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Confidences d’une prostituée: “À CHAQUE CLIENT,
 JE ME SENTAIS SOUILLÉE”

Alors que la proposition de loi visant à sanctionner les clients de prostituées, déposée par deux députées PS, sera examinée mercredi soir ou vendredi et votée mercredi 4 décembre, rencontre avec Laurence Noëlle qui, à dix-sept ans, met le pied 
sur le trottoir et devient une ombre parmi les ombres. L’auteure de Renaître de ses hontes (1) raconte ses années d’épreuves dramatiques 
et de combat 
pour fuir le système prostitutionnel.

Laurence Noëlle nous ouvre les portes de son salon, en Bretagne. Elle replie les jambes, bien calée dans son divan. Et raconte, devance souvent les questions, déballe tout. Elle est restée vingt-huit ans dans le silence. Puis, en avril 2013, elle est sortie de l’ombre en publiant un livre, Renaître de ses hontes. À quarante-six ans, elle met sur page toutes ces années de violences, d’abus sexuels et de prostitution, l’expérience « la plus destructrice » de sa vie. Pénalisation des clients, abolition de la prostitution ou encore « libre choix » des personnes qui louent leur corps, Laurence Noëlle se prononce sur les débats actuels et témoigne, à visage découvert, de l’enfer de la prostitution. Une façon pour elle de donner l’exemple à celles qui restent encore terrées dans leur souffrance. Aujourd’hui, cette formatrice professionnelle estime être la preuve vivante que l’on peut s’en sortir et bâtir une vie épanouie.

Il y a quelques années, vous aviez témoigné sur la prostitution à visage couvert. Pourquoi vous dévoilez-vous aujourd’hui ?

Laurence Noëlle. Oser me montrer fait partie de mon cheminement vers la guérison. Ce n’est pas parce que l’on comprend ce qui nous arrive que l’on en sort. Il me fallait procéder étape par étape. Avant l’écriture de ce livre, jamais je ne me serais dévoilée en public. J’avais trop honte. Mais depuis sa publication, j’avoue que je suis très perturbée. J’ai des sinusites à répétition, des nausées. Je ne peux tricher avec mon corps qui s’exprime. Comme si je subissais un nettoyage encore plus profond. C’est douloureux pour moi de sortir de l’ombre. Il faut bien que quelques-unes commencent. Je le fais pour que d’autres se l’autorisent. Pour dire qu’il est possible de s’en sortir, possible de construire sa vie autrement, possible de guérir des violences que nous avons subies.

Beaucoup de personnes fantasment sur la call-girl. Vous, vous avez des mots durs pour décrire la prostitution que vous avez vécue…

Laurence Noëlle. Je travaillais rue Saint-Denis, à Paris. J’étais jeune et jolie. De la chair fraîche. Je faisais une trentaine de passes par jour, je me souviens que les anciennes étaient très jalouses, car elles ne montaient quasiment plus. J’étais un automate qui montait et descendait. À l’instant où j’ai posé le pied sur le trottoir, je suis devenue une ombre parmi les ombres. J’ai perdu ma dignité d’être humain. Une partie de moi a cessé d’être vivante. J’étais devenue un objet, un déchet, dans la lignée de ce qu’avait été le début de ma vie. Je n’étais que honte et humiliation. Ça fait mieux de se dire call-girl que prostituée. Il n’empêche que ce n’est qu’une stratégie d’évitement par rapport à la honte. Les call-girls se détestent autant mais estiment avoir de la valeur à travers des clients qui possèdent eux-mêmes de la valeur. Mais le fait même que le client paie est déjà une violence. Quand on achète quelque chose, on est en droit d’être exigeant.

Vous écrivez dans votre livre 
que la prostitution a été l’expérience la plus destructrice de votre vie. Comment faisiez-vous pour tenir ?

Laurence Noëlle. Je le supportais en me droguant et en me saoulant. On est toutes des anesthésiées, d’une manière ou d’une autre. Il y a la prostituée, l’objet. Et il y a l’être humain. On se dissocie. J’avais énormément de dégoût à mon égard. À chaque client, je me précipitais sous la douche tellement je me sentais souillée. Humiliée. Il me fallait alors un autre verre ou un autre rail de cocaïne. Mon corps entier, et en particulier mon vagin, me faisait terriblement souffrir. La prostitution ce n’est pas Pretty Woman. Quand j’étais sur le trottoir, j’ai attendu Richard Gere, il n’est jamais venu me sauver…

Que pensez-vous des personnes 
qui affirment se prostituer par choix ?

