La course à la succession deModibo Kéïta semble plus que jamais ouverte sous le ciel bamakois où la rumeur sur la nomination du nouveau Premier ministre enfle, à tel point que l’imminence devient quasiment horaire. Des noms circulent, allant des personnalités les plus crédibles aux figures les plus improbables. Mais, les “Premier ministrables” les plus plébiscités tournent autour de quatre personnages, de hauts cadres du pays. Il s’agit de BocaryTréta (homme politique et ancien ministre), Soumeylou Boubeye Maïga (homme politique et ancien ministre), Mohamed Ag Erlaf (ministre de la Décentralisation et de la réforme de l’Etat) et Michel Sidibé (directeur exécutif de Onusida). Chacun de ces prétendants justifie d’atouts solides favorables à sa nomination, mais aussi de préjugés défavorables qui l’éliminent de la course. Alors, qui pour succéder à Modibo Kéïta ? Revue d’arguments !
La formation du nouveau gouvernement n’est, en principe, qu’une question de semaines ou de jours, voire même d’heures. Tous les signes y concourent, à l’instar de l’administration qui est complètement paralysée, des cabinets ministériels au plus bas des services déconcentrés. C’est dire qu’à tout moment, la nouvelle, tant attendue, peut tomber ; avec la certitude du départ du Premier ministre Modibo Kéïta et le suspense sur son successeur avec plusieurs noms tournant en boucle.
Bocary Tréta, le Premier Ministre naturel ?
Depuis l’arrivée d’Ibrahim Boubacar Kéïta (candidat du Rpm) à la tête du pays, BocaryTréta est immédiatement considéré par l’opinion, à tort ou à raison, comme le Premier ministre naturel et logique. Il n’y avait quasiment donc aucun doute sur sa nomination à la Primature dès septembre 2014. Mais, coup de théâtre, contre toute attente, le secrétaire général du Rpm, parti présidentiel, est écarté au profit d’un illustre inconnu de l’Administration malienne, Oumar Tatam Ly (qui fera néanmoins ses preuves à la tâche).
Mais pour beaucoup d’observateurs, ce n’était que partie remise en attendant l’issue des législatives qui détermineraient le poids politique du Président, à travers son parti et ses alliés. Effectivement, le Rpm sort majoritaire du double scrutin et, avec ses alliés, ils forment une assise politique solide pour le Président IBK. Il ne restait plus qu’à nommer un Premier ministre issu des rangs du Rpm, en l’occurrence BocaryTréta. Deuxième coup de théâtre : IBK prend Moussa Mara, ministre sous le gouvernement sortant et président d’un parti de la mouvance présidentielle.
Mara fit son temps et s’en alla. L’heure semblait, enfin, sonner pour Tréta. Autre coup de massue d’IBK qui porte son choix sur le vieux Modibo Kéïta. Le parti présidentiel est frustré. Une grande partie de l’opinion aussi. Tous crient à l’injustice. On met les bâtons dans les roues de Modibo, qui trébuche (en rendant sa démission), mais IBK le relève (en lui renouvelant sa confiance) au moment où tous voyaient Tréta au perchoir de la Primature. Pire, cette fois-ci, le super ministre du Développement rural (un poste de consolation qu’on lui confie depuis l’arrivée de Mara) est, purement et simplement, éjecté du gouvernement pour être ensuite rabaissé à la fonction de Pca de la Bms-sa. Malgré tout, Bocary Tréta jouit toujours de l’estime et de la confiance des militants du Rpm et de la plupart des responsables de formations politiques membres de la Majorité présidentielle qui jugent que le prestigieux fauteuil lui revient de plein droit. Il en est de même des leaders de l’opposition politique et membres de l’opposition parlementaire qui pensent la même chose.
Même le président IBK le tiendrait toujours en haute estime, selon certaines confidences.
Sa récente nomination comme président du Conseil d’administration de la Bms-sa ne serait ni plus ni moins qu’une stratégie pour le faire oublier afin de mieux le propulser au sommet de la Cité administrative. Autre atout et non des moindres qui milite en faveur de Tréta : le futur gouvernement (le septième d’IBK) pourrait conduire le pays aux prochaines élections générales. Dans ce cas de figure, c’est un Homme du parti qui doit être Premier ministre. Et, naturellement, le natif de Diondiori (cercle de Ténenkou, région de Mopti) est le mieux placé.
