La crise sécuritaire avait mis à genou de nombreux hôtels. La pandémie est venue les mettre carrément à terre. Les restrictions au voyage et la réduction de l’activité économique les privent totalement de la clientèle
Assis devant une boutique, le regard perdu, Moussa Konaté déprime depuis 6 mois. Il a perdu son emploi, sa seule source de revenu, à cause de la Covid-19. «J’ai l’impression de perdre la tête. Je sors tôt le matin de la maison tous les jours à la recherche de travail en vain. Je ne sais plus quoi faire alors que j’ai quatre enfants et une femme à nourrir», se lamente celui qui était chauffeur dans un hôtel de la place.
De plus en plus de personnes, travaillant dans l’industrie hôtelière se retrouvent dans la même situation que Moussa. En témoignent les complaintes d’Ami Kanté, réceptionniste dans un l’hôtel. «Trouver un repas quotidien est presque impossible. J’ai bu un verre de thé ce matin en guise de déjeuner et je ne sais pas si j’aurai de quoi manger aujourd’hui», s’attriste-t-elle, l’air désemparée.
Ces cas ne sont pas isolés. L’hôtellerie souffre vraiment de la crise liée à la pandémie de la Covid-19. Il est 13h00 devant un hôtel, sis au Quartier du fleuve à Bamako. L’agent de sécurité, un sexagénaire, nous conduit à la réception. Le hall a l’allure d’un vestibule étroit. Dans un coin à gauche, est aménagé un espace où sont collectionnés des objets d’art (bracelets, bogolan et autres souvenirs du Mali). à droite, un long mur dégradé par endroits et dont la peinture accuse un coup. Aucun client à l’horizon. «Nous sommes sur le point de fermer l’hôtel, sauf un miracle, selon la hiérarchie», confesse Mme Samaké Hawa, chargée de la clientèle.
En effet, depuis le coup d’état de 2012, l’industrie hôtelière malienne broie du noir. Leurs espoirs se brisaient au fur et à mesure que le rouge envahissait la carte du Mali au niveau des chancelleries occidentales, une manière pour celles-ci de déconseiller ces zones à risque pour les touristes. Un malheur ne venant jamais seul, la crise sanitaire s’est abattue sur la tête des promoteurs d’hôtel.
Pour faire contre mauvaise fortune bon cœur, le personnel consent des sacrifices. «Nous nous sommes séparés de 35 employés et stagiaires. Sur 48 chambres, seulement cinq sont occupées actuellement. De plus, il arrive souvent qu’on ait une seule chambre occupée. Dès que les derniers clients libèreront leurs chambres, l’hôtel fermera», se lamente Mme Samaké Hawa.
PERTES COLOSSALES- Autre hôtel, même réalité. Dans cet établissement de haut standing à l’ACI, les pertes chiffrées donnent des vertiges. Entre une visio conférence avec des partenaires et trois téléphones qui sonnent sans cesse, le directeur commercial est visiblement débordé. «Dans les conditions normales, j’ai un assistant qui a été licencié après un congé technique», confie Toumani Sidibé. Environ 90% du personnel a subi le même sort. Seulement 25 agents y travaillent actuellement, contre 130 employés avant la crise. Motif : l’hôtel rapportait 6 milliards Fcfa par an, contre près d’un milliard Fcfa cette année, évalue le directeur commercial. La raison est que séminaires, colloques, rencontres internationales et autres formations, qui étaient les principales sources de recettes, se font par visioconférence à cause du coronavirus. Aussi sont-ils obligés de recevoir un nombre restreint de personnes afin de respecter les différentes mesures sanitaires : ce qui affecte la rente.
Au niveau de cet autre hôtel au Quartier du fleuve, on annonce des pertes vertigineuses de 182 millions de Fcfa sur l’hébergement et la restauration depuis le début de la Covid-19. L’administration «a dû prendre des mesures drastiques pour continuer à opérer. Sur un effectif de 45 employés, 25 ont été remerciés», confirme Mariam Kalil, représentante commerciale. Même constat au niveau de l’un des plus grands établissements hôteliers de la capitale. Dans le grand hall, sombre par endroits, on aperçoit une dizaine de personnes. Au fond, à gauche, une serveuse mixe un cocktail et sert des croissants. Ouvert sur le bar principal, un long couloir débouche sur un deuxième café vide et obscur. Le restaurant contigu à ce bar est poussiéreux. Pas un seul client ; les lumières sont éteintes.
Derrière, est située la piscine. Elle est entourée par un magnifique jardin. Seule une expatriée y prend un bain de soleil. Sous une hutte, une dizaine de militaires prennent un déjeuner. D’après un employé qui requiert l’anonymat, «plusieurs employés ont été remerciés car on n’arrive pas à faire face aux dépenses. Sur 191 chambres, seule une quarantaine est occupée».
