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Contribution de l’étudiant Sekhou Sidi Diawara de Belgrade sur la crise russo-ukrainienne : Les contradictions et les enseignements à tirer !

Le 24 février à 4h du matin, Coronavirus est mort. Tel un décret présidentiel, il a été décidé qu’il soit enterré sans nous permettre d’y faire les funérailles. Partout en Europe, les restrictions sont levées, les mesures barrières abandonnées. La deuxième puissance militaire (la Russie), selon le classement de Global Fire Power de 2022, a décidé d’attaquer la vingt-deuxième puissance militaire (Ukraine), plongeant ainsi le monde dans une situation qu’il n’en avait jamais connu depuis la Deuxième Guerre mondiale, selon les mots d’Andrzej Duda, le président polonais, dans une interview accordée à la BBC.

Comme si le monde n’avait jamais connu un autre 20 mars à 4h30 où les premières bombes décapitaient le régime irakien, où George Bush somma Saddam Hussein de choisir entre l’exil et la guerre. Mais cette fois-ci, il s’agit d’une attaque qui risquerait de mettre en cause les fondements de l’ordre international, si seulement elle réussirait.

Mais pour l’instant, du moins que l’on peut dire, elle marque et renforce la fin du paradigme de la domination unipolaire. Elle montre et démontre à suffisance les preuves que le monde se tend vers une rupture de l’ordre international préexistant, au profit (certainement) d’un meilleur équilibre planétaire. C’est ainsi qu’elle a fait trembler et continue toujours de faire trembler le monde. Rares sont des évènements qui ont provoqué autant de passions, de sanctions, de condamnations et surtout de médiatisation que ce conflit. Tous les continents s’y sentent concernés. Le sort de chaque pays s’y joue. Les alliances militaires, le positionnement stratégique et géostratégique en dépendent de son issue. Certaines grandes puissances, telles l’Inde et la Chine, s’y sont montrées neutres. Et les pays africains, comme toujours, s’y sont allés à vau-l’eau : certains (à l’image du Sénégal, d’Afrique du Sud et tant d’autres) ne s’y sont pas mêlés ; tandis que  beaucoup d’autres ont préféré l’automatisme alignement et ralliement derrière aux intouchables Maîtres, dotés de tout pouvoir pour nouer et dénouer les alliances.

Chacun s’y est prononcé : les analystes, les commentateurs, les politistes, les politiques, les politologues et même les impolitologues en ont fait une préoccupation quotidienne. Les médias occidentaux, avec une maestria remarquable, tentent d’adhérer et de fédérer l’opinion occidentale et internationale aux positions postérieures défendues par le bloc Américano-Européen. Partout en Europe, on chante et proclame le respect du droit international. Mais on oublie facilement que l’histoire bégaye et se répète.

Dans cette aventure guerrière, la Russie n’est pas la première à s’y inscrire. Elle a pris la leçon chez le peuple élu de la Bible (les Etats-Unis) qui a à son actif Irak, Belgrade, Libye, Somalie, etc. Et les États-Unis n’y sont pas non plus les précurseurs. Ils se sont inspirés sur les puissances coloniales du XIX siècle qui, avant de faire le deuil de leur gloire passée, engageaient des guerres coloniales justifiées par l’idée qu’il faut apporter la civilisation chez les autres, c’est-à-dire les nouveaux barbares. Autrement dit, ceux qu’on ne peut dénombrer ni comprendre, ceux qui relèvent d’un autre monde et d’une autre totalité conceptuelle, selon les mots de Jean-Christophe Rufin (1991). Mais est-ce suffit-il que les occidentaux en soient accoutumés pour légitimer et justifier l’action de la Russie en Ukraine ?

Étonnamment, partout la justification et les modes opératoires sont et restent les mêmes. Ici, la démilitarisation et la dénazification en seraient les motifs et les raisons premières, selon Kremlin. Ailleurs, les invasions avaient également un nom, une connotation : les bombes humanitaires en Libye,  les bombes contre les armes de destruction massive et pour la liberté en Irak, les bombes de l’espoir en Somalie, les bombes contre les nouveaux barbares en Serbie, etc. Cependant, la différence notoire entre ces deux catégories dichotomiques de bombes, c’est que les unes se larguent sur un peuple civilisé et près de nos frontières; pendant les autres avaient pour but d’apporter la lumière, la civilisation, la démocratie chez les autres, les lointains. Ainsi, on y retient donc deux types de peuple pour deux catégories d’opérations militaires : le proche / le lointain, le barbare / le civilisé.

