Après la période de guerre froide entre l’Est et l’Ouest, apparaissent en ce début de 21ème siècle, d’autres types de confrontation : celle qui oppose les différents intégrismes religieux, l’âpreté de la compétition entre les grandes Nations, l’accroissement de la pauvreté dans les pays du Sud, l’ensemble se traduisant par l’apparition d’un fait nouveau : le terrorisme, dont un des points d’orgue fut les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis d’Amérique. Ainsi, l’exacerbation de la situation actuelle résulte d’une conjonction de plusieurs facteurs, à la fois économique, politique, religieux, géopolitique et géostratégique.
Au Mali, la classe se doit d’imaginer, selon Boubacar Siddick Diallo, Président de l’Association Kewaléton, elle se doit d’innover, de proposer des solutions alternatives à des populations angoissées, désespérées, souffrantes, notamment dans sa frange juvénile, la plus importante, mais aussi, la plus meurtrie, celle devant laquelle ne s’ouvre que le néant.
Quant à la classe politique, qui en aura l’entière responsabilité, elle se doit de se remettre en cause pour éviter que cette violence latente ne se libère ! Lisez plutôt son analyse !
Les principaux protagonistes du théâtre macabre auquel nous assistons ont pour nom : l’OTAN avec à sa tête les USA, les groupes fondamentalistes, les groupes terroristes djihadistes comme Al-Qaïda, l’État islamique, Boko Haram, etc. Les différents foyers de tension au Proche et au Moyen-Orient, les déstabilisations opérées par certaines puissances occidentales et leurs alliés comme en Libye, en Syrie, au Yémen, etc. en sont le ferment.
Les États africains du sahel font actuellement les frais des actions terroristes et tout indique que la situation n’est pas prête de s’améliorer. Le cas du Mali est particulièrement préoccupant.
L’immensité de son territoire, la porosité des frontières, la faiblesse de son armée, celle de son économie, l’occupation d’une grande partie du septentrion par les groupes rebelles, la forte présence de groupes terroristes djihadistes et le jeu trouble de certains de ses voisins, en font un cas singulier très inquiétant. Il y a 5 ans, son destin a failli irrémédiablement basculer lorsque toute la nébuleuse terroriste qui avait conquis les 2/3 du territoire national a décidé de fondre sur le reste du pays. L’intervention salvatrice de la France, si elle a réussi à stopper la tentative, elle n’a pas, pour autant, éradiqué le phénomène. Loin de là ! Comme un cancer, ce terrorisme islamiste s’est enraciné et s’est propagé à la fois vers le centre du pays et surtout vers certains pays frontaliers.
Il ne peut alors être fait économie d’une vraie introspection pour comprendre comment notre pays s’est retrouvé dans l’œil du cyclone. Si des facteurs exogènes expliquent en grande partie la situation actuelle, il est indéniable que certaines pratiques endogènes en ont fait le lit.
Pour une meilleure vue d’ensemble, une analyse synoptique des organisations terroristes qui opèrent dans et autour de notre pays s’impose ; ce qui par ailleurs, donnera une clé de lecture aux facteurs susmentionnés qui, expliquent en grande partie la recrudescence du terrorisme.
Al-Qaïda ou le « franchisage » du terrorisme.
Organisation salafiste djihadiste, panislamique et antioccidentale, elle est créée au début des années 1990, par le trio Cheick Abdallah Ysuf Azzam, Oussama Ben Laden et Ayman Al-Zawahiri. Ses objectifs sont l’établissement d’un califat mondial, l’instauration de la Charia, l’affaiblissement et la destruction du monde occidental. Entre 2004 et 2011, elle a perpétré plus de 300 attaques à travers le monde et causé la mort de plus de 6000 personnes. La particularité de cette organisation est d’avoir réussi à créer un « label » dont se revendiquent de nombreux groupes terroristes à travers le monde comme Al-Qaïda en Irak, Al-Qaïda au Maghreb islamique, Al-Mourabitoune (qui est une fusion entre le MUJAO et Les Signataires par le sang) dans le sahel, etc.
À la suite des attaques du 11 septembre 2001, l’administration américaine d’alors décrète la « guerre contre le terrorisme », qui combine à la fois des actions policières, politiques et militaires contre les groupes terroristes, mais également contre les États accusés d’abriter des groupes terroristes ou susceptibles de leur fournir des « armes de destruction massive ».
