Au mépris des risques d’accident, de nombreux commerçants installent leurs étals et proposent divers articles au bord des grandes artères. Certains font de bonnes affaires
Le dos tourné à la grande voie sur laquelle défile un ballet continu d’automobilistes et de motocyclistes, Adama Kanouté, la trentaine, recouvre ses marchandises de bâches en plastique pour les protéger de la poussière. Le jeune homme s’est spécialisé dans la vente de jouets pour enfants. Dans ce bazar, des voitures et motos en miniature, des poupées, des peluches affichant une myriade de couleurs vives sont exposées à la lisière de la chaussée. Cette panoplie de jouets attire les yeux admiratifs des enfants qui passent. Des deux côtés de la route, pourtant très fréquentée par les usagers, sont alignés de nombreux commerçants qui, comme Adama, exercent leur business au bord de la route. L’ambiance de cette rue devenue désormais «marchande» est agrémentée par une radio dont les hauts parleurs crachent un son au rythme du rap local au grand bonheur du groupe de commerçants.
Adama Kanouté et son grand frère Tahirou vendent des jouets devant la Bibliothèque nationale depuis plus d’une dizaine d’années. La plupart de leurs marchandises sont de fabrication chinoise. Certains produits comme les vélos proviennent du Nigeria ou du Ghana, selon Tahirou Kanouté. Le commerçant a préféré l’activité de vendeur de rue au métier de tailleur, emploi qu’il a quitté parce qu’il avait du mal à recouvrer ses créances auprès des clients. « Dieu merci ! Je ne regrette pas mon choix. Je préfère ce métier à la couture. Avec mon diplôme en dessin bâtiment, je n’ai pas pu avoir un emploi dans ce secteur. Mais, depuis que je me suis lancé dans le commerce en 2008, je m’en sors. Je subviens à tous les besoins de ma famille », confie Tahirou. L’allure anodine que peut dégager les articles étalés en périphérie de la chaussée n’enlève rien à leur valeur marchande. Certains modèles de jouets représentant des voitures et des motos en miniature ne coûtent pas moins de 100.000 Fcfa. Pour les modèles les plus rares, les prix peuvent s’envoler autour de 300.000 à 500.000 Fcfa, précise le vendeur installé sur une longue chaise.
Les passants sont les principaux clients des commerçants qui ont colonisé les bordures des grandes artères. Leurs marchandises sont aussi prisées, selon Tahirou, par une clientèle fidélisée qui préfère acheter au coin de la rue plutôt que de se rendre dans les grands magasins. « Il nous arrive même d’avoir des commandes à l’intérieur du pays, notamment de Ségou, Nioro, Kayes et Mopti, entre autres », lance le négociant.
Masques sur le nez, deux petits garçons se montrent très admiratifs devant une moto en miniature de couleur blanche. Les deux mômes accompagnent leur père, Saer Seck, un expatrié sénégalais résident à Bamako. Le papa ne résiste pas aux sollicitations de ses rejetons. Il achète le simili bolide. Désormais client fidèle de Tahirou, il explique acheter depuis plus de trois ans les jouets de ses enfants chez les vendeurs à l’étal. « Ces gars sont moins chers que les magasins de vente de jouets », justifie le paternel, derrière son masque. Il soutient ne pas avoir de problème avec des commerces en pleine rue. Mieux, pour Saer Seck, les installations « les harmonisent et les embellissent. C’est beau, c’est mieux que s’il y avait des tas d’ordures ici ».
En 2008, de l’aveu de Tahirou, quand il s’installait, les vendeurs n’étaient pas si nombreux contrairement à la situation actuelle. à présent, de nombreux kiosques, étals et installations de commerce en tout genre ont spontanément essaimé sur plusieurs artères de Bamako. à quelques mètres des commerces de Tahirou et son frère, autour du monument Kwamé Nkrumah, une dizaine d’autres vendeurs occupent les alentours du trottoir. Ici, tout se vend ou presque : de la poterie, des récipients en plastique, les classiques jouets pour enfants, des objets ménagers, de la friperie… Tout un écosystème commercial qui s’est développé dans cet environnement. Les passants, motocyclistes et automobilistes sont obligés d’user de vigilance mais surtout de dextérité au volant afin d’esquiver les marchandises.
C’est à cet endroit que le jeune Ibrahim Cissé a installé ses articles au pied du mur d’une cour abandonnée et en face de la grande voie. à 21 ans, le chef de la boutique gère son business avec ses deux jeunes frères qui lui servent d’apprentis. Ibrahim Cissé a abandonné l’école en 8ème fondamentale. Après de multiples petits métiers dont la menuiserie, la réparation de moto, il s’est reconverti en vendeur de jouets depuis six ans près de cette voie publique.
LES DIFFICULTÉS- Le problème de Tahirou, Ibrahim et la grande majorité des vendeurs établis le long des rues et ruelles de Bamako, est qu’ils n’ont pas d’autorisation pour leur activité et sont complètement dans l’informel. Ils pratiquent leur activité économique dans des conditions d’extrême précarité et sont exposés à de multiples risques. En plus du danger de la circulation routière, le vol des marchandises est monnaie courante dans ce milieu.
