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Des assises africaines pour stopper l’hémorragie migratoire

Notre continent saigne et nous regardons ailleurs.
Chaque jour, nos jeunes meurent en mer et dans le désert en fuyant l’Afrique et leur quotidien
obscurci par la misère.

Ainsi, l’Afrique est amputée de son avenir, vidée de ses jeunes, de sa force vive. Le
coût historique, politique, moral et socio-économique sera démentiel et nous le payerons tous,
car nous sommes complices de cette hémorragie. Ne pas agir n’est plus permis !
A quand des assises africaines pour adresser cet épineux problème de l’immigration
clandestine de manière idoine et durable ?
Une jeunesse désœuvrée ?
Cette désastreuse situation est bien africaine et rien ne laisse présager qu’elle puisse se résorber
par magie. Il y a nécessité d’y apporter une réponse continentale. En effet, tous ces jeunes qui
partent des côtes du Sénégal, ne sont pas, bien sûr, que sénégalais. Comme à l’image des
tirailleurs sénégalais, ils sont tous désignés comme tels, mais beaucoup viennent d’autres pays
africains.
Plus de deux décennies sans une once de solution à l’horizon, mais plutôt un pourrissement et
des procédés qui se déplacent : Barcelone ou Barsakh, les plages des Canaries, Lampedusa,
foire d’esclaves en Libye, et ça restera toujours les lieux que les migrants imagineront comme
passerelles possibles pour rallier l’Eldorado européen.
Comment ne pas se rappeler de cette femme enceinte en début 2020 qui a accouché pendant la
traversée entre l’Afrique et les Canaries à bord d’un canot pneumatique chargé de 43 personnes,
dont cinq mineurs. Récemment un garçon de de 15 ans embarqué par son père a péri en mer !
Comment ne pas être meurtri par cette nouvelle vague qui risque d’engloutir encore beaucoup
de nos jeunes. Selon différentes sources, plus de 700 Sénégalais seraient arrivés en Espagne par
la mer en ce début novembre 2020. Ils sont chanceux d’être sortis indemnes de cette périlleuse
aventure. Parmi eux, combien vont réaliser leur rêve ? Combien vont échouer et se retrouver
dans les travers de la vie de migrants sombrant dans la précarité en Europe ? Et combien ont
péri en mer ? Quel sacrifice pour ces jeunes “martyrs” ?
Tous ces jeunes prennent des risques qui dépassent l’entendement, pourtant hélas, ils ne sont
pas candidats au suicide. Ils pensent déployer leurs meilleures armes pour se sortir de l’impasse.
Ils essaient de répondre aux voix de l’ESPOIR. Désespérés et courageux, ils sont prêts à braver
les flots de l’océan, l’hostilité du désert… En bons soldats, ils n’ont pas peur de mourir au front
! Et quels fronts !
Ils veulent aller chercher une vie meilleure, c’est la mort ou des conditions de survie inhumaine
qu’ils trouvent…
Retours et conclusions d’une étude terrain
Entre Juillet et Décembre 2019, lors d’un vaste programme de recherche en France et en Afrique
de l’ouest, sur l’inclusion des diasporas africaines pour le compte de la société Microsave
Consulting, j’ai eu l’opportunité d’échanger avec une multitude de profils et de sonder des
parcours et des trajectoires de migration très différents. Dans l’échantillon de l’étude, il y avait
des jeunes qui étaient arrivés en Europe par bateau à l’issue d’un périple qui avait duré plus de
6 mois pour certains ! Le récit de leurs aventures, leurs motivations premières ont remis en
question toutes mes certitudes sur ce sujet !
Ils m’ont tous dit être guidés par l’espoir d’une vie meilleure. Ils s’estiment plus utiles à leurs
familles en Europe. Au lieu d’une mort programmée s’ils étaient restés dans leurs pays
d’origine, ils assurent désormais la survie à la famille restée sur place !
Une multitude de causes
Cette situation est la résultante de plusieurs causes et nous en connaissons certaines qui
directement ou indirectement impactent leur trajectoire et motivation, telles que :
– La crise alimentaire : diminution des terres cultivables, infertilité des sols, changements
climatiques, déficit de stockage et transformation des produits agricoles, le secteur de l’élevage
sinistré.
La pêche devenant de plus en plus infructueuse et le poisson se raréfiant à proximité des côtes
à cause des navires de pêche étrangers auxquels les autorités publiques octroient des licences
de manière gracieuse, nos jeunes mareyeurs sont obligés d’aller pêcher plus au large pour
trouver de quoi subvenir à leurs besoins et ceux de leurs familles. Il ne serait pas judicieux non
plus de minimiser aussi l’impact du péril plastique sur nos écosystèmes marins et sur la
biodiversité aquatique.
– La crise climatique qui sévit au Sahel a sinistré beaucoup de régions sahéliennes
occasionnant une crise alimentaire d’envergure, ce qui constitue une menace sérieuse pour la
survie des couches les plus précaires dans ces régions. Cela a eu aussi pour effet des migrations
climatiques…
– Une crise démographique qui pourrait encore s’accentuer, avec son contingent de défis pour
les états : nourrir, loger, soigner, transporter, donner un travail décent à une population qui ne
cesse de croître surtout dans nos zones urbaines et péri urbaines. L’Afrique est aujourd’hui le
continent qui compte le plus de jeunes au monde mais qui enregistre aussi un taux de chômage
endémique sur cette tranche de population.
– Une crise éducative et “crise morale” avec une population jeune, dont certains n’ont pas eu
la chance de prendre un bon départ dans la vie. Ils n’ont pas été scolarisés ou maintenus à l’école