C’est ainsi qu’en fin 2001, l’Afghanistan où s’était réfugié Ben Laden soutenu par les Talibans, est envahi. Ben Laden est finalement neutralisé. Mais durant les dix années qu’a duré sa traque, le mouvement s’est considérablement renforcé tant en nombre de recrues que sur le plan idéologique. La franchise est créée.
Le GSPC ou le drame algérien
Plus près de chez nous, les années 90 sont marquées par l’effroyable guerre civile algérienne, déclenchée par le GIA (groupe islamique armé), dont l’ambition était de faire de l’Algérie un État islamique. La répression et les attentats ont causé des centaines de milliers de morts. En 1998, le GIA se transforme en GSPC (groupe salafiste pour la prédication et le combat) et finit en septembre 2006, par faire allégeance à Al-Qaida, la multinationale du terrorisme, en prenant désormais le nom d’Al-Qaida en Afrique du nord. Cette guerre civile algérienne a officiellement pris fin en février 2002, mais à l’évidence le terrorisme, même s’il a été contenu sur le sol algérien, a largement essaimé au-delà des frontières du pays et plus particulièrement au nord du Mali.
L’État islamique (EI) où la matérialisation du Califat.
La « guerre contre le terrorisme » décrétée par G.W Bush, avait un autre dessein : se débarrasser de tous les gêneurs au Moyen-Orient, avec à leur tête Saddam Hussein d’Irak. Ce dernier, incontrôlable et infréquentable depuis l’invasion du Koweït en 1990, était devenu une menace pour les pays du Golfe et surtout pour l’Arabie saoudite, principal fournisseur mondial de pétrole et protégée des USA. Sous le prétexte que le pays possédait et développait des armes de destruction massive, ce qu’aucune inspection de l’ONU n’a pu prouver, l’Irak a été envahi en 2003. La stratégie américaine en Irak a consisté, à dissoudre le parti Baas, l’armée régulière et à instaurer une démocratie à l’occidental sous leur contrôle. Saddam Hussein a été capturé et exécuté. La majorité chiite, assoiffée de vengeance contre la minorité sunnite, reliée à tort ou à raison au dictateur déchu a pris le pouvoir. Il s’en est suivi un ostracisme des sunnites, qui, avec le concours des militaires désormais au chômage, donnent une nouvelle impulsion à l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), créé en 2006. En juin 2014, ce dernier annonce le « rétablissement du califat » dans les territoires sous son contrôle en Irak et en Syrie et proclame Abou Bakr al-Baghdadi calife et successeur du prophète de l’islam. Il voit son influence s’étendre à travers le monde musulman avec l’allégeance de nombreux groupes djihadistes à l’instar de Boko Haram au Nigéria. Il mène des attentats jusqu’en Europe et de ce fait, coalise une grande partie des Occidentaux contre lui. À partir de 2015, il essuie ses premiers revers et n’a cessé depuis de perdre les villes conquises. À partir de là, nombre de ses combattants se sont dispersés à travers le monde et surtout en Afrique, en ralliant très probablement les organisations terroristes locales.
Le cas de la Libye
S’inspirant du printemps arabe qui explosait dans les rues du Caire et de Tunis, les Libyens se sont soulevés contre l’oppression et les violences du régime de Mouammar Kadhafi. En mars 2011, les Occidentaux, sous le prétexte de protéger les populations civiles, y ont vu l’occasion rêvée de se débarrasser d’un dirigeant qui échappait très largement à leur contrôle. Le président français d’alors, Nicolas Sarkozy, empêtré dans les difficultés domestiques d’un côté et mû sans doute par des raisons plus obscures et inavouables de l’autre, s’est empressé de prendre la tête de la coalition de l’OTAN en Libye.
Et manifestement aucune leçon n’a été retenue du cas irakien.
Ainsi, sans aucun discernement, ni aucune analyse sérieuse de la situation et de ses répercutions, la coalition, avec l’aviation française à la manœuvre, par ses raids, a liquidé Kadhafi et son régime et facilité par-là, la montée en puissance des fractions islamistes djihadistes. L’objectif une fois atteint, elle a purement et simplement plié bagages en oubliant « le service après-vente ». La boîte de pandore fut ouverte. La horde des « barbares », nantie du fabuleux arsenal de Kadhafi, pouvait désormais mettre la Libye en coupe réglée et déferler sur le sahel.