Les articles, étalés en plein air, deviennent des proies faciles pour les voleurs qui opèrent souvent de nuit. Selon Tahirou, en treize ans d’activité, il a été cinq fois victime de vol. « Il y a trois ans, je me suis fait voler toute ma marchandise d’une valeur d’au moins 3,5 millions de Fcfa. La dernière fois également, on m’a subtilisé une marchandise de plus de 1 million en août 2020 », témoigne le vendeur en brandissant comme preuve une déclaration de vol qu’il a faite au commissariat de 2ème arrondissement de Bamako. Pour circonscrire le vol, les vendeurs ont engagé un gardien de nuit qui surveille les marchandises exposées en plein air.
Cependant, la principale difficulté liée à cette activité reste son caractère illégal et anarchique. Les marchandises sont exposées sur l’espace public, donc les opérations de déguerpissement peuvent survenir à tout moment. Comme ce fut le cas en 2017, environ 2.700 petits commerçants avaient été déguerpis des espaces publics sur ordre du gouverneur de Bamako de l’époque, Amy Kane. Les vendeurs se souviennent toujours de cet épisode particulier. « 2017 a été vraiment une année noire pour nous. Sur ordre du gouvernorat, nos marchandises ont été saisies et on ne les a plus retrouvées. Pendant des mois, nos activités étaient à l’arrêt et on se débrouillait pour vendre à la sauvette. Et il fallait prendre la fuite à la vue des policiers », relate Tahirou Kanouté.
Dans ce jeu du chat et de la souris, les rapports entre les vendeurs et les services de la mairie et de la police restent tumultueux. « Nous n’avons pas d’autorisation de vente, mais la police et la mairie nous font payer des taxes une fois par an. Ainsi, il leur arrive d’amener nos marchandises que nous allons récupérer après le payement d’une caution», souligne Tahirou Kanouté. « Malgré la redevance dont nous nous acquittons auprès de la mairie, leurs agents saisissent nos affaires », martèle le jeune Ibrahim Cissé. Les groupes de vendeurs se cotisent entre 10.000 Fcfa et 15.000 Fcfa par personne pour payer et récupérer les marchandises saisies.
EFFET DÉGUERPISSEMENT- Après l’opération de déguerpissement 2007, il y a eu beaucoup de changements, révèle Fily Dabo Sissoko, l’administrateur gérant des marchés et des équipements marchands à la marie de la Commune III de Bamako. «Depuis le déguerpissement ordonné en 2017 par le gouvernorat, la mairie n’est plus habilitée à donner des autorisations d’installations dans les endroits où les personnes ont été déguerpies», affirme le responsable des services municipaux qui confirme que l’écrasante majorité des vendeurs installés aux bords des artères de Bamako n’ont aucune autorisation et se sont installés anarchiquement. L’octroi d’autorisation de la mairie aux personnes désirant mener des activités dans le domaine public suit une procédure stricte, indique l’administrateur. «Pour avoir une autorisation, il faut adresser une correspondance au maire précisant le lieu à attribuer, l’activité qui y sera menée et le type d’équipement à installer. Le document est complété par une copie de la pièce d’identité, le timbre et la Taxe de développement régionale et locale (TDRL) », détaille l’agent de la mairie.
Il précise que les dossiers pour l’attribution des places doivent au préalable avoir l’opinion de plusieurs services spécialisés avant l’autorisation d’installation du maire. Il s’agit des services de l’urbanisme, de l’assainissement, de la direction urbaine du bon ordre et la protection de l’environnement (Dubope), de la police, du chef de quartier et enfin de l’officier d’état civil chargé du quartier.
Selon Fily Dabo Sissoko, moins de 20% des demandes d’autorisation obtiennent gain de cause au niveau de la mairie de la Commune III. Les services municipaux ont des difficultés à contrôler le grand nombre de personnes qui s’installent dans les rues car ils sont souvent à l’intérieur des quartiers. Et beaucoup de vendeurs ne s’encombrent pas des formalités administratives pour s’installer.
En ce qui concerne les redevances de l’autorisation de la mairie, selon M. Sissoko, les frais d’installation des équipements coûtent 12.500 Fcfa pour une année. Les tarifs mensuels vont de 2.500 Fcfa à 3.000 Fcfa pour les installations (kiosques, airs de lavage, hangars, etc.) suivant la taille de l’installation. «Souvent, on est obligé de prendre la taxe municipale avec des occupants bien qu’ils n’ont pas d’autorisation», recconaît l’agent municipal, qui se montre catégorique quant à la situation des vendeurs établis aux bords des grandes artères. « La mairie ne prend pas de taxe avec ceux qui sont installés aux bords des grandes artères puisqu’ils doivent être déguerpis normalement », insiste-t-il.
Les services de la marie, note Fily Dabo Sissoko, mènent périodiquement des opérations de déguerpissement en vue de dissuader les personnes de s’installer dans les lieux non appropriés. Pour lui, l’option du déguerpissement présente d’importants coûts en location de camions et en mobilisation de personnels, ce qui s’avère difficile à supporter pour la mairie. La solution, propose-t-il, passe par une combinaison des mesures dissuasives et la sensibilisation des vendeurs par les services spécialisés. « Il faut que les gens comprennent que tout le monde ne peut pas être commerçant et surtout que la voie publique ne peut pas être érigée en marché », martèle-t-il.
Mohamed TOURÉ
Source : L’ESSOR