Actuellement au Mali, la ferveur autour de la refondation de l’Etat, a apporté une certaine recrudescence des idées nationalistes, voire populistes. Ces pensées, entre autres, ont contribué à faire remonter en surface la question sur la problématique de la langue nationale.
Pourquoi le français reste la langue officielle du Mali ? Ou peut-être, comment la langue française se maintient-elle encore comme langue nationale du Mali ? Des interrogations qui ressortent chaque fois que le malien se sent heurté dans sa fierté, ou plus souvent lorsqu’il tente de justifier le bas niveau de son enseignement. Ce qui n’est pas complètement une contre vérité. Mais le malien s’est-il engagé réellement dans le sens de choisir une langue locale comme langue officielle de son pays ? peut-il choisir une parmi les treize nationales reconnues officiellement ?
En effet, au-delà des protestations, contestations et autres revendications vociférées par-ci par-là, sur des tribunes éphémères, périodiques tels des slogans d’affirmation d’engagement patriotique, est-ce que les leaders maliens se sont-ils sérieusement convaincus concernant cette question ? Il est bien difficile de l’affirmer. Parce que vouloir faire d’une langue locale malienne, la langue officielle du Mali dépasse largement le fait d’en avoir seulement l’idée, ou de le revendiquer juste, même farouchement. Cela doit être une quête un peu plus poussée. Evidemment qu’il faut la murir, puis la vouloir, mais il faut surtout beaucoup réfléchir. Réfléchir sur celle qui sera choisie, sur ses atouts, ensuite il faut se donner la force politique et les moyens techniques pour pouvoir l’imposer sur le plan national.
Il faut bien sûr faire remarquer que tous les pays considérés comme avancés enseignent dans leurs écoles à partir d’une langue locale érigée en langue officielle, et communiquent au sein de leurs administrations avec la même langue. Ce qui simplifie la maitrise des choses les plus compliquées, telles que les sciences, et l’accessibilité des constitutions, permettant de comprendre les mécanismes de fonctionnement de la gouvernance, et également les nuances des éléments qui font les techniques des développements. La Chine en est une grande illustration, elle a désigné le mandarin standard comme la base de la langue véhiculaire de la nation entière (d’où le terme de « langue commune »), elle était avant tout la langue du nord du pays et de l’administration, Elle est aujourd’hui pratiquée par 800 millions de cadres dans un pays de près de 2 milliards de citoyens. Il y’a aussi l’Inde, qui compte 860 langues « indiennes » (22 d’entre elles étant reconnues par la Constitution de l’Inde comme langues régionales), le pays a, en tout, 838 langues vernaculaires. Mais l’Inde s’est choisie deux langues officielles : le hindi et l’anglais, la première langue étant la plus forte, la deuxième servant à garder des liens avec le pays colonisateur, et facilitant en même temps certains transferts technologiques, qui sont d’ailleurs rapidement hindouisés.
Effectivement, choisir une langue locale pour enseigner tout un peuple demande un investissement académique en profondeur, qui va octroyer à la langue désignée une flexibilité, une adaptabilité et surtout une ouverture intellectuelle. En outre il faut un pouvoir politique fort qui doit convaincre par des arguments solides les autres communautés à accepter le choix. Un pouvoir qui doit élaborer la stratégie qui va permettre d’affirmer l’hégémonie de la langue choisie sur le plan national, en autorisant ou non la subsistance régionale des autres langues, des autres communautés nationales. L’option n’est nullement uniforme. Chaque cas est unique et doit fonctionner selon des réalités socio-politiques.
En ce qui concerne la France, qui est notre modèle d’Etat, il existe 75 langues régionales, recensées par le rapport Cerquiglini en 1999. Définies comme « des langues parlées sur une partie du territoire national depuis plus longtemps que le français langue commune ». Surtout il importe de rappeler que c’est en 1539, que l’ordonnance royale de Villers-Cotterêts lui a donné un pouvoir décisif. Mais l’unité linguistique prendra des siècles… Sous François Ier, le français était devenu la langue du droit, du sacré, des lettres et des sciences, aux dépens du latin. Cependant il a fallu attendre jusqu’en 1794, suite au décret révolutionnaire du 2 thermidor an II, pour qu’elle s’affirme comme la seule langue officielle de la Première République française. Un exemple qui démontre toute la difficulté de cette initiative. Elle demande de l’engagement, de la patience et un travail intellectuel harassant et méticuleux.
Comme nous venons de le constater ensemble, il ne suffit pas seulement de le vouloir, il faut aussi pouvoir le matérialiser en acceptant de s’engager dans un processus compliqué tout en s’armant de patience, et en se dotant d’instruments nécessaires à sa réalisation. Au 19e siècle les arabes ont pu réussir leur procédé en inventant un arabe standard, qui de nos jours est devenu la langue officielle des pays arabes, malgré la subsistance des arabes dialectaux propres à chaque pays.
Mais paradoxalement, c’est RFI, la radio France internationale, qui est en train de standardiser le Mandénkan, le Fulfulde et d’autres dialectes de chez nous à travers des émissions thématiques. Et certainement nous nous lèverons encore un jour contre la France pour dire qu’elle a réinventé nos dialectes. Elle va le faire, parce qu’elle sait anticiper, et elle sait défendre ses intérêts, surtout elle travaille. Actuellement nos ruraux sont collés sur les fréquences de RFI, parce qu’ils sentent la modernité et l’internationalité dans leur dialecte, ils vont adopter les codes qui y sont apportés par la France, et cela deviendra le standard construit et accepté.
Et nous, nous persisterons dans les énervements, dans les dénonciations futiles, dans les fiertés stériles. Pourtant les autres continueront à travailler. Ils travailleront même dans notre reconstruction dans leurs intérêts. Puis ils continueront à anticiper, quand nous, on reste dans les réclamations. Et l’on réclamera toujours sans vraiment agir.
Moussa Sey Diallo, élu URD