Voilà le décor planté.
Au Mali, en ce début d’année 2012, la tension est à son paroxysme. L’armée est engagée depuis janvier dans une guerre contre les rebelles du Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA) auxquels se sont joints les djihadistes d’Ansardine. Peu équipée et face à des ennemis qui ont fait main basse sur une grande partie de l’arsenal de Kadhafi, elle subit revers sur revers. Le moral des troupes est au plus bas. C’est dans ce contexte qu’au mois de mars, le régime à bout de souffle du Président ATT est renversé par des militaires mutins. Commence alors une période de crise qui voit le pays être mis au ban de la Communauté internationale. Profitant de ce chaos, la horde des « barbares » qui a fini par supplanter les rebelles du MNLA et qui occupe alors tout le nord, décide de s’emparer du reste du pays. La débandade, tant du côté des militaires que des civils, est générale. Le Mali, par l’intermédiaire de son Président de transition, appelle la France à la rescousse. L’opération SERVAL est déclenchée et l’avancée des djihadistes stoppée.
Le Malien constate avec effarement son dénuement et sa vulnérabilité. Il prend brutalement conscience de l’état de dégradation avancée de son armée et subséquemment de la gouvernance du pays. Et il s’interroge ! Comment en est-on arrivé là ?
La réponse tient à peu de choses : une gouvernance qui n’a cessé de se dégrader, l’absence de vision et de projection, le manque d’anticipation et il faut le dire, un délitement prononcé du patriotisme et le laisser-aller qui va avec.
La descente aux « enfers » amorcée déjà sous l’ère du parti unique a pris une trajectoire plus abrupte avec l’avènement de la démocratie. La course effrénée aux privilèges et à l’argent facile, quelle qu’en soit la provenance, est devenue le leitmotiv. La corruption a été érigée au rang de sport national et la gabegie, le modèle de gestion ; le tout se mouvant dans un climat d’impunité qui a fini par balayer les derniers scrupules.
Les forces armées n’ont guère été épargnées par le phénomène. Aux restrictions budgétaires imposées par le Programme d’ajustement structurel imposé au pays au début des années 1990, s’est greffée la méfiance viscérale des premiers responsables politiques de l’ère démocratique qui vivaient dans la hantise d’un coup de force. Tout a été alors entrepris pour, à défaut de la dissoudre, de l’affaiblir et de la politiser pour mieux la contrôler. La décomposition avait atteint son paroxysme au moment du coup d’État de 2012. Il était de notoriété publique que beaucoup d’officiers supérieurs étaient soupçonnés de corruption, de détournement de l’argent destiné aux équipements militaires et parfois de la solde. Le pire, si l’on peut dire, c’est que le népotisme et le favoritisme se sont invités dans l’avancement et surtout dans le recrutement. L’armée et plus généralement, les forces de sécurité sont devenues le réceptacle de tous ceux qui devaient être « casés ». Le gîte, le couvert et le petit pécule de fin de mois y étant assurés. Les notions d’honneur, de sens du devoir, d’amour et de défense de la patrie se sont progressivement dissipées.
Comment s’étonner alors de ce qui est arrivé en 2012/2013 ?
Aujourd’hui, cinq ans après, où en est-on avec la situation ?
Le terrorisme s’est enraciné au nord et tend à faire de même au centre du pays. L’Administration peine à s’installer dans de nombreuses zones qui restent sous le contrôle des terroristes. De nouveaux acteurs sont apparus à l’instar de prédicateur Koufa, un nervi d’Iyad Ag Ghali d’Ansardine. Même si sa mort a été annoncée en novembre 2018, avant d’être démentie par lui-même, à travers une vidéo largement diffusée sur les réseaux, sa « katiba » continue toujours d’opérer et il est très probable qu’un successeur lui serait vite trouvé.
Ce personnage, qui rêvait de restaurer l’empire peul du Macina et dont les prêches enflammés ont séduit de nombreux peuls, a réussi à attiser les tensions entre les différentes communautés de la région centre. Ces conflits communautaires, qui ne cessent de s’amplifier, mettent à mal un peu plus chaque jour la cohésion sociale. D’après le dernier rapport des Nations Unies, plusieurs centaines de personnes ont perdu la vie au cours de l’année 2018.
