L’assertion selon laquelle les révolutions « mangent » leurs enfants est vérifiée en de nombreuses circonstances. Elle est également valable pour les putschs militaires et de nombreux exemples l’attestent. C’est pourquoi, les auteurs de coups d’Etat, même fortement soutenus par les populations, doivent avoir cela à l’esprit. Et ce, pour éviter de figurer parmi les nombreux auteurs de coups de force finalement emportés par les suites de leurs actions. Ce qui, dans leur cas, serait évidement dommageable pour leurs pays respectifs. Dans cette optique, il est souhaitable de rappeler les nombreux facteurs qui finissent par causer la perte des auteurs de coups d’Etat. En essayant d’éviter ces écueils, ou en minimisant leurs impacts, ils amélioreront sans doute les chances d’une sortie par le haut des situations créées par leur apparition sur la scène politique.
Les coups d’Etat, conséquences malheureuses de situations socio-politiques souvent désastreuses, sont presque toujours applaudis par les populations. Cela est fort logique. Le premier risque pour les auteurs de Putschs est de tenir ce soutien pour acquis ou de se tromper sur son niveau réel ou encore ses déterminants les plus pertinents. Ils devraient suivre attentivement ces différents paramètres et en mesurer objectivement le niveau et son évolution.
Une autre caractéristique des coups de force, est la ruée des profiteurs de tous acabits vers les princes du jours. Dans cette catégorie, il y a d’abord les politiciens sans scrupules et/ou revanchards. Souvent perdants lors des élections, ceux-ci voient dans le putsch une occasion de prendre leur revanche et la seule chance pour eux d’exercer des responsabilités. Il y a également de nombreux acteurs de la société civile à la recherche d’opportunités. Il y a aussi des hommes d’affaires souhaitant garder leurs faveurs et privilèges. Le dénominateur commun de ces acteurs est la volonté de mettre à profit cette période exceptionnelle pour améliorer leur sort personnel. Ce qui est évidemment aux antipodes des attentes populaires. Avec de la lucidité, les décideurs sauront très facilement identifier ces fossoyeurs du changement. Il faudra ensuite avoir le courage de les tenir à distance. Ce qui n’est pas aisé, car ils figurent généralement parmi les soutiens les plus audibles et les plus visibles des coups de force.
La famille, les proches, les camarades de promotion, les différents liens sociaux des auteurs du putsch agissent souvent pour les persuader de garder le pouvoir car, selon eux, ils peuvent, seuls, sauver la nation. Ce mythe du sauveur qui a perdu moults dirigeants civils peut facilement rattraper les militaires. D’autant plus que les pays concernés sont face à des dangers sécuritaires significatifs. Les putschistes doivent davantage intégrer la complexité de nos pays, de nos sociétés et de leurs contextes. Ils doivent avoir l’humilité de reconnaitre que la période exceptionnelle pendant laquelle ils exercent leur magistère est aussi remplie d’incertitudes. Par définition, ils n’ont pas préparé leur accession à ces hautes fonctions et ne disposent pas de projets détaillés pour faire face à tous les défis des pays concernés. Ils ne sont pas familiers avec les réseaux de pouvoir et les systèmes administratifs et publics qui gouvernent nos collectivités et encore moins aux rapports quelques fois complexes avec la société ainsi que les négociations et compromis à construire à chaque instant pour faire avancer les chantiers. Autrement dit, ils doivent savoir que ce n’est pas simple !
La période d’exception consécutive au coup d’Etat est une période d’opportunité pour de nombreux autres adeptes du clientélisme et des fraudes de toutes sortes.
Les repères étant brouillés et les hiérarchies diffuses, des citoyens seront tentés d’utiliser leurs relations pour obtenir des nominations complaisantes de proches ou la poursuite des pratiques malsaines au détriment des ressources publiques. Autant de faits reprochés aux régimes défunts. Il convient de prendre garde à cela.
Les réseaux sociaux et internet ont démocratisé l’information mais également les fausses nouvelles, la propagande et les accusations non fondées. Ils sont mis au service de politiques de désinformation, de manipulation et de nombreux arrangements avec la vérité. Cette dernière finira par s’imposer et la réalité rattrapera immanquablement les menteurs de tous acabits. Les dirigeants militaires des transitions politiques doivent intégrer cela et éviter soigneusement d’inscrire leurs actions dans ces directions sans issue.
Dans la même veine, il existe une forte tentation d’utiliser les ressentiments populaires à l’égard des organisations internationales ou des puissances étrangères. Tirer sur cette corde, au motif de quête de souveraineté, peut amener le pays à se détourner de ses partenaires et s’inscrire dans une voie difficilement tenable. Surtout que ces décisions sont souvent prises sous le coup de l’émotion sans véritable stratégie murement réfléchie. Le coup d’Etat est intrinsèquement synonyme de fragilité. Ajouter de la fragilité à la fragilité peut impacter les populations et les amener à constater que l’espoir suscité accouche finalement de désagréments supplémentaires.
Les insatisfactions populaires peuvent conduire à des contestations. Les forces socio-politiques peuvent s’opposer à l’ordre militaire ou militaro-civil issu du coup d’Etat. Face à ces initiatives, il existe des risques de réaction disproportionnée des forces de l’ordre pouvant constituer des dommages majeurs. Il en est également des nombreuses tentations attentatoires aux libertés, les intimidations contre les médias ou les leaders d’opinion, l’instrumentalisation de la justice, etc. En résumé, la période exceptionnelle peut ouvrir la voie vers l’autoritarisme, ce qui serait une erreur importante car les populations, bien qu’ayant souhaité le putsch, peuvent rejeter les atteintes éventuelles aux libertés.
Il existe enfin des risques réels de tension au sein des cercles militaires dirigeants. Les nominations de certains à des postes prestigieux aux dépens d’autres plus méritants, les frustrations de militaires sur le terrain face à d’autres confortablement installés dans les bureaux climatisés, les pressions de toutes parts face à l’adversité inhérente aux responsabilités dans un contexte difficile, constitueront des sources de tensions entre les dirigeants. Le risque de réplique et de rupture est réel. Il est souhaitable d’en avoir permanemment conscience et donc de travailler à les minimiser.
Cette période exceptionnelle peut ainsi se révéler rapidement dangereuse pour ses dirigeants. S’ils sont conscients de ces pièges, ils peuvent les éviter et achever leur mission de manière heureuse pour leurs pays et pour eux-mêmes. Ce sera l’objet du volet III de la présente contribution.
Moussa MARA
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