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Décryptage : Le Sahel en zone grise

Ce matin, dans décryptage, la question de l’opportunisme, cette tendance à tirer profit des circonstances du moment, peu importent les conséquences. Ce mot vous semble exagéré ? Pourtant, nous sommes en dehors de l’exagération au regard d’instabilité de nos Etats.

Connoté, le mot opportunisme désigne un sentiment de trahison, suscitant la méfiance. Les langues maliennes caractérisent très bien l’attitude opportuniste : naataba en bambara, sarkaberekaw ou ɲoosante en songhay. Il traduit notre inconstance, c’est-à-dire notre incapacité à respecter un cadre établi : juridique, organisationnel, politique ou sociétal.

A l’origine de l’opportunisme, il y a bien un sentiment de vulnérabilité, un manque de prise sur notre existence. Proche du conformisme, l’opportunisme est donc l’inverse de la pondération. Etre opportuniste, c’est changer d’avis à tout va, ne pensant qu’à soi.

Etre opportuniste, c’est donc être sans limite, vivre avec l’autre avec le risque de l’abandonner. Différent du mot opportunité traduisant les occasions d’une affaire à saisir, l’opportuniste ruse. Il change d’avis pour aller dans le sens de ce qui l’arrange. Il ne respecte pas le contrat. Il ment. Il est douteux. Il a mauvaise réputation.

Il apparait là où on ne l’attend pas. Il reste incontrôlable. Il s’adapte à toutes les situations pourvu qu’il trouve son compte. Il n’est pas fiable et n’inspire pas confiance. Dans la hiérarchie des comportements néfastes, l’opportunisme est le comportement suprême, à placer à la même échelle que la prédation. Aujourd’hui, dans un Sahel en zone grise, les attitudes opportunistes rongent les régimes fragiles.

L’attitude opportuniste entraine un défaut de développement

La corruption illustre le comportement opportuniste : détournement de fonds publics au profit de sa famille, accaparement des terres, blanchiment d’argent, etc. L’attitude opportuniste entraîne un défaut de développement et de justice sociale. Lorsqu’on tripatouille une élection pour être conseiller municipal, député ou président de la République, on est en présence d’un comportement opportuniste.

Alors même que notre attitude contribue à créer une crise postélectorale. Lorsque l’on orchestre un putsch, on pratique l’opportunisme. D’ailleurs, le putsch est comme cet épouvantail que les agriculteurs agitent dans les champs pour faire diversion. Mais sans plus. Avec le putsch, en quelques heures, le pouvoir démocratique est lynché par la meute des mêmes personnes qui l’ont géré.

Soudain, les stades se transforment en un outil de manipulation et un espace d’ensemencement de la confusion. On perd en lucidité, et on glisse dans la fureur et la violence. Dans ce cas, certains tirent le diable par la queue. D’autres tirent les marrons du feu. Dans un tu et à toi sans nom, on se fiche de nos engagements. Ainsi, la paralysie de la démocratie se propage.

Le combat pour la démocratie est celui d’une génération contre l’opportunisme

Aujourd’hui, le courage exige la lucidité. Il permet d’ouvrir les yeux sur les dérives et le mal-être de nos sociétés, entrainés par les pratiques opportunistes. Face à ces malaises, il n’est pas trop tard pour refuser le mensonge confortable, devenu l’alpha et l’oméga de la gouvernance.

Redevenons dignes, car comme dit Aimé Césaire, “nous sommes tout simplement du parti de la dignité et du parti de la fidélité”. Face à l’histoire, un des enjeux majeurs de notre génération, c’est le combat pour la démocratie et contre l’opportunisme.

Laquelle génération (toutes catégories socioprofessionnelles confondues) doit résister aux tentations opportunistes, devenues les supplices de nos démocraties. D’ailleurs, la démocratie, quelle que soit sa vulnérabilité, est une œuvre qui mettra du temps à se réaliser et à être satisfaisante.

Dans ce cadre, la construction des systèmes démocratiques s’impose à nous tous pour sauver le peu de biens culturels, sociaux et politiques hérités des luttes sociopolitiques des années 1990 au Mali, 2011 au Niger, 2014 au Burkina Faso, etc. Une meilleure façon de ne pas être indifférent aux sorts des populations en prise avec l’insécurité. Le moment est donc venu de substituer la justice et la loi à la vengeance.

Cessons de faire l’opportuniste comme le renard

Certes, le Sahel est empêtré dans des épreuves d’existence complexes où les rapports de force se redéfinissent sans cesse. Mais, l’enjeu reste la lutte contre le terrorisme, qui se propage au vu et au su de tout le monde. Les tueries récentes l’illustrent : 5 août 2023, plus d’une quinzaine de morts à Bodio (Bandiagara) dans une attaque narcoterroriste, une vingtaine de morts à Nohao (Burkina Faso) le 6 août 2023.

Des visages s’assombrissent. Le mensonge fait loi. La terreur règne. Les dirigeants sont embarrassés par les difficultés à ramener la sécurité alors même qu’une partie de la population croyait dur comme fer que le pouvoir militaire serait une solution à l’insécurité. Ce qui soulève bien évidemment la question de leur capacité à gouverner.

Les populations fatiguent comme à Bandiagara, Niamey ou à Ber. Elles ont le sentiment d’être condamnées entre putsch militaire et crise sécuritaire. Relevons-nous pour agir sur le plan culturel, économique, politique et social. Inscrivons-nous dans des gestes collectifs, citoyens et démocratiques.

Cessons de faire l’opportuniste comme le renard. Cet animal rusé de nos villages qui gruge nos poules, profitant de l’obscurité de la nuit. Les prises de pouvoir actuelles par l’armée dans le Sahel rappellent d’ailleurs cette ruse du renard.

Dans un Monde où le mensonge est malheureusement de plus en plus scénarisé pour retourner les opinions, méditons sur cette phrase de Camus : “Il faut mourir, et démontrer une fois de plus que la révolte, lorsqu’elle est dérèglée, oscille de l’anéantissement des autres à la destruction de soi…”

Mohamed Amara

(Sociologue)

Mali Tribune

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