La force Barkhane intervient régulièrement dans la traque et la mise hors d’état de nuire des terroristes. La Minusma (mission des Nations unies pour la stabilisation du Mali) apporte un soutien considérable aux populations dans les zones de conflits et aux déplacés. Le G5 Sahel, force commune aux 5 États sahéliens (Mali, Mauritanie, Niger, Tchad, Burkina Faso) épaulé par la France et l’Union européenne, devient de plus en plus opérationnel.
Cependant, la participation de tous ces partenaires à la lutte contre le terrorisme et à la stabilisation du Mali et l’aide multiforme qu’ils apportent, ne doivent pas faire oublier que le problème incombe avant tout aux Maliens. Ces partenaires n’ont pas vocation à rester éternellement au chevet du pays. Il est donc impératif de prendre conscience de l’urgence et de l’acuité de la situation et de s’atteler sans délai à la résolution des multiples problèmes créés par cette déstabilisation.
Plusieurs points doivent faire l’objet d’une attention particulière et des décisions énergiques prises sans délai.
Soutenir l’armée.
Les autorités maliennes ont, à travers la Loi de Programmation Militaire 2015-2019, dégagé d’importants moyens pour la faire renaitre de ses cendres et la former aux conditions de guerre asymétrique qu’opposent les terroristes. Les investissements prévus s’élèvent à près de 1,9 milliard d’euros et il est prévu le recrutement de 10 000 éléments. C’est un effort remarquable, mais le travail est de longue haleine.
Il est à souhaiter qu’il soit fait en toute responsabilité, dans la constance et sur le long terme. L’effort général entrepris ne doit souffrir d’aucune mauvaise gouvernance financière et les enjeux exigent en tout premier lieu, une gestion consciente et patriotique des deniers publics. Même s’il est indéniable que la situation ne peut être réglée que par la seule option militaire, l’armée doit continuer de bénéficier d’un effort national soutenu et d’une adhésion franche des populations à son combat. Sa formation est essentielle afin qu’elle continue d’opérer de façon professionnelle et sélective. Elle doit être vue comme une force protectrice pour les populations. Le soldat doit se sentir soutenu. La défense de la patrie jusqu’au sacrifice suprême, mérite, exige la reconnaissance de la nation. Son courage et son sens du devoir doivent être exaltés. Ses ayants droit mis à l’abri s’il tombe sur-le-champ d’honneur. La compétence, le courage, l’abnégation et un patriotisme à toute épreuve doivent désormais devenir les vertus cardinales de l’armée.
Les responsables politiques et militaires sont plus que jamais interpelés.
Créer un élan national pour la sauvegarde du pays.
Le pays doit être mobilisé dans toutes ses composantes et toute sa diversité pour la défense de son intégrité territoriale et les valeurs de la république. Chaque citoyen, à quel que niveau qu’il soit, doit se sentir concerné et donc se mobiliser pour éviter que le Mali ne sombre, à l’instar de pays comme la Somalie, l’Irak ou l’Afghanistan. C’est un devoir patriotique auquel chacun doit répondre.
Mais comment rassembler quand il existe une si grande disparité dans la répartition du revenu national et qu’une frange importante de la population vit dans la pauvreté et se sent exclue ? Comment rassembler quand les citoyens ne croient plus en la justice ? Comment rassembler quand il est communément admis qu’il faut avoir « le bras long » pour prétendre à quoi que soit ? Comment justifier qu’en des temps si sombres, les querelles politiciennes accaparent l’essentiel du débat ?
Plus que jamais, l’élite, qu’elle soit politique, administrative ou militaire, est interpelée. La lutte contre la corruption, le népotisme, la gabegie et tous ces maux qui minent les fondements de la nation, ne doit plus être de simples slogans auxquels d’ailleurs, plus personne ne croit. Des actes forts doivent être posés. La gestion du pays doit être assainie. Tous les instruments pour le faire existent. Mais il faut une vraie volonté politique et trouver les hommes en capacité de les appliquer. Et ces hommes existent. Notre pays compte encore des hommes et des femmes fiers, valeureux et pétris de talents, mais malheureusement de plus en plus exclus d’un système dans lequel le travail est mésestimé et la probité, un anachronisme.
Assécher les sources du terrorisme
D’abord au plan financier.
