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Comportements et transgressions au Ramadan: une dissonance cognitive

Avec le mois de Ramadan (qui consiste à la pratique du jeûne chez les musulmans durant un mois), on assiste à une mosaïque de comportements composites qui animent la vie quotidienne, que ce soit dans la rue, dans le travail ou dans différentes activités sociales.

Les gens se retrouvent dans diverses situations amené à produire des comportements conformes à la norme et d’autres qui vont à l’encontre de celle-ci, ou plutôt qui sont la marque d’une transgression, laquelle peut avoir lieu de façon manifeste ou en catimini.

Dans ce cadre, il y a lieu de noter que la norme acquière un Statut hautement qualifié quant à la référence religieuse, notamment dans ce qu’elle désigne comme règle régissant les comportements et certains usages en société, voire aussi un état adopté et partagé en commun par la communauté. C’est ainsi que tout ce qui est perçu entant que norme est considéré comme «normal», alors que ce qui s’écarte est observé comme étant «anormal». Ainsi, d’un point de vue sociologique, on peut penser qu’on est en face d’une certaine logique pratique qui s’impose dans la réalité rendant compte de l’aspect formel de la norme comme étant celui qui a trait à la loi, à la tradition et aux règles qui organisent la vie en société, et un aspect informel qui renvoie à certaines manières d’agir et de se comporter dans la société qui ne correspondent pas aux principes prescrits par les règles, mais auxquels s’adonnent les gens comme nécessité dans les usages et la pratique de la vie.

Le Ramadan, à cet égard, bien qu’il a qualité d’être animé par les Normes, demeure une période annuelle dans laquelle la communauté revient sur la pratique cultuelle non seulement d’une obligation religieuse qui est le jeûne mais des principaux piliers qui fondent le dogme ; en ce sens, que cette pratique se veut un dénominateur commun du quotidien de la communauté. Mais, si le Ramadan est considéré comme une situation dans laquelle se conjuguent un temps particulier avec une pratique religieuse qui engage la communauté et qui rappelle la personne à se réconcilier avec soi-même en se vouant à Dieu, tout en faisant preuve de vertus de modestie, de patience et d’altruisme, il n’en demeure pas moins qu’une tendance en société, bien que s’appliquant à traduire dans les faits un Engagement dans les règles, manifeste certaines attitudes incongrues. Non seulement pour les comportements qui sont adoptés le soir et qui paraissent allant dans le sens contraire de ceux du jour, compte tenu du fait que ces derniers s’inscrivent en conformité aux normes d’abstinence et de piété; mais, aussi dans la ligne de ces derniers, c’est-à-dire, pendant le jeûne lui-même. Comme si l’abstinence ne s’applique que sur ce qui correspond à la satisfaction de la faim et de la soif, voire tout ce qui a trait à être avalé par voie orale ; quant à la satisfaction des autres besoins, elle n’est point l’objet d’astreinte par cette abstinence.

Plusieurs de ces actes sont constaté à partir d’observations quotidiennes, d’autant qu’ils sont relevé à l’occasion par les médias tout au long de cette période, et ce, en considération du caractère phénoménal qu’ils acquièrent. À titre d’illustration de ces « inconduites » ou ces actions répréhensibles au regard, non seulement, des préceptes religieux, mais aussi de la morale et de l’esprit civique. Les escroqueries et l’arnaque (dans les services et vente et achat..) qui s’accentuent en raison des fluctuations qui traversent les ressources attentionnelles des gens. Le Commérage et la Médisance qui occupent des réunions interminables dans des terrasses de cafés. Le harcèlement et la drague qui sont entrepris dans les rues et les places publics, notamment durant les soirées, en plus de cas de prostitution ou de commerce sexuel, usages de drogues, la corruption, la triche, la tromperie, le vol, le non-respect du code la route, l’agression, les insultes, l’incivisme…

De ces actes, il y a ceux qui sont visibles alors que d’autres le sont moins, et à des degrés variables quant à leur cadence et leur manifestation. Mais le fait est là, et que ce sont des actes qui ont une certaine existence dans la réalité, bien qu’ils ne sont pas considéré comme le propre de Ramadan. Exception faite pour des comportements objets d’émotivité excessive qui meublent l’espace public, de manière phénoménale et indescriptible, particulièrement au niveau urbain. C’est dans ce contexte, qu’il y a lieu d’observer ces comportements et ces actions dans la logique de la Dissonance cognitive et qu’il reste très opportun d’en étudier la portée et les modalités psycho-sociales pour comprendre cette réalité sociale dite composite.

