Selon un rapport de l’Unesco publié en 2021, le cinéma africain pourrait créer plus de 20 millions d’emplois et contribuer à hauteur de 20 milliards de dollars à la croissance économique. C’est dire l’énorme potentiel que le 7e art peut par exemple représenter pour notre continent, principalement le Mali qui regorge de talents avérés au niveau de toutes ses branches. Malheureusement, notre pays peine à tirer de ce potentiel le maximum de profit ces dernières décennies. Et cela à cause d’une politique cinématographique qui ne répond plus aux réalités du secteur, notamment en termes de production, donc de financement.
Mettre en valeur une cinématographie trop peu présente sur le marché international dans un contexte où la contribution des pays africains à l’exportation mondiale de biens culturels est encore marginale avec seulement 1 %» ! Telle est l’ambition de l’Agence culturelle africaine (ACA) en initiant, depuis cinq ans, le «Pavillon africain en marge du Festival international du film de Cannes» (France). «Le Pavillon est comme un centre d’accueil et de communication pour l’ensemble des professionnels du cinéma africain participant au festival et au marché de Cannes. Il est également un moyen de booster les opportunités et la visibilité des cinémas des 54 pays du continent auxquels il faut adjoindre ceux de la diaspora», a confié à «Le Point Afrique» (France) la Directrice d’ACA, Mme Aminata Diop Johnson. «Dans la même dynamique, j’ai lancé depuis 2019 le programme dénommé TALENTUEUSES CAMERAS D’AFRIQUE afin de favoriser l’émergence et la visibilité de jeunes créateurs africains à l’international», a-t-elle ajouté. Cette initiative a accueilli 29 lauréats de 17 pays, dont certains ont eu un très beau parcours depuis. Pour son 5e anniversaire cette année, le Pavillon africain s’est préparé à neuf jours exceptionnels jalonnés de conférences de haut niveau, de projections, de master classes, de cocktails post-projections, de visites officielles, de célébration des films en sélection et, bien sûr, des rencontres multiples et fructueuses entre les acteurs de l’industrie cinématographique africaine, de sa diaspora et des décideurs internationaux… Après le coup de frein imposé par le Covid-19, le cinéma africain tente de se relancer avec 12 œuvres présentes cette année à Cannes, dont 3 en compétition. Toujours en sélection officielle (mais non en compétition) il y a quatre films africains dans la catégorie «Un certain regard». Malheureusement, le Mali ne figure pas parmi ces différents pays. Le Mali à la traîne malgré des talents avérés et un potentiel énorme De l’entretien accordé à nos confrères de «Le Point Afrique» par Aminata Diop, nous retenons surtout que les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel représentent 5 milliards de dollars de revenus en Afrique et emploient 5 millions de personnes. Selon un rapport publié en 2021, le cinéma africain pourrait créer plus de 20 millions d’emplois et contribuer à hauteur de 20 milliards de dollars à la croissance économique. C’est dire l’énorme potentiel que le 7e art peut par exemple représenter pour notre continent, principalement le Mali qui regorge de talents avérés sur toutes ses branches. Considéré comme l’un des pionniers de la production cinématographique en Afrique, notre pays est à la traîne ces dernières décennies. Si nous avons bonne mémoire, le dernier trophée du «Etalon de Yennenga» (le Trophée du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou/FESPACO qui est l’un des meilleurs baromètre de la vitalité cinématographique d’un pays en Afrique) date de 1998 avec «La Genèse» de Cheick Oumar Sissoko (après Guimba le Tyran du même réalisateur et Baara de Souleymane Cissé en 1979). Certes il on ne peut pas cracher sur notre moisson à la dernière édition du Fespaco (25 février au 04 mars 2023) avec 4 prix spéciaux et une mention spéciale pour le film «Fanga, le pouvoir» de Fousseyni Maïga, non moins Directeur général du Centre national de la cinématographie du Mali (CNCM). Mais, elle (moisson) est bien en-deçà des attentes, surtout que notre pays était le «Pays invité d’honneur» de cette 28e édition à cause en partie de notre longue tradition cinématographique. Quand on interroge les acteurs, ils mettent en avant le manque de réalisme et de pragmatisme de notre politique cinématographique. Ce qui se traduit, selon de nombreux réalisateurs et producteurs par un manque de soutien institutionnel à notre cinéma, autrement le manque ou l’insuffisance du soutien financier de l’Etat à nos cinéastes. N’empêche que de jeunes réalisateurs comme Fousseyni Maïga, Alioune Ifra Ndiaye, Aïda Mady Diallo… parviennent aujourd’hui à s’illustrer par des solutions innovantes avec des productions pouvant concurrencer n’importe qu’elle œuvre cinématographie en Afrique voire