Le septentrion du pays est devenu la zone de tous les trafics, de la drogue aux êtres humains. De l’argent sale y circule dans des proportions inimaginables. Outre la possibilité qu’il donne aux extrémistes de se fournir en armes de toutes sortes, il déstabilise progressivement et insidieusement l’économie du pays. Il est évident que l’essentiel de cette manne est injecté et recyclé dans les économies dans la zone. Les relais existent. C’est un fait. Ce sont donc des pans entiers de l’économie, si ce n’est le pays tout entier, qui risque de se retrouver sous le contrôle des narcotrafiquants et autres fossoyeurs de la république ; l’argent n’ayant point d’odeur et les appétits étant si grands. Une lutte implacable doit être menée contre ce fléau. Des instruments existent là aussi. Le tout est de les manier à bon escient, continuellement et sans faiblir. Il y va de la survie du pays.
Ensuite au plan humain.
Il existe sans aucun doute une idéologie de l’extrémisme surtout religieux qui nourrit le terrorisme islamiste. Mais il est erroné de penser que tous les terroristes sont des extrémistes religieux. Nombre d’entre eux n’y arrivent que par opportunisme ou par volonté de se sortir de la misère et du manque de perspectives. Il n’est qu’à voir comment les personnes sont embrigadées pour quelques milliers de francs et une arme qui confère un sentiment de toute-puissance et permet de laisser libre cours à tous les bas instincts. Les terroristes de Koufa ne sont pas des Pakistanais ou des Chinois. Ce sont, pour l’essentiel, des Maliens. Il faut donc, tarir cette source. Il est impératif de reprendre le contrôle total du centre du pays, zone nourricière par excellence ; de mettre rapidement fin aux conflits intercommunautaires en désarmant toutes les milices, de fixer les populations par des plans de développement volontariste dans l’agriculture et l’agro-business entre autres. Tout est disponible dans cette zone pour y parvenir. Et là comme ailleurs, il faut surtout une vision claire des objectifs à atteindre et une volonté politique.
Par ailleurs, en ces temps troubles, pourquoi les autorités laissent-elles certains médias relayés des informations haineuses sans réagir ? Et ces prêches d’une violence inouïe qui sont entendus sur les radios privées et qui ne font qu’attiser les tensions. Tout se passe comme si aucune disposition réglementaire n’existe en la matière. C’est tout simplement inacceptable de cautionner de telles pratiques. C’est la crédibilité même des institutions qui est mise en doute.
Parallèlement, il faut s’attaquer à l’exploitation éhontée des enfants par des adultes sous couvert de mendicité. Ce phénomène est devenu tellement banal que l’on y fait même plus attention. Et pourtant, on devrait faire face ! Des milliers d’enfants jusqu’aux nourrissons sont trimbalés en longueur de journée dans tous carrefours et au niveau des feux tricolores de Bamako et des capitales régionales du fait, le plus souvent, d’adultes sains qui en ont fait un filon à exploiter. Que faut-il craindre de ces enfants qui grandissent dans la rue, sans éducation, sans perspective, sans aucune référence morale et, on peut le comprendre, sans la moindre compassion ? Bien entendu qu’ils ne basculent dans la délinquance et peut-être dans le terrorisme.
La pauvreté ne justifie pas tout. La dignité est une de nos valeurs ancestrales. Les grandes figures religieuses et tous ceux qui aspirent à l’éducation des populations sont interpelés.
Des mesures énergiques doivent être prises pour enrayer ce phénomène, à commencer par l’interdiction pure et simple de la mendicité des enfants. Leur place n’est pas dans la rue, mais plutôt à l’école. Les campagnes de sensibilisation et l’insertion des adultes dans la sphère économique sont certes importantes et nécessaires, mais elles doivent s’accompagner de la volonté ferme des autorités de mettre un terme à cette situation qui ne nous honore pas. Le laxisme n’a pas sa place dans la résolution d’un tel problème.
La violence, comme nous la vivons aujourd’hui, tend malheureusement à se banaliser. Il se passe, rarement, en effet, un seul jour, sans que l’écho de tueries, de harcèlement et déplacement forcé de populations ne nous parvienne. La souffrance humaine atteint un niveau rarement observé.
Elle est d’origine multifactorielle.
