Après la démission forcée d’Ibrahim Boubacar Keita, c’est le colonel Assimi Goita, qui s’est présenté, mercredi à Bamako, comme le chef des militaires qui gouvernent le pays. Les militaires ont évoqué une transition politique civile et des élections, sans pour autant fixer le calendrier.
Le colonel Assimi Goita, nouvel homme fort du Mali, s’est présenté, mercredi, comme étant le chef des militaires qui gouvernent le pays, au lendemain de la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta. Il s’est exprimé le même jour après avoir rencontré des hauts fonctionnaires au siège du ministère de la Défense. «Il était de mon devoir de rencontrer les différents secrétaires généraux pour que nous puissions les assurer de notre soutien par rapport à la continuité des services de l’Etat », a-t-il expliqué.
La coalition d’opposition du M5-RFP qui s’est félicitée le 19 août du coup d’État militaire de la veille, a déclaré être prête à élaborer «une feuille de route» avec le Comité national pour le salut du peuple, et «toutes les forces vives» du Mali.
Fiers de leur victoire, les opposants prévoient de la célébrer ce vendredi. Si l’opposition malienne lui est favorable, le pouvoir du colonel Goita reste illégitime, aux yeux de la communauté internationale qui a unanimement condamné le putsch, réclamant le retour à l’ordre constitutionnel et la libération du président Keïta arrêté mardi par les militaires. La CEDEAO a suspendu le Mali et prévoit une réunion extraordinaire de ses chefs d’Etat, aujourd’hui, pour évoquer la question en visioconférence.
L’ONU condamne la mutinerie
Dans une déclaration lue en son nom, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a appelé à un règlement pacifique» de la crise : « Le secrétaire général appelle à un rétablissement immédiat de l’ordre constitutionnel et de l’état de droit au Mali. Il réitère ses appels à un règlement pacifique de leurs différends et soutient l’Union africaine et la CEDEAO dans leurs efforts pour trouver une solution pacifique à la crise actuelle ».
A l’issue d’un sommet extraordinaire de l’Union européenne, les 27 ont réclamé un «retour immédiat de l’état de droit» au Mali.
« La stabilité de la région et la lutte contre le terrorisme doivent demeurer des priorités absolues », a déclaré le président du Conseil de l’UE, Charles Michel, soulignant la préoccupation des pays membres de l’union européenne.
Emmanuel Macron demande que le pouvoir soit « rendu aux civils »
Au Mali, il y a un timide retour à la vie normale, après le renversement mardi d’Ibrahim Boubacar Keita.
A Paris, le chef de l’État français, Emmanuel Macron, juge « indissociables » la défense de la démocratie et la lutte contre le terrorisme.
Alors que la situation continue d’être particulièrement complexe au Mali, Emmanuel Macron a estimé mercredi que « la lutte contre les groupes terroristes et la défense de la démocratie et de l’État de droit sont indissociables ». « En sortir, c’est provoquer l’instabilité et affaiblir notre combat. Ce n’est pas acceptable », a poursuivi le président français sur Twitter, en appelant à ce que le pouvoir soit « rendu aux civils », que « des jalons [soient] posés pour le retour à l’ordre constitutionnel » et que le président malien et son Premier ministre soient libérés.
Emmanuel Macron a indiqué mercredi que « la France et l’Union européenne sont aux côtés de la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest] et de l’Union africaine pour trouver une issue à la crise malienne. La paix, la stabilité et la démocratie sont notre priorité ». « Nous sommes extrêmement attentifs à la sécurité de nos ressortissants au Mali. J’ai demandé en Conseil de défense ce matin de tout mettre en œuvre dans ce sens », a ajouté le président français.
Plus tôt, le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, avait indiqué que « la France avait pris acte de l’annonce de la démission du président » malien et qu’elle se tenait, « comme elle l’a toujours fait, aux côtés du peuple malien». « Elle s’est engagée, à la demande de ce pays, en poursuivant deux priorités : l’intérêt du peuple malien et la lutte contre le terrorisme », avait poursuivi Jean-Yves Le Drian.
Qui sont ces militaires maliens à la tête de la mutinerie du 18 août ?
Désormais, le Mali est dirigé par un « Comité national pour le salut du peuple » [CNSP], lequel a assuré qu’il engagerait une « transition politique civile », via des élections générales devant se tenir dans un « délai raisonnable » et dans le cadre d’une « feuille de route qui conduira vers un Mali nouveau ».
Et même s’il a dénoncé la politique menée par le président Keïta, ce comité, composé de cinq officiers supérieurs des Forces armées maliennes [FAMa], a dit vouloir continuer à travailler avec les forces internationales présentes au Mali [Barkhane, MINUSMA, Takuba, Force conjointe du G5 Sahel] et mettre en œuvre les accords de paix d’Alger, dont l’application tarde toujours, cinq ans après avoir été signés par Bamako et les groupes armés rebelles touaregs.