La dissonance cognitive est un concept qui relève de la psychologie sociale, initié et théorisé par l’Américain Léon Festinger, qui décrit un état psychologique ayant lieu lorsque l’esprit d’un individu est en présence de pensées relatives à son comportement, à soi ou à l’environnement étant incompatibles entre elles, ce qui amène cet individu a éprouver un cas de tension désagréable. Quant aux pensées en question, elles sont à comprendre dans ce qu’elles désignent comme croyances, connaissances, idées et opinions ; en l’occurrence, on les décrits en termes de cognitions. En d’autres termes, la dissonance cognitive est considérée comme « un état de tension désagréable et qui est dû à la présence simultanée de deux cognitions (idées, opinions, comportements) psychologiquement inconsistantes ».

Ainsi, lorsqu’une personne dispose, en même temps, de deux cognitions (deux idées à propos d’un fait) cohérentes entre elles, elle éprouve un état satisfaisant dit de consonance cognitive (nécessaire à l’équilibre cognitif). Cependant, deux (ou plusieurs) cognitions incohérentes entre elles (lorsqu’une idée implique une autre qui va à son encontre) sont capables d’entraîner un état d’activation psychologique déplaisant, c’est-à-dire une dissonance. L’état de cette dissonance qui rend compte d’une inconsistance est induit par le comportement de l’individu lui-même, du fait qu’il est acteur et l’auteur de ses actes. En ce sens que celui-ci agit d’une manière qui n’est pas en accord avec les cognitions dont il dispose et les usages socialement normalisés.

Par ailleurs, il ne s’agit pas d’une simple information qui donne lieu à cet état d’inconsistance mais plutôt le propre comportement de l’individu. Dès lors, on soulignera que la dissonance est fonction de trois conditions : l’écart entre les cognitions dans la même situation ; l’importance conférée à chacune des cognitions ; le nombre de cognitions et d’actes discordants en présence.

À cet effet et en réaction à un tel cas de dissonance, cet individu s’appliquera à mettre en œuvre des stratégies inconscientes visant à rétablir son équilibre cognitif. En ce sens que l’individu tend à éliminer les faits de pensée ou les faits comportementaux présents en lui et qui sont contradictoires à partir d’une rationalisation en changeant de comportement et d’opinion ou en adoptant d’autres par exemple. Il faut dire que ces stratégies, qui sont opérées au niveau des attitudes, ont pour finalité la réduction de la dissonance et son animées par l’individu dans son effort de faire face à cette incompatibilité. Car, ces stratégies ont pour fonction la modification de ses opinions afin de les ajuster avec des percepts comme nouvelle cognition ou les rendre conciliables avec la croyance en optant pour l’harmonie comme exigence de son équilibre cognitif. Il s’agit d’un «processus de rationalisation».

Il y a donc dissonance quant l’individu a une croyance et que les faits rapportés ne correspondent pas avec cette croyance. Quant à ce processus de rationalisation, soulignons qu’il a trait à un travail de réduction de la dissonance qui se traduit par le fait que l’individu modifie son attitude initiale dans le sens d’un meilleur accord avec l’acte qu’il vient de réaliser. C’est un travail d’ajustement cognitif qui est définit par cette rationalisation et grâce auquel l’individu ne fait que justifier a postériori ses comportements, sans pour autant que ce soit un processus de remise en question de soi en termes de repentir, d’un mea-culpa ou d’un aveu vis-à-vis de la communauté. De même qu’il ne s’agit pas de ce qui est communément connu comme cas de conscience dont lequel l’individu sera amené à se lamenter, mais plutôt de prise de conscience de la contradiction opérée chez lui entre les cognitions et les comportements.

De leur côtés, les prêcheurs et prédicateur (Ouléma, Fouqaha…) de tout bord, plus que les défenseurs d’un civisme rationnel, et dans tous les lieux permettant d’interpeller ces cognitions et ces comportements (mosquées, Tv, Radio, presse..), s’emploient au rappel et à la Persuasion pour réagir contre les transgressions, et donc, s’appliquent à contrer la dissonance ou plutôt œuvrent à la réduction de ce processus.

Les observations relevées dans ce cadre, permettent de rendre compte des incohérences qui colorent certains comportements traversant le vécu et la socialité. Il va sans dire que les manières de faire et d’agir qui ont cours durant la Ramadan représentent un cas exemplaire de dissonance cognitive, combien étudiée par les psychologues sociaux dans d’autres contextes et concernant d’autres problématiques de comportements sociaux.

Abdelkarim BELHAJ
*Professeur de Psychologie sociale
Université Mohammed V. Rabat

source ; Le Katois

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