De nombreux hôtels existent dans les régions de Mopti, Tombouctou, Gao. Des zones touristiques par excellence en temps normal. Depuis l’éclatement de la crise, beaucoup ont fermé leurs portes. «Certains de mes amis travaillaient dans ce milieu, aujourd’hui, beaucoup sont à Bamako», constate Salia Dembélé, membre du syndicat des employés d’un hôtel de la place. D’autres sont devenus agents de sécurité, ajoute-t-il. La grande majorité se retrouve au chômage et quelques-uns ont migré vers les pays limitrophes.
14.089 EMPLOIS DIRECTS- Pour Bertin Kwadio, gérant d’hôtel, tout le secteur de l’hébergement et de la restauration est affecté. «Les chambres sont vides, parfois un ou deux clients se présentent, rarement plus», décrit-il.
Sur la quinzaine d’hôtels visitée, six ont déjà fermé leurs portes ou se préparent à le faire, à moins d’avoir un appui des autorités. Qui tarde à venir, déplore Mariam Kalil, employée d’hôtel. à défaut d’aide financière, elle suggère une exonération sur les taxes de 2020 et 2021. Mme Samaké ajoute que son directeur a plusieurs fois rencontré les autorités à cet effet, sans succès.
Interrogé à sujet, le président de la Fédération nationale de l’industrie hôtelière du Mali (FNIHM) est formel. «Nous n’avons reçu aucune forme d’assistance. L’ex-président Ibrahim Boubacar Keïta avait promis un fonds à notre industrie. Malheureusement, il y a eu un changement de régime», dit Moussa Baga Samaké. Pendant ce temps, les impôts réclament à certains les impayés de 2016, 2017 et 2018, s’étonne-t-il, révélant avoir exposé le problème au gouvernement de Transition à travers le ministère de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme.
Certains hôteliers n’attendent rien de l’état malien. «Des voyageurs ont été mis en quarantaine ici à leur sortie de l’aéroport au compte de l’état en pleine crise sanitaire. Jusqu’à présent, nous n’avons pas été payés», rappelle Mme Samaké Hawa, chargée de la clientèle dans un hôtel. En réalité, toutes les économies du monde sont affectées par cette crise sanitaire. Au Mali, l’incidence de la baisse de l’activité économique pour cause de la pandémie est évaluée 274,028 milliards de Fcfa. Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), le tourisme international a plongé de 22% au premier trimestre et pourrait reculer de 60 à 80% sur l’ensemble de l’année.
La direction nationale du tourisme et de l’hôtellerie a procédé à une évaluation de l’impact de la Covid-19 durant un mois (mi-avril à mi-mai 2020), afin de déterminer son impact sur le secteur. Il ressort que 1.856 entreprises et 14.089 emplois directs ont été affectés par la crise. En tout, 13.231 personnes ont marqué un arrêt de travail. Le cumul des salaires est estimé à 2,2 milliards de Fcfa pour les employés en arrêt de travail pour l’ensemble du secteur. 94% du personnel est en arrêt de travail, contre 6% d’emplois maintenus. Pour y faire face, le ministère de l’Artisanat et du Tourisme dans un document intitulé : «Synthèse du rapport général d’évaluation de la crise de la pandémie de Covid-19 sur le secteur du tourisme du Mali», s’aligne sur les conclusions de l’OMT qui préconise la mise en place d’une subvention d’état pour le paiement des charges fixes des entreprises sur trois mois, un gel et l’échelonnement des échéances fiscales (impôt sur les sociétés, sur les bénéfices industriels et charges sociales) et la mise en place d’un fonds pour la relance du secteur du tourisme.
Ce qui permettrait de sauver les empois perdus. Surtout que les employés libérés ou mis en congé technique sont des serveurs, des chauffeurs, des cuisiniers, des techniciens de surface, des informaticiens, des agents commerciaux, des réceptionnistes, etc. Une minorité dit avoir été indemnisée. La grande majorité a été remerciée sans compensations. «Il y a eu une réduction de 30% sur les salaires de ceux qui continuent de travailler. Les autres ont reçu leurs droits et d’autres avant d’être renvoyés», confirme Salia Dembélé, membre du syndicat des employés d’un hôtel.
Au regard d’un nouveau confinement imposé de par le monde à cause de la recrudescence du nombre de personnes infectées par le coronavirus, le secteur hôtelier malien, qui subit déjà le manque de touristes, résisterait-il a une autre fermeture des frontières et un autre couvre-feu ? Le directeur national adjoint du tourisme, Djibril Niaré, déconseille vivement une restriction sur la mobilité des personnes car le secteur du tourisme vit de la mobilité. Il suggère de «travailler pour rompre la chaîne de transmission» en exigeant le respect des mesures barrières : port du masque, usage du gel hydroalcoolique, respect de la distanciation sociale.
Oumar SANKARÉ
Source : L’ESSOR