Laurence Noëlle. Moi aussi je l’affirmais quand j’étais dedans. Pour se faire accepter de la société, mieux vaut parler de son libre choix que d’évoquer sa souffrance. On dit toutes que c’est notre choix quand on est en prostitution. Cela me fait penser aux personnes qui boivent. Elles affirment qu’elles savent gérer. Celles qui s’en sortent avouent en avoir souffert. Quand on est dedans, on ne voit rien, on est dans le déni. Étant petites, ne rêvaient-elles pas d’être docteur ou boulangère ? Que fait-on de nos talents et de nos richesses ? Je ne pense pas que tailler une pipe en soit un. La prostitution consiste à louer son corps à n’importe quel homme. Et ils ne sont pas tous des Brad Pitt. Demandez à une femme qui s’aime, s’estime, d’aller se prostituer. Même dans la misère, elle ne le fera pas.

Comment êtes-vous tombée 
dans la prostitution ?

Laurence Noëlle. La prostitution est un choix désespéré. Je suis tombée dans un réseau de proxénètes. J’étais une proie idéale : une jeune fille paumée, livrée à elle-même, assoiffée de chaleur humaine. Ayant vécu des abus sexuels dans l’enfance, je me suis considérée comme un objet puant et répugnant. Je me méprise. Dans ce cas, pourquoi s’autoriser le droit au bonheur ? La prostitution est aussi une façon de m’autopunir, moi qui culpabilisait depuis toute petite. Et puis, dans ma stratégie de survie, je me disais de me laisser faire, de ne rien dire. Je ne voulais pas être abandonnée. J’avais dix-sept ans et j’étais seule. Je préférais encore me prostituer que perdre l’amour de la maquerelle et du proxénète. J’avais aussi peur des menaces. Je m’en suis voulu de ne pas avoir fui plus tôt. J’étais tellement convaincue de n’être bonne qu’à « ça ». L’idée d’aller au commissariat ne m’a même pas effleurée.

La prostitution est-elle une violence aussi grande que l’inceste que vous avez subi ?

Laurence Noëlle. C’est la même chose. C’est : « Laisse-toi faire et tais-toi. Je fais ce que je veux de toi. » Dans un rapport normal, c’est le respect mutuel, l’échange. Il n’y en a pas un qui intime à l’autre d’ouvrir les cuisses, qui exige une pipe. Que fait-on du désir de l’autre, de l’amour ? Il n’y a pas d’amour dans la prostitution.

N’est-ce pas caricatural d’affirmer que, souvent, les personnes prostituées ont subi des violences dans leur enfance ?

Laurence Noëlle. Pas du tout. Toutes les femmes de l’ombre que je connais ont toutes vécu des histoires horribles. Ayant subi des abus sexuels enfant, à l’âge adulte, elles développent des comportements destructeurs. C’est l’humiliation qui nous fait croire que l’on n’est qu’un objet, que l’on est méprisable. Pourquoi une jeune fille va prendre un boulot à McDo pour payer ses études et une autre va se prostituer ? La différence est que l’une se respecte, s’estime, et l’autre pas. Si je m’aime, je me respecte. Je ne loue pas mon corps à n’importe quel homme.

D’aucuns parlent de la réouverture des maisons closes, 
de la réglementation de
la prostitution. Qu’en pensez-vous ?

Laurence Noëlle. La souffrance pour les personnes prostituées restera la même. Les clients seront toujours les mêmes, avec leurs mêmes exigences, leurs mêmes fantasmes. On parle souvent de la prostitution avec des mots châtiés. On débat pour savoir si c’est un métier, on évoque la liberté. La vérité est tue. On dit que les prostituées aiment « ça ». Mais comment peut-on aimer avoir une trentaine de rapports sexuels par nuit avec des hommes de toutes sortes, de tous âges, de tous milieux sociaux, des petits, des gros, des grands, des maigres, des agressifs, des pervers, des dépendants sexuels, des malades mentaux, des paumés ? Il y en a beaucoup qui méprisent les femmes et pensent encore qu’il ne peut exister que la « putain » ou la « maman ». Ceux-là vont dégazer, se venger, traiter les prostituées de tous les noms pendant les actes. Et leur faire mal. Comme les clients payent, ils s’autorisent tout. On prend la femme à sec, estimant qu’elle n’a pas besoin de préliminaires, pas besoin de mouiller. Il faut qu’un jour je puisse vraiment expliquer en détail ce qu’est une nuit avec des clients. J’ai encore du mal à en parler.

Que pensez-vous du débat sur la pénalisation du client et sur l’abolition de la prostitution ?

Laurence Noëlle. Mais pourquoi depuis des millénaires en est-on encore à des débats à la con ? Il y a 80 % de femmes qui souffrent et il faudrait écouter l’infime minorité ? Il faudrait empêcher que la loi passe pour celles qui, soi-disant, sont fières de se prostituer ? Oui, la pénalisation peut faire évoluer les choses. Mais ce n’est pas parce qu’existe une loi que tout se réglerait d’un coup. Elle marque les limites. L’abolition est la réponse à la question : dans quelle société voulons-nous vivre ? C’est bien parce que des personnes affirment que c’est possible que le monde change.

