Les relations entre le Mali et la France sont tendues depuis l’avènement du coup d’Etat du 24 mai 2021 qui a renversé le Président de la transition, Bah Ndao. Si ces tensions sont visiblement une crise entre le Mali et la France, elles ne sauraient être comprises sans parler de la Russie. Ainsi, nous allons-nous employer, dans les lignes qui suivront, à analyser succinctement les tenants et les aboutissants de l’escalade diplomatique entre le Mali et la France, en l’occurrence les facteurs, les enjeux et les conséquences pour le Mali.
En effet, depuis le coup d’État du 24 mai 2021, le renforcement de la coopération militaire entre les autorités maliennes et la Russie a été mis au grand jour. Les principaux facteurs ayant favorisé ce rapprochement sont : le sommet Russie-Afrique de Sotchi en 2019 qui avait pour but le réengagement de la Russie sur le continent africain ; l’inefficacité de l’intervention militaire française au Mali et enfin l’avènement au pouvoir à Bamako des autorités russophiles, notamment, le colonel Sadio Camara, un élément clé de la junte et le Premier ministre Choguel Kokala Maïga, un pur produit de l’ex URSS.
Ce rapprochement, s’il s’est accentué avec l’arrivée de la junte au pouvoir, il n’est pas aussi nouveau comme plusieurs personnes le pensent. En réalité, depuis 2019, le processus a commencé à travers la signature d’un accord de coopération militaire entre la Russie et le Mali en juin 2019 sous le régime de l’ex président, Ibrahim Boubacar Keita.
Mais force est de constater que c’est la junte qui a manifesté une réelle volonté de coopération militaire intense avec la Russie. La participation du ministre malien de la Défense, le Colonel Sadio Camara, au forum de Moscou sur la sécurité internationale organisé par les autorités russes en juin 2021, la livraison de quatre hélicoptères au Mali en septembre 2021 et les récentes tractations diplomatiques entre les ministres des Affaires étrangères du Mali et de la Russie, à New York et à Moscou, pour solliciter ouvertement le soutien militaire de la Russie, en sont les preuves. À cela s’ajoute un éventuel accord qui serait en vue entre le Mali et la société militaire privée russe Wagner. D’ailleurs, Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires Etrangères a confirmé que les autorités du Mali ont établi le contact avec une société militaire privée russe mais que cela n’engage en aucun cas l’Etat russe.
Ainsi, on peut affirmer que la Russie est donc en phase de jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre le terrorisme qui ensanglante le Mali depuis 2012, non seulement à travers les canaux officiels de l’État russe, mais aussi, éventuellement, par le truchement de la société Wagner. Mais au-delàs de la coopération militaire, la Russie a aussi des velléités économiques et commerciales en Afrique de l’Ouest, en général, et au Sahel, en particulier. Le Mali pourrait donc être un point de départ.
Cependant, ce rapprochement crispe de plus en plus les tensions entre la France et le Mali. On pourrait même parler d’une crise diplomatique entre les deux pays. La suspension des opérations conjointes des Forces Barkhane et Forces Armées Maliennes, des piques lancées de part et d’autres entre les autorités maliennes et françaises sont les manifestations de ce malaise diplomatique. Ainsi, comme la Centrafrique, le Mali est en train de devenir le nouveau champ de rapport de force entre la France et la Russie et donc une victime collatérale de l’adversité entre deux puissances étrangères.
Cela n’est pas sans conséquences pour le pays, d’ailleurs les premières conséquences se font sentir. Si la France a été surprise de voir la Russie s’installer confortablement et facilement dans son « pré carré » en Afrique centrale, elle en a tiré des leçons et elle ne veut pas que cela se reproduise dans son « pré carré » ouest-africain car ses intérêt économiques et géopolitiques sont considérables dans cette région.
Le lobbying diplomatique de la France auprès des présidents ouest-africains et de l’UE depuis les soupçons d’un éventuel accord avec Wagner et les sanctions ciblées de la CEDEAO contre les autorités maliennes qui s’en sont suivies montrent clairement que la France veut éviter le scénario centrafricain. Ainsi, de par son attitude, l’Hexagone vise deux objectifs :
Premièrement, se séparer des autorités maliennes de la Transition qui sont gênantes en les contraignant à organiser les élections en février 2022. Deuxièmement, les maintenir éventuellement sur place en prolongeant la Transition, mais en les contraignant à s’inscrire dans la ligne droite des désidératas français. Même si la France n’a pas directement pris de sanctions contre le Mali, les sanctions de la CEDEAO reflètent la volonté française à l’égard des Autorités transitoires ces temps-ci. Sans doute, la France est parvenue à convaincre les chefs d’Etat ouest-africains de la nécessité des sanctions contre le Mali. Les ballets diplomatiques des dirigeants ouest-africains à paris avant le sommet du 7 novembre de la CEDEAO n’étaient pas fortuits.
Ces sanctions portent particulièrement sur le gel des avoirs et l’interdiction de voyage pour les autorités intérimaires. Pour le moment, ce sont donc des sanctions ciblées qui ne touchent pas directement le peuple, mais qui pourraient avoir, à long terme, des conséquences pour l’ensemble du pays. En ce sens que le maintien de ces sanctions isole le pays, d’autant plus que, si par principe de subsidiarité, les autres organisations, en l’occurrence l’UA, l’UE et l’ONU, venaient à emboîter le pas à la CEDEAO. Ce serait donc un isolement diplomatique total qui aura des conséquences économiques à long terme sur le pays.
En effet, un pays isolé sur la scène internationale n’inspire pas confiance auprès des investisseurs étrangers et perd sa place dans le concert des Nations. Et l’absence des dirigeants aux rencontres internationales est un manque à gagner. Ces rencontres sont des opportunités de véritables lobbyings diplomatiques pour poser les jalons des partenariats gagnants entre les pays.
En outre, si les autorités maliennes ne parviennent pas à trouver un terrain d’entente avec la CEDEAO, les sanctions pourraient s’alourdir. C’est ce qui laisse entrevoir le communiqué du dernier sommet de la CEDEAO. En cas de statut quo, on pourrait donc voir des sanctions économiques infligées sur le Mali dont les conséquences ne feront qu’amplifier davantage la situation socio-économique et sécuritaire du pays.
Les Autorités doivent prendre la pleine mesure de la situation en trouvant promptement un terrain d’entente avec la CEDEAO et la France pour éviter au peuple malien un embargo économique dont les conséquences seront dramatiques. Faut-il le rappeler, les principaux partenaires économiques du Mali sont membres de la CEDEAO et les déficits budgétaires du Mali sont comblés par l’aide internationale accordée, en grande partie, par l’Europe y compris la France. En réalité, il n’y a pas d’alternatives assez crédibles au bras de fer entre le Mali et la Communauté Internationale en ce moment, il faut trouver le juste milieu pour sortir le pays de cette situation.
Bouakary OUATTARA, doctorant en Histoire des Relations Internationales à l’Université Félix Houphouët-Boigny Abidjan Cocody
Source: Le Pélican