Parmi ces cinq officiers, quatre ont rapidement été identifiés. Ainsi, le colonel-major, Ismaël Wagué, numéro deux de la force aérienne malienne, s’est présenté comme étant leur porte-parole. C’est d’ailleurs lui qui a lu la première déclaration du CNSP.
Le plus gradé des putschistes est le général Cheick Fanta Mady Dembele. Passé par l’École spéciale militaire [ESM] de Saint-Cyr – Coëtquidan [promotion « Général Guillaume » – 1990-1993] et l’université de l’armée fédérale allemande, diplômé de l’école d’état-major général de Koulikoro et titulaire d’une licence en histoire de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne ainsi que d’une maîtrise en génie civil, il était jusqu’à présent le directeur général de l’institution de maintien de la paix Alioune Blondin Beye, après avoir été chargé de la gestion des conflits et de la planification stratégique à la Commission de paix et de sécurité de l’Union africaine. Son rôle dans le coup d’État n’est pas encore clair.
Décrit, pendant un temps, comme étant le «nouvel homme fort » de Bamako, le colonel Sadio Camara, né en 1979, a servi dans le nord du Mali jusqu’en 2012. Puis, il a pris le commandement de l’académie militaire de Kati. Un poste qu’il a occupé jusqu’en janvier 2020, avant de partir en Russie pour y suivre une formation militaire. Il était revenu, en permission, au Mali au début du mois d’août. Mais contrairement à ce qui a pu être dit quelques heures après le putsch, ce n’est pas lui qui tirerait les ficelles.
Autre officier ayant suivi un stage en Russie, le colonel Malick Diaw était le chef adjoint du camp Soundiata Keïta, à Kati. Celui d’où est parti la « mutinerie ». Il est désormais le « vice-président» du CNSP.
Le dernier officier à avoir été identifié est le colonel Assimi Goita. Dans une courte déclaration devant la presse faite après avoir rencontré les hauts fonctionnaires maliens au ministère de la Défense, il s’est, en effet, présenté comme étant le « président du Comité national pour le salut du peuple »,
« Le Mali se trouve dans une situation de crise sociopolitique, sécuritaire. Nous n’avons plus le droit à l’erreur. Nous, en faisant cette intervention hier, nous avons mis le pays au-dessus [de tout], le Mali d’abord », a déclaré le colonel Goita. « Il était de mon devoir de rencontrer les différents secrétaires généraux pour que nous puissions les assurer de notre soutien par rapport à la continuité des services de l’Etat », a-t-il expliqué. « Suite à l’événement d’hier [18/08] qui a abouti au changement de pouvoir, il était de notre devoir de donner notre position à ces secrétaires généraux pour qu’ils puissent travailler », a-t-il insisté.
Les informations sur cet officier sont parcellaires. On sait qu’il était le commandant du Bataillon autonome des forces spéciales et centres d’aguerrissement, créé en mai 2018. Cette unité travaille régulièrement avec les forces américaines, en particulier dans le cadre des exercices « Flintlock ». C’est d’ailleurs à l’occasion de l’un d’entre-eux que le colonel Goita a fait parler de lui dans un article publié sur le site Internet de l’organisation « Spirit of America », proche du Pentagone et du département d’État. Sur les réseaux sociaux, il est dit que le colonel Goita a pris part aux combats de Boulikessi [30 septembre 2019] et qu’il a été fait prisonnier en 2012 à Tinzawatene, dans le nord du Mali, par le Mouvement national de libération de l’Azawad [MNLA, rébellion touarègue], avant d’être libéré grâce à l’imam Dicko.
Même s’il assure n’avoir aucune ambition politique, il reste à voir dans quelle mesure ce dernier a influencé le coup d’État contre le président Keïta, auquel il s’opposait vigoureusement après l’avoir soutenu. En attendant, le coup d’État va compliquer grandement la tâche des militaires et des diplomates français au Sahel.
Reste que le putsch envoie de mauvais signaux. Au Sahel, certaines forces armées ont subi des réformes, quand elles n’ont pas été sciemment affaiblies, pour éviter de les voir se lancer dans un coup d’État [comme cela s’est produit à plusieurs reprises par le passé, comme encore en 2015, au Burkina Faso, ndlr]. Ce qui explique en partie la progression des groupes terroristes dans la région. Or, justement, l’un des aspects de la stratégie française est de développer les capacités de ces forces armées locales pour qu’elles puissent assurer seules le combat contre les groupes armés terroristes [GAT]… Qu’en sera-t-il désormais?
Enfin, au-delà des aspects opérationnels, notamment au niveau des relations avec le G5 Sahel et sa force conjointe, le coup d’État malien va sans doute refroidir les partenaires européens de la France [qui n’étaient d’ailleurs pas déjà « très chaud »] à s’impliquer davantage au Sahel, en particulier de la force Takuba.
Econews avec AFP