Pourquoi si peu de personnes sorties de la prostitution osent parler 
à visage découvert ?

Laurence Noëlle. Elles ont peur du regard des autres. Beaucoup sont contentes que le monde sache ce qu’est la prostitution par ma voix. Mais elles ne sont pas prêtes à se montrer à leur tour, y compris celles qui réussissent bien dans leur vie, comme cette infirmière ou cette animatrice socioculturelle que je connais. Je les comprends, moi-même j’ai eu très peur de perdre mon travail de formatrice. Et peur encore de la réaction des autres à l’égard de mes enfants, ma famille. J’ai peur d’être méprisée. Faut-il encore payer les pots cassés vingt-huit ans après m’être sortie de l’enfer de la prostitution ? On traîne ce boulet comme un détenu qui ne pourrait pas enlever le sien de sa cheville.

Votre livre a-t-il entraîné 
des réactions hostiles à votre égard ?

Laurence Noëlle. Pour l’instant, j’ai plutôt des messages d’empathie. Beaucoup de gens me soutiennent et me disent que mon livre peut permettre de changer les mentalités. Les retours sont chaleureux et ils me portent. En écrivant ce livre, c’est-à-dire en rassemblant les pièces du puzzle de ma vie, j’ai voulu comprendre pourquoi j’ai eu des comportements destructeurs. Et je me retrouve devant une explosion de sollicitudes, de toutes parts. Je fais partie des toutes premières femmes à sortir de l’ombre, alors que pendant vingt-huit ans, je ne pouvais pas supporter de voir des émissions ou autres films qui traitent de la prostitution ou des abus sexuels. J’ai découvert l’existence de l’Union des survivantes du trafic sexuel, aux États-Unis, qui m’a contactée pour faire partie de leur réseau. Je n’ai pas le cœur d’une militante. Je pourrais dire non à ces sollicitations, mais je pense que la vie me demande de l’être. J’ai été auditionnée à l’Assemblée nationale une première fois, le 29 mai 2013, à huis clos. En sortant, j’ai pleuré pendant des heures, mais de grâce, de joie. C’est un beau cadeau pour moi de constater que mon livre peut œuvrer à un projet de loi contre le système prostitutionnel. C’est une réalisation de soi. C’est poser sa petite pierre en ce monde et si nous en posons tous une, c’est le monde qui change.

Comment avez-vous pu sortir 
de la prostitution ?

Laurence Noëlle. En allant chercher de l’aide. Mais il faut choisir les bonnes personnes, celles qui ne jugent pas, celles qui prennent le temps de comprendre. La notion d’écoute est fondamentale. Celles qui m’ont aidée sont des personnes qui ont mis en avant mes qualités, qui ont cru en moi. Si on est convaincu que l’on peut s’en sortir, on se donne davantage de chance pour y arriver.

Les moyens sont-ils suffisants ?

Laurence Noëlle. Il est vrai qu’en dehors des associations, rien n’existe. Il n’y a aucune réinsertion sociale. Tout doit être repensé. Quand on sort de la prostitution, on est bouffé par la honte, par l’alcool, la drogue, la frigidité, par l’humiliation. On est fracassé. Si bien que l’on peut vite replonger. La société doit déplacer son regard. On doit former les travailleurs sociaux pour bien comprendre le système prostitutionnel. On aura beau mettre les moyens matériels, si on ne voit pas autrement les prostituées, rien ne changera.

Un espoir pour les autres. Laurence Noëlle est engagée dans la lutte contre le trafic et l’exploitation sexuelle. Elle anime des conférences et formations sur l’écoute, l’accompagnement, la gestion de groupe en prévention. Elle participe 
aux activités organisées par le Mouvement du nid, une association reconnue d’utilité publique. Elle est désormais formatrice professionnelle d’adultes, spécialisée en relations humaines et dans la prévention de toute forme 
de violence. Elle exerce aussi ses activités dans les services pénitentiaires, 
à la demande du ministère de la Justice. Ce n’est évidemment pas un hasard qu’elle ait choisi cette filière. Un bel accomplissement pour cette femme qui s’est longtemps identifiée à la honte. Son livre, Renaître de ses hontes, est un espoir pour toutes celles et tous ceux qui n’ont plus confiance en eux. Il redonne 
à d’autres le désir et la force de changer. Il ouvre des portes, élargit les horizons et contribue à un changement de regard sur les personnes prostituées.

(1) Renaître de ses hontes, de Laurence Noëlle. Éditions Le Passeur, avril 2013, 18,50 euros.

 

Source: .humanite.fr

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