C’est ainsi que certains voient une agression ou une violation du droit international et de la souveraineté d’un Etat là où d’autres revendiquent tout simplement l’exercice d’un devoir humanitaire, de solidarité internationale, ou encore de dénazification. C’en est toujours été ainsi : l’intervention en Tchécoslovaquie en 1968 ; en Afghanistan en 1979 par l’URSS; la Chine au Tibet en 1962; l’Israël en 1967 et en 2006 au Liban; le Maroc en 1974 au Sahara occidental; la Turquie avec Chypre en 1974; l’Argentine avec les Malouines en 1982; l’Iraq en Koweït en 1990; l’OTAN à Belgrade en 1999, en Irak 2003 et  2011 avec la Libye; ou encore récemment l’Azerbaïdjan avec l’Arménie en 2020.

Toutes ces guerres, relevaient de la violation du droit international, de l’intégrité territoriale des pays concernés. Mais jamais l’on y avait assisté à toute une effervescence, un déferlement médiatique international. Le plus aberrant encore, c’est qu’au même moment où se déroule ce conflit russo-ukrainien, d’autres conflits continuent de ravager des villes entières, par la cruauté humaine. Cependant, personne n’en parle. Me concernant personnellement, je condamne cette attaque contre l’Ukraine. Toute agression contre un pays souverain est un crime, une violation du droit International si seulement ce droit existe encore. Par ailleurs, si je me désinscris du crime, je désavoue tout autant les causes et les raisons qui ont engendré ce crime.  Les raisons sont profondes et complexes, les médias (occidentaux) nous empêchent d’y voir clairement et profondément. Ils nous invitent à y apercevoir la surface et non le fond, la volte-face et non la face, etc. L’émotion prend donc dessus sur la raison, la pensée domine la réflexion, et c’est la vérité qui en devient la première victime.  Ici, l’on nous oblige à pleurer et à compatir la souffrance de cette pauvre femme enceinte qui serait morte sous les bombes russes. Ailleurs, l’on nous divertissait par d’autres événements éphémères pendant que 30 000 militaires irakiens étaient tués, 24 000 bombes larguées sur l’Irak, 800 missiles tirés, selon le Financial Times du 11 avril 2003. Ici les victimes sont des citoyens innocents; ailleurs elles s’appellent simplement dommages collatéraux. Ici on interdit et récuse le mercenariat, ailleurs on encourage et forme une coalition internationale de mercenaires. Ici les frontières sont bourrées de barrières, de murs teintés de fils en barbelés contre l’afflux de Réfugiés. Ailleurs on les accueille à bras ouverts.

Bref, au-delà de cet aspect émotionnel et narratif, ce conflit nous offre l’opportunité d’y tirer un certain nombre d’enseignants majeurs.

✓Premièrement, les Relations Internationales, à la base doivent et devraient obéir au droit, incarné par l’ONU. Elle-même dominée par les plus forts, les détenteurs de veto (droit de veto qui ne se fonde sur aucune base juridique, aucun droit si ce n’est que le droit des plus forts). Cependant, la charte de l’ONU, du début jusqu’à la fin, ne prône et ne prêche qu’une seule philosophie: que la force soit soumise au droit, que le plus fort ne défie pas le plus faible, que les conflits internationaux se règlent par des dialogues, que les guerres soient légitimes et décidées par l’ONU, que l’armée soit aux ordres des politiques, que la police assure et protège le fonctionnement de la justice et des institutions. Bref, toute une fiction juridico-politique mise en place après leur victoire sur l’Allemagne nazie et ses alliés. Cependant, à y observer de près, on se rendre compte facilement, sans avoir été à la Sorbonne ou à Harvard, que les Relations Internationales ont toujours été et sont toujours dominées et gouvernées par le règne de la force, le droit du plus fort. Général de Gaulle en avait compris, affirmant dans ses mémoires de guerre que l’épée est l’axe du monde. Il s’en était inspiré du grand philosophe britannique, Darwin : la sélection naturelle, qu’il n’y a de plus légitime que le plus fort écrase le plus faible pour asseoir et assurer sa domination. D’ailleurs le célèbre secrétaire florentin, Nicolas Machiavel, ne nous en affirmait-il pas en des termes plus clairs : il est beaucoup plus sûr pour un prince d’être craint que d’être aimé. Ainsi, la considération d’un État, l’attention qu’il peut faire l’objet parmi ses pairs, le respect de sa souveraineté en dépend de sa capacité militaire. Par conséquent, au-delà de tout discours et philosophie politico-normatifs, la construction d’une armée forte doit être la priorité de toutes les priorités d’un pays.

