Il y a 75 ans, les forces alliées débarquaient en Provence. La cérémonie a lieu ce jeudi 15 août à Saint-Raphaël dans le sud de la France. A l’honneur, les 450 000 soldats qui participèrent au débarquement allié en Provence en 1944. Une opération menée par les forces américaines et françaises, mais qui n’aurait jamais pu se faire sans les soldats des anciennes colonies, notamment ceux d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne. Pour leur rendre hommage, deux chefs d’État du continent seront présents aux côtés d’Emmanuel Macron, l’Ivorien Alassane Ouattara et le Guinéen Alpha Condé.
Ce jeudi, comme chaque année, c’est l’histoire partagée entre la France et l’Afrique qui sera à l’honneur en Provence. Pour célébrer la mémoire des soldats du continent morts pour la France le 15 aout 1944, plusieurs discours sont annoncés. Celui d’Emmanuel Macron,qui entend souligner une fois de plus le rôle joué par les combattants issu des anciennes colonies françaises.
Discours aussi du président guinéen Alpha Condé, un des deux dirigeants africains invités. Dans un autre registre, moins officiel, la parole sera également donnée à David Diop, lauréat du prix Goncourt des lycéens en 2018 pour son livre intitulé Frère d’âme, récit des souffrances d’un tirailleur sénégalais pendant la Première Guerre mondiale.
Aucune intervention d’Alassane Ouattara n’est annoncée. Mais le chef d’État ivoirien est convié à diner avec Emmanuel Macron dans sa résidence d’été, selon les informations de l’hebdomadaire Jeune Afrique.
La cérémonie de ce jeudi fera écho à celle de Reims, en novembre dernier organisée à l’occasion du centenaire de l’armistice. Le président Macron avait honoré la mémoire des combattants africains de la Grande Guerre en présence du président malien Ibrahim Boubacar Keita. « IBK » avait inauguré alors un monument dédié aux héros de l’armée noire.
Une tribune pour« réveiller l’intérêt de l’État français »
Les pays africains sont des habitués du débarquement en Provence, pour le 50ème anniversaire, ou encore le soixante dixième, plus d’une vingtaine d’entre eux étaient représentés.
Cependant, cette présence traditionnelle aux commémorations n’était pas suffisante. Un groupe d’historiens, d’artistes, de sportifs et d’élus ont cette année exhorté Emmanuel Macron à organiser un événement à la hauteur de l’investissement des soldats venant d’Afrique. Ils ont signé une tribune dans le journal Le Monde début juillet.
« L’absence de commémoration publique était une erreur à la fois citoyenne, mémorielle, mais aussi en termes de valeur éducative, souligne l’historien Pascal Blanchard, un des signataires. Notre tribune avait pour unique intérêt et désir de réveiller l’intérêt de l’État pour cette commémoration. »
Cette tribune a été bien accueillie par Emmanuel Macron, selon Pascal Blanchard. « Le président de la République a répondu lors du dialogue à l’Élysée sur les diasporas, et a clairement fait le lien entre cette tribune et la nécessité pour la gouvernement français, non pas de laisser passer le temps, mais de commémorer, ce à quoi il s’est engagé. »
Le rôle majeur des Africains
C’est que l’Afrique a joué un rôle majeur dans la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le continent est d’abord le lieu du débarquement anglo-américain en 1942 et de la renaissance de l’armée française.
Celle-ci se retrouve avec l’Armée d’Afrique baptisée dans un premier temps l’armée B et appelée au final la première armée.
Dans ses rangs, deux tiers des soldats viennent d’Afrique du Nord, parmi lesquels 233 000 sont des indigènes appelés à l’époque « musulmans ». Et ce sont eux qui sont en première ligne aux côté des alliés lors du débarquement de Provence le 15 août 1944. Les jours suivants, ils libéreront Marseille et Toulon.
Magrhebins et tirailleurs sénégalais issus de toute l’Afrique subsaharienne foulent pour la première fois de leur vie le sol de la métropole. Mais le tribut est lourd pour ces indigènes. De 1940 à 1945, 55 000 soldats africains sont tués.
Un autre problème s’ajoute au décompte des disparus : celui de la reconnaissance des survivants. L’État français gèle le montant de leurs pensions militaires au moment de la décolonisation. Il faudra attendre 2002 pour assister à une série d’actes de revalorisation de cette pension par les autorités françaises. Une reconnaissance tardive pour des hommes qui ont contribué à la libération d’un pays.
Tunisie: comment se transmet la mémoire du débarquement de Provence
Plus de 46 000 Tunisiens ont été mobilisés pour la Seconde Guerre mondiale, alors que le pays était sous protectorat français. 13 612 sont morts. Près de 5000 d’entre eux ont été mobilisés pendant le débarquement de Provence le 15 août 1944. Mais aujourd’hui, mis à part des cimetières pour les combattants morts et deux musées militaires, les traces immatérielles de la guerre sont quasi absentes.
« Puisque la campagne de Tunisie s’était terminée de façon très hâtive dans la mesure où les Français partaient en Italie combattre sur le front italien, on n’ a pas eu le temps de mobiliser un grand nombre de Tunisiens, explique l’historien Fayçal Cherif. Il est donc très difficile de trouver des témoignages de ces combattants pour une question d’âge et aussi parce que jusqu’aux années 1970 ou 1980, on ne s’y intéressait pas. »
Peu d’intérêt académique et une histoire négligée. Dans les livres scolaires, aucune trace du point de vue tunisien, tabou, car les soldats se battaient pour une force coloniale.
« On n’a par exemple aucun chapitre consacré à la Tunisie pendant la Seconde Guerre mondiale, déplore Fayçal Cherif. Que ce soit à l’impact de cette guerre, ou à la participation de la Tunisie à cette guerre. »
Aujourd’hui, l’histoire de la guerre se transmet parfois au sein du cercle familial. Mais les historiens réclament un travail de transmission et de mémoire collective. « On doit franchir un petit peu ce stade d’idéologie ou de connotation péjorative sur cette période du passé », insiste Fayçal Cherif.
Il s’agit non seulement de s’approprier l’Histoire, mais surtout de rendre hommage à ces Tunisiens, qui se sont battus dans plusieurs guerres pour la France, de la Crimée à l’Indochine.
RFI