Le 29 juin 2020, le Conseil de sécurité a prolongé le mandat de la Minusma pour une année supplémentaire, en maintenant ses 13.289 soldats et 1920 policiers. Sa principale priorité stratégique reste l’appui à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, piloté par un Comité de suivi, lequel se réunira ce jeudi à Kidal pour la première fois. En prélude à cet événement inédit, nous avons fait un gros plan sur la Mission onusienne dont l’action devrait être considérable dans la protection des civils devenus la cible des groupes armés terroristes,
particulièrement dans les Régions de Mopti et Ségou
Sans doute, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) fait un travail remarquable en soutien au processus de mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, qui prend en compte les dimensions politique et institutionnelle de la crise et les aspects touchant la gouvernance, la sécurité, le développement et la réconciliation. Ce qui a permis d’engranger des résultats sur le terrain. La prochaine session du Comité de suivi de l’accord (CSA), spécialement prévue à Kidal, sera certainement l’occasion de faire un bond en avant. Cependant, les acquis de ce processus de paix, en lequel tout le monde voudrait voir une panacée de la crise, sont quelque peu assombris par la situation sécuritaire dans les Régions de Mopti et Ségou.
Nul besoin de rappeler que la Minusma n’est pas un outil de guerre et qu’à cet égard, ses éléments n’ont aucunement mandat d’aller au combat contre les groupes armés. Cependant, aujourd’hui, l’efficacité et l’efficience des efforts de la Mission onusienne devraient trouver dans le travail des Casques bleus leur expression la plus visible, à travers une réelle protection des civils contre des groupes armés qui recourent à des méthodes guerrières répugnantes. Tueries de masse, cheptel enlevé, rizières et champs de mil incendiés au moment des récoltes… font l’actualité des Régions de Mopti et de Ségou ces dernières années. Sans compter des milliers de personnes forcées à l’exode, abandonnant villages et champs. Le dernier rapport du Cadre harmonisé de novembre 2020 annonce pour la période de soudure agricole (juin à août 2021) 955.000 personnes en insécurité alimentaire.
L’ampleur du drame devrait amener à faire de la protection des civils une priorité. Et contribuer ainsi à atténuer l’exaspération de ces agriculteurs et éleveurs dans la précarité qui servent désormais de munitions au terrorisme. Hélas ! Le partenaire fait mine de battre la coulpe à coup d’enquêtes, de communiqués de condamnation et de discours sur les responsabilités en matière de protection des populations. La rhétorique sur la responsabilité première de l’État n’est certes pas dénudée de sens, mais il n’en demeure pas moins que c’est aussi le devoir de la communauté internationale de prévenir la violence dans les zones où les forces nationales sont dans l’incapacité.
RÉDUIRE LES VIOLENCES- Les différentes résolutions du Conseil de sécurité rappellent cette part de responsabilité. On parlait par exemple dans la Résolution 2423 (2018) de «patrouilles énergiques et efficaces dans les zones où les civils sont en danger», et on en vient à prioriser en 2019 (Résolution 2480) des «mesures évolutives, souples, énergiques et proactives pour protéger les civils». Puis dans la résolution 2531 (2020), le Conseil demande, «instamment aux autorités maliennes de prendre rapidement des mesures pour protéger les civils… Et à la Minusma, une protection des civils sous une menace imminente de violence physique…». Le progrès dans le discours est tout à fait considérable, chacun doit en convenir !
Dans la pratique, soutient-on au sein de la Mission, plusieurs opérations militaires ont été lancées pour contribuer à réduire les violences sur les populations et à ramener le calme dans les zones où les tensions communautaires sont signalées. Durant les six derniers mois (jusqu’au 26 janvier 2021), plus de 691 patrouilles auraient été réalisées dans le cadre de l’opération Buffalo. En plus de ce dispositif, les Casques bleus ont conduit une série d’opérations dites proactives qui auraient permis de desserrer l’étau des groupes armés terroristes sur les populations civiles. On souligne également le déploiement des moyens pour dissuader les attaques et protéger les civils, notamment à la suite d’alertes reçues à travers la ligne verte gratuite qui a été lancée à Mopti depuis le 16 janvier 2020.
Pour autant, la Minusma ne demeure pas moins, aux yeux de la majorité des populations de Mopti, qu’un adepte du faire semblant. «Les Casques bleus ne répondent presque jamais aux alertes, fulmine Mamadou Goudienkilé, membre du groupe d’autodéfense Dana Ambassagou. On les informe des menaces, mais ils ne font rien ». Dramane Yalkouyé de l’Association Ginna Dogon renchérit : «Les organisations de la société civile ont plusieurs fois rencontré la Minusma sur la question de protection. Mais, il n’y a pas de suivi. Il n’y a jamais de retour même quand on leur donne des informations vérifiables sur le terrain. A la limite, je crois que ces rencontres sont justes organisées pour la forme».
Ces sentiments sont largement partagés dans la région. Une combinaison de facteurs – que ce soit le manque de réactivité de la Mission, réel et perçu, ou une manipulation politique délibérée – a eu pour résultat que les civils détestent les Casques bleus. D’où la récurrence des manifestations contre la Mission. On se souvient notamment du spectacle dramatique de pillards portant sur la tête le butin provenant des containers éventrés de la Minusma, en octobre 2019 à Sévaré. Et depuis janvier 2020, plusieurs associations de Bandiagara et de Bankass demandent à la Mission onusienne d’évacuer son personnel de la région. Les récriminations en disent long sur le décalage entre la demande et l’offre de sécurité, particulièrement dans le pays Dogon.
Il convient cependant de noter que la Minusma est tributaire des contributions en matériel et en hommes que lui apportent plusieurs pays. Or, chaque pays arrive avec ses clauses qui, parfois, ne collent pas aux besoins réels sur le terrain. «C’est ça en réalité le problème », analyse le sociologue Dr Aly Tounkara, pour qui la situation pose fondamentalement la question de l’offre et de la demande de sécurité, en termes d’adaptabilité et d’efficacité. Ainsi, conseille-t-il, à défaut d’un nouveau mandat, les autorités maliennes doivent exprimer clairement leurs besoins aux pays contributeurs. «Il est important qu’on exprime ce qu’il y a comme besoins, avant qu’un pays ne vienne en aide au Mali sous la coupole Minusma. Et ce sera aux différents États partenaires de s’inscrire dans les stratégies et dans les visions développées par le Mali dans les domaines à partir desquels il entend avoir des soutiens», selon l’universitaire. À cet égard, notre pays pourrait s’inspirer des cas soudanais et congolais.
Issa DEMBÉLÉ
Source : L’ESSOR