Au plan politique, elle est exacerbée par une mauvaise gouvernance et un exercice démocratique en deçà des normes admises. La corruption politique, la délinquance financière et tous les maux qui s’y attachent deviennent un mode de vie. La mauvaise répartition des richesses, détenues par une minorité au détriment de la grande majorité qui vit dans un état de dénuement complet, crée des frustrations de tous genres qui s’expriment dans les violences gratuites auxquelles il est donné d’assister régulièrement en de multiples occasions.
Les saccages des biens publics et privés à la suite d’émeutes ou de manifestations, loin d’être des phénomènes épisodiques, sont des signes avant-coureurs d’une défiance vis-à-vis d’un système qui ne se souci que peu des vrais problèmes des populations.
Les valeurs morales et spirituelles, qui constituent le ciment de la société, s’érodent et font place à toutes sortes de pratiques avilissantes : de l’achat/vente des sujets d’examen à l’abus quotidien des biens sociaux, du délit d’initié à la promotion politique et administrative des bandits de haut vol, de l’exhibitionnisme aux comportements les plus extravagants du nouveau riche. Les pays occidentaux, qui doivent rire sous cape de cette caricature de la démocratie, s’en accommodent et veillent, à ce que soient saufs les apparences, les rituels et, surtout, leurs intérêts !
La violence, dans ces conditions, reste le pendant de l’incapacité de la classe dirigeante à imaginer, à innover, à proposer des solutions alternatives à des populations angoissées, désespérées, souffrantes, notamment dans sa frange juvénile, la plus importante, mais aussi, la plus meurtrie, celle devant laquelle ne s’ouvre que le néant.
Ces pratiques, à l’évidence, préparent à des lendemains douloureux.
La classe politique, qui en aura l’entière responsabilité, se doit de se remettre en cause pour éviter que cette violence latente ne se libère !
Au plan économique, l’ordre économique mondial a toujours confiné notre pays dans un rôle de pourvoyeur des richesses, soit en tant que facteurs de production, qu’il s’agisse de la fourniture de main d’œuvre, de l’économie de traite ou de simple producteur de matières premières, soit en tant que débouché des produits industriels, soit enfin en tant que créancier des institutions financières bilatérales ou multilatérales.
C’est là, la signification réelle, pour nous de ce qu’on appelle la mondialisation !
De nos liens économiques avec les grandes puissances qui dominent le monde, le pays s’appauvrit irrémédiablement et cet appauvrissement nourrit la violence. Y’a-t-il pire violence que celle qui amène la mère à assister, impuissante, à la mort silencieuse de son enfant par inanition, du paysan obligé de brader le fruit de son dur labeur à vil prix parce qu’à Londres ou à New York, le cours de ces produits s’effondre à la suite de transactions spéculatives ? Y’a-t-il pire violence que celle qu’infligent les morsures d’un ventre creux, ou de la gorge en feu, faute d’eau potable pour étancher sa soif sous un soleil de plomb ? Y’a-t-il pire violence que celle qui consiste, pour ce jeune, sorti à peine de l’adolescence, à braver le désert, les mers et la clandestinité pour que lui et les siens puissent connaître un peu de répit dans leur malheureuse vie ?
D’un bout à l’autre de notre pays, combien sont-ils à vivre au quotidien cette vie sans espoir, sans le moindre répit pour gagner, un jour, un seul jour de toute une vie ?
Certes, nous sommes dans le train de la mondialisation avec nos modestes moyens ; elle est orchestrée par les plus forts au détriment des plus faibles et ne connait pas d’état d’âme. Mais cela nous oblige-t-il à confier notre destinée aux autres ? Ne pouvons-nous pas par nous-mêmes, nous tailler une place honorable au banquet des nations ? Sommes-nous obligés d’importer l’essentiel de notre alimentation quand nous disposons d’atouts pour nourrir toute l’Afrique de l’Ouest ? Est-il normal qu’après soixante ans d’indépendance, notre capacité industrielle soit si insignifiante, que le taux de scolarisation soit si bas, que l’accès à l’eau potable, malgré notre situation hydraulique, soit un luxe pour une frange importante de la population ? Est-il concevable que nous profitions si peu de nos richesses minières dont l’essentiel des profits est capté par les multinationales du secteur ?