dans le monde. Cela ne saurait absoudre l’Etat de son devoir à l’égard de son 7e art qui a longtemps été une grande vitrine du rayonnement culturel du Mali. Le Mali doit s’inspirer des pays comme la Côte d’Ivoire et surtout le Sénégal où le concours financier de l’Etat au développement des activités liées à la cinématographie et à l’audiovisuel se fait par le biais d’un fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle. Fonds De Promotion De L’industrie Cinématographique et audiovisuelle (FOPICA) doté de par le président de la République du Sénégal d’un montant d’un milliard pour son opérationnalisation effective depuis le 30 octobre 2014. L’urgence d’une politique cinématographique à la hauteur de nos atouts et de notre immense potentiel Le Fopica a été créé pour accorder des aides financières aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles, concernant tous les genres (documentaires, fiction, expérimentaux, animation, web création, vidéo art, jeux vidéo…) et durées (court, moyen et long métrage) ; prendre en charge les différentes étapes de la production et de la postproduction ; soutenir les projets de films documentaires et fiction qui, lors de leur dépôt au Ministère de la Culture, remplissent les conditions fixées par le règlement intérieur ; soutenir (volet Innovation-recherche ) les projets de films, quels que soient leurs genres et leurs durées, prenant en compte la diversification des pratiques cinématographiques et audiovisuelles ; encourager le croisement des disciplines artistiques et de favoriser leur diffusion. Selon les professionnels du cinéma sénégalais, le Fopica a favorisé les coproductions avec d’autres pays d’Afrique où existe notamment «une solide structuration des salles et un fonds d’aide au cinéma» avec la présence de très bons techniciens et producteurs permettant, bon an mal an, «un renouvellement des talents et la cohabitation entre les anciens». A défaut d’atteindre le Nigeria, nous pouvons par exemple nous inspirer de ses stratégies pour s’imposer à l’interne et conquérir les salles africaines. Locomotive du cinéma ouest africain voire africain, ce pays produit 76,5% des films et possède plus de 81 % des écrans de cinéma en Afrique de l’ouest selon une étude publiée par l’Unesco en 2021 sur les tendances et les perspectives de l’industrie cinématographique africaine. Ainsi, sur les 3 393 films produits en Afrique occidentale, Nollywood en produit 2599. Ces chiffres, selon des observateurs, montrent qu’en plus du succès de Nollywood à l’international, le cinéma nigérian s’est donné les moyens de réussir au plan local en produisant beaucoup de films, mais surtout en accueillant assez de cinémas pour permettre aux productions locales de rentabiliser leurs investissements. «L’ancrage local est important pour développer une industrie cinématographique qui a du succès à l’international», a récemment rappelé un expert de l’industrie du cinéma lors du «Canex Week-end», un évènement sur les industries créatives africaines organisé en Côte d’Ivoire par Afreximbank. Et d’ajouter, «regardez le succès de styles musicaux africains comme l’Amapiano ou l’Afrobeats, ils sont devenus des succès internationaux parce qu’ils ont eu du succès au plan local. Je pense que nous devons déjà résoudre les difficultés pour atteindre le marché local. C’est ce qui a fait le succès de Nollywood». Notre pays a en tout cas toutes les raisons de se doter d’une politique cinématographique à la hauteur de nos atouts et de notre immense potentiel. Et cela d’autant plus que, selon les résultats d’une étude récente réalisée par l’Unesco sur l’industrie cinématographique et audiovisuelle en Afrique, «le secteur est en pleine mutation malgré des zones d’ombre et la prédominance de l’informel dans les différentes filières». Pour Aminata Diop Johnson, «l’Afrique apparaît comme le continent le moins équipé en matière de distribution cinématographique avec seulement un écran pour 787 402 personnes». Et pourtant le marché existe parce que les Africains sont friands de cinéma. La preuve est le succès des œuvres de Nollywood un peu partout sur le continent. Il faut juste tirer les enseignements et diagnostiquer les failles de notre politique cinématographique, au niveau du financement singulièrement. A ce niveau il est important de retenir, comme l’a si bien souligné Mme Johnson, que «les investisseurs se concentrent toujours sur les secteurs traditionnels, tels que l’argent sur les mobiles, la logistique, la technologie et les énergies renouvelables». D’où la nécessité, selon la directrice générale de l’Agence culturelle africaine, d’un «lobbying positif doit absolument être mis en œuvre» afin de faire de la production cinématographique un secteur attractif pour les investisseurs. Moussa Bolly
Source : La Nouvelle République