«La stratégie de Donald Trump a été pensée depuis longtemps et il avait annoncé la couleur bien avant le scrutin, estime Marie-Christine Bonzom, politologue et journaliste, ancienne correspondante de la BBC à Washington. Il y a déjà eu plus de 300 contestations, recours administratifs et judiciaires faits dans les états même avant le 3 novembre.» Le président a également lancé plusieurs actions en justice dans le Michigan, la Pennsylvanie, la Géorgie et le Nevada tout en demandant également un recomptage des votes dans le Wisconsin, remporté par son rival démocrate. Selon les États, il a demandé de suspendre le comptage des voix par correspondance, notamment ceux arrivés après le 3 novembre, dans d’autres il a dénoncé des fraudes, comme pour le Nevada. Donald Trump est même allé jusqu’à mettre en garde Joe Biden, lui promettant qu’il allait lancer des actions judiciaires dans tous les États remportés par l’ancien vice-président de Barack Obama.«Sur le terrain, la stratégie de Donald Trump semble avoir deux axes, détaille Marie-Christine Bonzom. En Arizonapar exemple, il demande que tous les votes soient comptés puisque pour le moment Joe Biden est en tête. En Pennsylvanie, à l’inverse, il va contester la validité d’un maximum de bulletins afin d’obtenir un recomptage. Il va contester surtout les votes par correspondance sur des points très techniques comme la vérification des signatures par exemple. » En multipliant ces recours, le président américain a la Cour suprême dans son viseur. Déjà mardi, il a annoncé saisir la plus haute institution judiciaire du pays. «Il ne peut affirmer que la Cour va se saisir de son cas, conteste Sanford Levinson. Mais il va multiplier les actions en justice dans les États, qu’il pourra ensuite porter devant la Cour suprême de chaque État, puis, éventuellement, la Cour suprême pourrait se saisir. Mais elle n’est pas obligée de le faire. Donald Trump va toutefois tout faire pour attirer son attention.»

Bataille de l’opinion publique

Et puis, Trump ne se contente pas du terrain judiciaire. «Ce genre de bataille se joue non seulement dans les prétoires des États mais aussi dans l’opinion publique», convient Marie-Christine Bonzom. Là encore, Donald Trump avait annoncé la couleur bien avant le jour du scrutin. Fin septembre, Donald Trump s’était refusé à s’engager à un transfert pacifique du pouvoir en cas de défaite. «Il va falloir que nous voyions ce qui se passe», avait-il lâché interrogé par une journaliste qui lui demandait de s’engager à assurer une transition sans violence. Encore une fois, il a tenu ses promesses dans la nuit de mardi à mercredi quand il a pris la parole pour annoncer sa victoire. «En ce qui me concerne, nous avons gagné», a-t-il assuré regrettant l’arrêt des comptages de votes : «Nous étions en train de gagner et on a dû tout suspendre».

«C’est terrifiant, Trump essaie de saper la démocratie, s’inquiète Bernadette Meyler. Pendant le premier débat, il avait refusé de garantir qu’il reconnaîtrait sa défaite s’il ne gagnait pas. S’il perd et si tous ses recours échouent, je ne suis pas certaine qu’il partirait. Et, dans ce cas, la Constitution ne dit pas quoi faire même si ce serait probablement le Congrès qui aurait le dernier mot.» Et Sanford Levinson de rajouter : «Trump ne le fait pas parce qu’il exagère mais parce qu’il essaye de délégitimer les élections».

Des propos qui font également craindre des violences. Pendant la campagne, Donald Trump avait adressé un avertissement timide au groupe des Proud Boys – une organisation armée d’extrême-droite qui a multiplié les regroupements ces derniers mois – leur intimant de se tenir à l’écart mais également de «se tenir prêts». Et, ce dans la même phrase. Des tensions ont éclaté ces derniers jours dans plusieurs villes américaines comme à Phoenix, dans l’Arizona, où des dizaines de pro-Trump se sont rassemblés devant un bureau de vote pour demander l’arrêt du comptage. À Portland, dans l’État d’Oregon, des militants d’extrême-gauche ont manifesté avant que la situation ne dérape et que des armes soient saisies.

Joe Biden prêt à la bataille avec ses 600 avocats

Reste que, s’il conserve le soutien de ses fervents partisans, le silence du parti républicain demeure assourdissant. «Parmi les apparatchiks du parti, notamment les républicains du Congrès, personne ne l’a soutenu ouvertement», précise Marie-Christine Bonzom rappelant que même Chris Christie, ancien gouverneur du New Jersey proche de Donald Trump, s’est montré critique vis-à-vis de ce dernier. «C’est une mauvaise décision stratégique, une mauvaise décision politique», a-t-il lâché critiquant la décision de Trump de revendiquer la victoire. Or, sans le soutien du «Grand Old Party», il est plutôt clair, selon Sanford Levinson, que Trump ne pourra s’accrocher bien longtemps au pouvoir en cas de défaite : «Je pense qu’il sera le plus mauvais perdant du monde mais il ne peut pas rester au pouvoir sans le soutien des gouverneurs. Or, les fonctionnaires d’État ont peu de respect pour lui et, je ne pense pas qu’ils pourraient prendre des mesures extraordinaires lui permettant de rester au pouvoir.»

Le constitutionnaliste américain fait référence à l’article 2 de la Constitution américaine qui stipule que la législature d’État (la branche législative de chaque État NDLR) a le pouvoir de nommer les grands électeurs. Il n’est indiqué nulle part dans la Constitution américaine que les grands électeurs doivent être élus. «Il peut toujours leur demander, je serai vraiment très surpris qu’ils le fassent, je ne pense pas que le parti républicain ait envie de déclencher une guerre civile», veut croire Sanford Levinson.

Surtout que les démocrates ne comptent pas se laisser faire. Selon l’agence de presse Reuters, Joe Biden s’est entouré d’une équipe de 600 avocats, anticipant la – ou plutôt les – bataille juridique à venir. «Le camp démocrate a rassemblé des experts du droit électoral de tel ou tel État voire de telle ou telle circonscription, s’amuse Marie-Christine Bonzom. Mais, pour le moment, on ne sait pas qui fait partie de l’équipe de contestation de Donald Trump. Ce que l’on sait c’est qu’elle est menée par Rudy Giuliani qui est certes avocat, un ancien procureur, mais qui n’est pas spécialiste du droit électoral de la Pennsylvanie par exemple. C’est un écueil pour Trump s’il n’a pas ces spécialistes. Il aura des problèmes pour progresser.» Comme un présage, les recours du camp Trump dans le Michigan et la Géorgie ont été rejetés ce jeudi par deux juges. Viendront probablement des appels auxquels s’ajouteront de nouveaux recours judiciaires. Avec pour principal objectif désormais : retarder la proclamation du vainqueur le plus possible.