Mais, le secrétaire général du Rpm est accusé pour son ambition démesurée d’accéder au sommet au plus vite et au prix de tous les coups bas. En témoigne son indiscipline vis-à-vis du Premier ministre Modibo Kéïta qui lui a d’ailleurs coûté son poste dans le dernier remaniement.
Ensuite, il se dit que le Président IBK pense que c’est lui qui avait annoncé la rumeur de sa mort en Turquie. Ce qui avait défrayé la chronique au Mali.
Soumeylou Boubèye Maïga, le renard aux aguets
Après Tréta, celui dont le nom revient le plus, c’est l’ancien ministre de la Défense et des anciens combattants, Soumeylou Boubèye Maïga. Bien qu’il soit plutôt annoncé pour piloter une Cellule de renseignements en gestation, la nomination du président de l’Asma ne surprendrait guère aujourd’hui.
Premier indicateur : la présence active, remarquée et quasiment permanente de SBM dans les délégations du président de la République et du Premier ministre. Partout où les deux premières institutions de la République sont appelés au nom de l’Etat, Soumeylou est dans leurs bottes à visage découvert. Beaucoup d’analystes avisés y voient une relève qui se prépare, celle de Modibo Kéïta.
Deuxième indice : après l’investiture d’IBK en septembre 2014, Soumeylou Boubeye Maïga était, jusqu’à la dernière minute, le Premier ministre désigné. Mais, l’homme aurait fêté avec allégresse cet événement à son domicile avec les militants de son parti, les parents et des amis. Karim Kéïta, dont la visite à l’improviste coïncida avec la fête, n’aurait pas apprécié l’acte. Ce qui changea pour SBM le cours de l’histoire et du destin. Mais on sait que Soumeylou fait partie de ces hommes politiques qui ne disparaissent jamais, quelles que soient les circonstances. Ils résistent à tous les chocs.
Pour beaucoup de Maliens, il présente des atouts maîtres qui en font un bon Premier ministrable. C’est d’abord un homme de caractère et de conviction, doté d’une vision politique très aigue, d’un réseau relationnel solide et d’une riche expérience professionnelle. Il connaît tous les contours et les pourtours de l’Etat malien.
Soumeylou détient le record absolu de longévité à la Direction générale de la Sécurité d’État où il passa sept ans, de 1993 à 1999. A ce titre, il sait comment gérer les syndicats de travailleurs, les hommes politiques, la société civile et les étudiants. Aujourd’hui, le Mali souffre beaucoup sur ces fronts. Les questions de défense n’ont également aucun secret pour SBM pour avoir géré le département de la Défense aussi bien sous Alpha que récemment sous IBK. Le Mali a besoin d’un Premier ministre qui maîtrise ce domaine pour armer, réveiller et restructurer l’armée malienne.
Il en est de même de la diplomatie, puisqu’en 2011. Il fut le ministre des Affaires étrangères du Mali jusqu’à la chute d’ATT. Le Mali a besoin d’un Premier ministre qui puisse rehausser son image vis-à-vis de la communauté internationale.
Enfin, face à la recrudescence des actes terroristes et extrémistes religieux qui secouent l’Afrique, le Mali doit faire appel à la forte expérience de Soumeylou Boubèye Maïga, devenu expert des questions sécuritaires au Sahel et en Afrique.
Aussi, dans cette course vers le fauteuil primatorial, Soumeylou aurait le soutien de la Première Dame.
Son principal handicap, c’est qu’on le qualifie d’opportuniste et d’oiseau migrateur au gré des intérêts de l’heure. En plus, il serait capable de tous les coups bas pour parvenir à ses fins. Soumeylou Boubeye Maïga serait un vrai calculateur, qui va toujours dans la direction du vent.
Mohamed Ag Erlaf, le trait d’union
Mohamed Ag Erlaf rassemble beaucoup de suffrages pour succéder à Modibo Kéïta. Son premier atout, c’est qu’il est propre, dans tous les sens du terme.
Son deuxième avantage, c’est qu’il sert de trait d’union entre la rébellion et le pouvoir central et cela depuis 1991.
Son troisième atout, c’est sa connaissance parfaite des rouages du gouvernement et de la fonction ministérielle et qui fait de l’actuel ministre de la Décentralisation et de la réforme de l’Etat un grand commis de l’Etat. Donc un bon Premier ministre.
