munitions. »
Tout ou partie des 25 milliards de F CFA volatilisés auraient donc été utilisés pour défendre le pays ? Rien n’est moins sûr.
« Les services [du ministère des Finances] n’ont pas pu fournir le moindre élément lorsque nous avons enquêté auprès d’eux, soupire-t-on au sein du Bureau. Il existe un risque qu’ils soient en train de produire de fausses factures. »
L’avion a été acheté après que l’ancien appareil a été déclaré hors d’état de voler.Par qui ? Le Français Marc Gaffajoli. Chargé de l’inspection, il s’occupait déjà, pour Afrijet, la société du Français Michel Tomi, de louer l’avion au candidat IBK en campagne. C’est lui aussi qui, en tant que conseiller du gouvernement, a eu pour mandat exclusif la recherche d’un nouvel appareil. Travail pour lequel il a empoché 2,1 millions de dollars (1,7 million d’euros), a rapporté le confrère.
Immatriculé à Aruba (Caraïbes), l’avion a bien été acheté par le Trésor malien. Au total, 18,9 milliards de F CFA ont été décaissés. L’appareil appartient-il au Mali pour autant ? Non. Il est la propriété de la société privée Mali BBJ Ltd, créée en mars dans un autre paradis fiscal, Anguilla. La justice se chargera peut-être de poursuivre les mystérieux ayants droit.
Les invectives et attaques personnelles abaissent le débat judiciaire. Les tensions entre les magistrats donnent une mauvaise image de la justice.
Georges François Traoré