pour acquérir les compétences et les outils nécessaires pour une insertion dans le tissu
économique qui peine d’ailleurs à générer des emplois décents pour cette jeunesse. Prenons
pour exemple le nombre croissant de jeunes livrés à la mendicité dans nos grandes villes, sans
nul doute voilà des candidats potentiels à l’immigration clandestine dans quelques années. Une
jeunesse désœuvrée, sans marqueurs moraux pour certains qui n’arrive pas toujours à faire la
part des choses et une priorisation sensée. Leur réarmement moral serait salvateur.
– Crise sécuritaire due en partie à l’instabilité politique et sociale dans certaines régions,
laquelle combinée aux changements climatiques contribue à créer des “terrains fertiles” à la
radicalisation pouvant mener à un extrémisme violent. En effet depuis quelques années les
groupes armés sur fond d’intégrisme religieux fragilisent toutes ces régions et menacent la
sécurité des populations.
Cette immigration clandestine, comme tout problème complexe devrait être considérée de
manière holistique et donc sur l’ensemble de sa chaîne de valeur, pour proscrire les solutions
en silo. L’adage dit qu’un ventre vide n’a point d’oreille, soyons donc conscients que tant que
les gens auront faim ou feront face à des urgences de survie, rien ne les empêchera de migrer
vers les pays dans lesquels ils croient qu’on ne connaît ni la faim, ni les autres maux de leur
quotidien. Il est tout simplement question de survie et c’est naturel pour un humain de chercher
à survivre.
Plan d’action
Il est possible d’ores et déjà d’esquisser les bases d’un plan d’urgence, un plan qui ne serait pas
dicté par des puissances étrangères, mais bel et bien conçu par et pour les populations de notre
continent.
– Agir en amont pour informer, sensibiliser et conscientiser les populations sur les dangers
de ce choix d’immigration et faire émerger des alternatives faciles à déployer pour entrer dans
une dynamique de cercles vertueux permettant de sortir de l’impasse. Notre travail gagnerait à
commencer au niveau familial et communautaire, en mobilisant tous les leviers pertinents
(chefs maraboutiques au Sénégal) et chefs traditionnels qui restent des garants de l’harmonie
sociale dans beaucoup de communautés …, des cellules familiales à renforcer dans leur rôle
pionnier dans la construction et l’éducation de ces jeunes. Revenir à des fondamentaux de notre
société traditionnelle : « c’est un village entier qui éduque un enfant »…, l’entraide, la
solidarité…
– Lancer et piloter des actions à fort impact sur le long terme comme des caravanes citoyennes.
En effet, la sensibilisation active de ces populations permettrait de les conscientiser sur le fait
qu’en mutualisant tout cet argent investi pour rallier l’Eldorado européen, elles pourraient créer
de la valeur au sein de leurs communautés et ainsi générer des emplois décents. De fait, cela
pourrait changer les mentalités à la racine et déclencher un phénomène de cercles vertueux en
cascade.
– Démanteler les réseaux mafieux et toutes leurs ramifications qui profitent de la misère et du
désespoir de ces jeunes pour s’enrichir.
– Accentuer la surveillance des côtes pour jouer les garde-fous.
Assurer une meilleure gouvernance de nos richesses et ressources, une meilleure allocation des
deniers publics et une meilleur priorisation ….
Etablir les fondations d’une coopération win-win aux fins de s’extraire de ce cercle vicieux de
l’assistanat des pays occidentaux et exploiter nos richesses au bénéfice de nos populations.
Il faudrait en outre mettre en place des actions spécifiques d’envergure visant à rendre plus
attractifs et plus productifs nos territoires pour cette jeune population en perdition :
– Remettre l’agriculture et l’élevage au cœur de la vie des territoires locaux en dynamisant
les zones rurales avec des activités économiques pour améliorer les conditions de vie et faire le
pari d’une agriculture productive, durable et respectueuse de l’environnement. Oui, il est
possible d’avoir des zones rurales plus humaines bénéficiant néanmoins des nouvelles
technologies numériques, résolument tournées vers la RSE à la mode de chez nous, capable
d’adresser nos différents enjeux.
– Eduquer et former nos jeunes afin d’en faire un capital humain de qualité à même
d’accompagner le développement et le bien-être de nos populations de façon concomitante. A
ces fins, il serait stratégique de choisir en amont les filières où nos pays gagneraient à se
spécialiser pour être compétitifs dans ce contexte de mondialisation. L’Afrique doit adresser
différents défis : s’inscrire dans une agriculture durable afin d’atteindre l’autosuffisance
alimentaire tout en préservant l’environnement, s’industrialiser pour inverser la courbe
de nos échanges commerciaux, former du capital humain pour réussir sa transformation
numérique et s’arrimer à ce train, aborder avec succès sa transition énergétique. Toujours dans
cette démarche de la formation d’un capital humain de qualité, les états ont également besoin
d’adresser le problème lié au déficit entrepreneurial mais aussi à l’innovation et à leur
financement.
Alors à quand une réponse endogène pour éviter durablement que les projets et l’espoir portés
par ces jeunes ne se perdent dans les tiroirs de leurs seuls rêves ou engloutis dans les flots de
l’océan ?

Cécile Thiakane
DG de L@b’ISEP
(Innovation sociale et environnementale)

Source: Bamakonews

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