Mohamed Ag Erlaf est né le 12 juillet 1956 à Tessalit (région de Kidal). Il fait ses classes à l’école primaire dans cette localité de 1962 à 1971 avant de fréquenter le lycée Askia Mohamed où il passe son baccalauréat en 1975. Il poursuit ses études supérieures à l’Ecole normale supérieure (Ensup), puis à Paris III, Sorbonne Nouvelle, et à Paris VII. Il y passe un Diplôme d’études appliquées dans la spécialité Etudes africaines puis en Santé publique.
Mohamed Ag Erlaf a occupé sa première fonction ministérielle en tant que ministre du Tourisme en 1991, après la Révolution de Mars. Il est devenu par la suite, tour à tour, ministre de la Santé, ministre des Sports, ministre de l’Environnement, puis ministre de l’Emploi, de la Fonction Publique et du Travail, avant de diriger le ministère des Travaux publics et des Transports. Mohamed Ag Erlaf fut également coordinateur du Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement au Nord du Mali (Pspsdn). En 2000, il occupe le poste de directeur général de l’Agence nationale d’investissements des collectivités territoriales (Anict), jusqu’à son entrée dans le gouvernement de Modibo Keita II comme ministre de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement durable.
Son principal handicap, c’est qu’il n’est pas un homme politique dans un contexte démocratique où tout fonctionne ” politiquement “.
Michel Sidibé, l’ami du président
Michel Sidibé est un spécialiste de santé mondiale, notamment du Sida. Il est le directeur exécutif d’Onusida depuis le 1er décembre 2008. Voilà ce que les Maliens savent de ce concitoyen qui n’a pas exercé dans l’Administration malienne (ce qui constitue d’ailleurs le facteur le plus défavorable à sa probable nomination comme Premier ministre). Si son nom est cité pour être Premier ministre, c’est parce qu’il est l’ami personnel du président de la République qui lui vouerait une grande estime. Les deux hommes ont tous travaillé à la Fondation Terre des Hommes. C’est la deuxième fois que le nom de Michel Sidibé revient dans les coulisses pour occuper le poste de PM. Pas de fumée sans feu ?
Titulaire de diplômes universitaires en économie, développement international et planification sociale, Michel Sidibé a commencé sa carrière auprès des populations touarègues dans la région de Tombouctou au Mali.
En 1982, il devient le directeur pour le Mali de la Fondation Terre des Hommes, tournée essentiellement vers l’aide à l’enfance. Il a ainsi participé à la mise en œuvre des premiers programmes d’aménagement du territoire et de soins de santé primaires pour les populations victimes de la sécheresse au nord du Mali. Cet engagement a été le point de départ d’une riche carrière. Michel Sidibé, au fil de nombreuses fonctions, a acquis une réputation internationale de cadre efficace, créatif et doté d’une grande capacité à créer des partenariats entre un large éventail d’acteurs publics-privés, nord-sud et sud-sud. Notre compatriote a ainsi travaillé à l’Unicef où il avait en charge plusieurs pays d’Afrique francophone au siège de New York. Au compte de cet organisme onusien, il a aussi servi au Burundi, en République démocratique du Congo, au Swaziland et en Ouganda.
Michel Sidibé est reconnu, bien entendu, pour son engagement et les résultats qu’il a obtenus dans la lutte contre le sida.
Au cours de sa carrière, il a participé au premier mouvement d’éducation des jeunes filles en Afrique, conduit un programme de vaccination concernant 30 millions de personnes au Congo (Rdc) et négocié une aide humanitaire pendant l’embargo contre le Burundi. Beaucoup d’autres actions sont à mettre à son actif.
En 2001, Michel Sidibé entre à l’Onusida en qualité de directeur du département Appui aux pays et aux régions. Il organise une réforme afin de transformer l’Onusida” en un programme commun mieux ciblé, plus efficace et plus efficient, capable de donner des résultats au niveau des pays “. En 2007, il est nommé directeur exécutif adjoint des programmes à l’Onusida et sous-secrétaire général des Nations unies.
Succédant au Belge Peter Piot, il est nommé directeur exécutif d’Onusida le 1er décembre 2008, sous la houlette du Président Amadou Toumani Touré qui avait porté sa candidature au nom du Mali. Même si on l’accuse de ne pas être un Politique et de ne connaître l’Administration du pays, si Michel Sidibé a le soutien du Président IBK, comme on le dit, alors c’est le futur Premier ministre tout indiqué.
A moins que des outsiders comme Boubou Cissé (soutien de Karim Kéïta ?), Hamadoun Konaté et Tiéman Hubert Coulibaly ne viennent troubler les pronostics.
Alou B. HAÏDARA
Source : Aujourd’hui-Mali