Il y a là autant de questions de développement, qui appellent des réponses autres que les succédanés de politiques actuelles. Il est temps que l’on se réveille, que l’on change de braquet, que l’on arrête cette course vers l’abime et que l’on intègre cette nécessaire capillarité sociale qui nous commande de bâtir un meilleur avenir pour nos enfants et nos petits-enfants. L’histoire a fait de nous un grand peuple, mais notre trajectoire, depuis un moment déjà, ne s’inscrit plus dans cette dynamique. C’est donc, encore une fois, le lieu d’en appeler à l’engagement, au sens du devoir, au patriotisme de tous ceux et de toutes celles, et Dieu sait qu’ils sont nombreux, qui aspirent à vivre un autre Mali, plus travailleur, plus solidaire, plus ambitieux et plus harmonieux, dans la paix des cœurs et des esprits. Que les grands et brillants intellectuels, que les travailleurs acharnés, que les valeureux, que les patriotes, que les meilleurs d’entre nous, s’impliquent plus dans la vie de notre nation. L’évitement et le silence sont coupables et permettent aux fossoyeurs de la république et, à tous ceux qui ne la voient que comme une vache à lait, de s’incruster et de perdurer.
Au plan culturel, l’agression que nous subissons reste très certainement la plus nocive en raison de son caractère insidieux.
Sans remonter au temps de l’assimilation culturelle coloniale, où le noir africain apprenait, à coup de matraque, que « ces ancêtres étaient des Gaulois aux yeux bleus et aux cheveux blonds », il suffit de relever l’extrême engouement des populations et de l’élite pour tout ce qui vient d’occident. De plus en plus, nos valeurs sociales traditionnelles cèdent le pas à celles en provenance de ces pays occidentaux. Ce mouvement s’accélère du fait de l’ouverture au reste du monde, en raison des progrès technologiques. Partout, les feuilletons de Série C font exploser, quotidiennement, l’audimat de la Télévision, pendant que le Net ouvre de nouveaux espaces de tous genres, jusqu’aux plus sordides. On en oublie presque les efforts titanesques, au regard de leurs moyens dérisoires, de quelques cinéastes africains qui se battent, sans répit, pour garder aux Africains un peu de leur identité et de leur personnalité. Le sens du mimétisme nous amène à embrasser le mode de vie et de pensée de l’occident, y compris la violence qui s’expose dans ces sociétés. Déracinés, dépersonnalisés, pareil à la chauve-souris, à la fois animal et oiseau, nous ressemblons de plus en plus à ce navire qui a rompu ses amarres et vogue, sans ancre ni boussole, sur une mer de souffrance, à la recherche de son identité perdue.
D’une manière générale, cette violence est objectivement inéluctable parce qu’inscrite, autant dans les relations entre l’Afrique et l’Occident, que dans la situation intrinsèque du continent. Elle est le reflet de la désespérance qui résulte elle-même de la pauvreté, c’est -à- dire de l’incapacité d’un individu à satisfaire ses besoins premiers de nourriture, de santé, d’éducation et de logement, etc.
La pauvreté de pays comme le Mali, devrait interpeller les Occidentaux au plus haut niveau, car ils savent que la pauvreté engendre la violence et constitue le socle sur lequel repose le terrorisme. Céder à la tentation de laisser ces pays du sahel à leur triste sort en leur accordant quelques subsides pour soulager leur conscience, tout en se barricadant derrière des lois de plus en plus répressives contre l’émigration et, concomitamment, en continuant à les dominer et à les exploiter, serait extrêmement préjudiciable pour eux. Ne serait-ce que pour se préserver eux-mêmes, ces pays se doivent d’aider réellement le Mali et ses voisins du Sahel à sortir de la pauvreté afin, d’éviter, à terme, que ces pays ne basculent du côté de ceux qui ont fait du terrorisme leur moyen d’expression et d’action.
Gardons à l’esprit cette pensée d’Amilcar CABRAL : « les intellectuels africains doivent se sacrifier » en inscrivant leurs actions dans la dynamique de construction d’une autre Afrique tournée vers un véritable développement économique, social et culturel. Méditons aussi sur les paroles de Monseigneur GARNIER : « Toute Nation qui supporte, en connaissance de cause, qu’un quelconque de ses citoyens souffre l’injustice, sans nul espoir de changement, porte en elle même, les germes de sa propre destruction ».
Par Boubacar Siddick Diallo,
Président de l’Association Kewaléton (AKT)