✓Deuxièmement, ce conflit nous montre à suffisance qu’aucune guerre, à ce stade du XXI siècle, ne peut être gagnée que par la seule capacité militaire. Actuellement, la grandeur de puissance militaire n’est pas la seule forme de grandeur pour gagner une guerre. Il faut l’apport de médias, pour informer ou désinformer, pour sensibiliser et faire adhérer l’opinion publique et internationale à la cause de la guerre. Car finalement l’objectif de la guerre n’est plus de réduire l’adversaire sous sa domination ou d’obtenir des victoires militaires sur le terrain. Mais d’avoir la vérité avec soi. Et la vérité, même mensongèrement, ne peut être conquise que par le soutien des médias. Sur le terrain ukrainien, l’armée de Poutine (avec quelques tâtonnements et difficultés) avance à grands pas, contrairement à ce qu’en disent les médias. Par contre, elle a déjà perdu la guerre médiatique, donc politique. Faute d’accompagnement médiatique à portée internationale.

✓Troisièmement, cette guerre est un enseignement pour la sélection de nos dirigeants politiques. Que ceux qui sont appelés à diriger soient aguerris dans l’art de la gouvernance ! Qu’il ne suffise pas seulement de savoir charmer une foule pour être élu aux instances suprêmes d’un pays ! Il en faut plus : savoir connaître les rouages de la gouvernance. Je ne vais pas ici rentrer dans l’allégorie platonicienne sur le philosophe-roi. Mais l’art de la gouvernance a horreur de briser et de brûler les étapes. Les dirigeants doivent être sélectionnés en fonction de leurs compétences et de leur aptitude à gouverner. Le peuple ukrainien s’en était largement trompé, en se référant sur la seule notoriété publique de Zelensky. Il était, certes, un vrai comique, et savait sans doute exceller dans l’art de la comédie. Mais la gestion des hommes est un autre univers avec ses réalités. Il ne suffit pas de savoir conduire une voiture pour en être le mécanicien. En effet, les raisons exogènes de la crise ukrainienne étaient liées à deux promesses électorales, faites par le président Zelensky: l’intégration d’Ukraine aux structures de l’OTAN et l’adhésion du pays à l’Union Européenne. Rejetant par l’OTAN et sentant une attitude timide et tumultueuse de la part l’Union Européenne, il a, par manque d’expériences et de culture politique, explosé et exposé son pays à une confrontation de blocs dont les conséquences, dans un futur proche ou lointain, créeront non seulement des monstres, mais rendront le pays ingouvernable, pour avoir distribué à l’aveuglette des armes partout. Pour s’en convaincre et s’en rendre compte, il suffit seulement de jeter un coup d’œil dans l’histoire de l’Afghanistan après le départ des troupes de l’URSS.

✓Quatrièmement, la sensibilité à la minorité. Autrement dit,  le respect des droits de la minorité. Au-delà de son aspect géopolitique et extraterritorial, le fil déclencheur du conflit russo-ukrainien était lié à l’abrogation des lois en rapport avec l’enseignement scolaire dans la langue russe, l’interdiction de la langue russe comme deuxième langue officielle et la fermeture des moyens de communication et d’information de la minorité russe vivant en Ukraine. Ainsi, on peut y retenir, même si la comparaison n’est pas raison et que celle-ci a ses limites, que partout où la Minorité se sente bafouer dans ses droits, elle se nourrit en elle-même des velléités indépendantistes, donc de revendication territoriale qui reste le problème le plus récurrent et le plus dominant de notre époque.

✓Cinquièmement, la diversification de partenaires et de partenariats. Nous avons vu, dans l’intervalle d’une semaine, le marché russe s’était vu vidé (de presque) tous les partenaires européens et américains. Fort heureusement pour la Russie, elle s’était, me semble-t-il, orientée économiquement vers les pays d’Asie centrale et d’Asie du Sud-Est. Ce qui pourrait, à court terme, empêcher un éventuel étouffement de son économie. Pourtant, les pays africains (surtout le Mali), ont depuis toujours une politique de partenariat monopoliste dominée par une certaine puissance occidentale qui occupe et asphyxie tous les leviers de ses économies (Orange pour les télécommunications, Total et Shell pour l’hydrocarbure, Orano pour les ressources énergétiques et combustibles nucléaires, Bolloré pour la gestion des ports, etc.) Il est plus donc urgent pour les Africains et les pays africains de s’orienter économiquement vers d’autres horizons pour solidifier ses économies en diversifiant ses partenaires. Et surtout empêcher tout effondrement de celles-ci en cas de retrait épidermique sur le marché d’une partie de ses partenaires.

Bref, que le pays qui souhaite avoir une stabilité interne et externe, occuper sa place et toute sa place dans le concert des nations, prenne ces enseignements à la rigueur des mots !

      Belgrade, 20 mars 2022

Sekhou Sidi Diawara, doctorant à l’université des Sciences Politique de Belgrade, en Serbie

Email : diawara.sekhousidi@yahoo.fr

Source: Le Sursaut

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