Comme il est de tradition, après chaque fête de Maouloud, Chérif Ousmane Madany Haïdara fait le point de l’organisation de cette rencontre. Cet événement religieux a réuni à Bamako des participants venus de 25 pays. Au regard de l’affluence grandissante lors de la célébration du Maouloud, les responsables de l’association Ançardine comptent entreprendre, dans les jours à venir, des démarches auprès des autorités pour éviter tout engorgement du Stade du 26 mars, où a lieu le cérémonial depuis quelques années. Après la conférence de presse bilan, nous nous sommes entretenus avec le Guide spirituel de l’association Ançardine.
Vous avez choisi comme thème la paix et la tolérance pour l’unité nationale. Est-ce que la paix est possible sans justice ?
Chérif Ousmane Madany Haïdara : Sans justice et droiture, il n’y aura pas de monde stable. Dieu nous a demandé d’être droits ; il a demandé au Prophète Mohamed (PSL) d’être juste et tolérant. Il lui a recommandé de l’enseigner à ses fidèles. Nous sommes tous des Maliens, on sait que notre pays est dans une situation difficile. L’une des raisons en est la mauvaise distribution de la justice, l’égalité entre les Maliens. On ne saurait faire la paix et l’entente sans faire des concessions. Si nous devions tout remettre en cause, cela risquerait de nous conduire dans une autre crise. Il faut la justice, il faut la tolérance dans une parfaite compréhension. Pour l’intérêt de notre pays. Mais je reconnais qu’il y a eu trop de torts, trop d’injustice et trop d’inégalité par le passé. Regardez dans le domaine du foncier, des gens ont acheté des parcelles avec les autorités, s’il faut remettre toutes ces ventes en cause, ça pourrait créer d’autres problèmes.
Vous parlez de paix et de tolérance, que pensez de l’intention du gouvernement malien de traduire ATT devant la Haute cour de justice pour haute trahison ?
Chacun comprend cette affaire à sa manière. Nous voulons la paix et l’entente dans notre pays. Je pense que cette interpellation n’est pas une bonne chose, surtout en cette période où la préoccupation majeure est le rétablissement de la paix et la réconciliation nationale. Je ne connais pas les motivations d’une telle décision, mais à vouloir coûte que coûte remuer certaines choses, on risque de n’avoir pas l’effet escompté. Si ATT est jugé, beaucoup risquent d’en pâtir avec lui. Nous devrons nous battre pour préserver la cohésion sociale du pays après les huit mois d’occupation jihadiste. Mais s’il s’avère donc qu’une telle procédure peut remettre en cause le tissu social, pourquoi ne pas y surseoir. Mais, je ne suis pas politique, si les politiciens pensent que ça peut résoudre les problèmes, ils peuvent le faire aussi. En tant que musulman, notre rôle à nous est de concilier les gens et de les dissuader de prendre toute décision susceptible de nuire à la cohésion sociale ou compromettant ce qui a été jusque-là entrepris. Tous les Maliens doivent travailler à l’unisson pour reconstruire le pays après plusieurs mois de conflits, de déchirures et d’occupation.
On a constaté que le Stade du 26 Mars a été rempli et même débordé cette année. Est-ce que vous envisagez un autre site pour 2015 ?
Le plus grand lieu de regroupement au Mali, c’est le Stade du 26 Mars. Pour l’avoir, ce n’est pas une chose aisée. Est-ce que ce sont ces autorités qui vont songer à nous trouver un autre site ? Je dis non. Peut-être avec ce nouveau gouvernement qui dit être venu pour construire le pays. Je pense qu’ils sont comme nous, donc, ils doivent pouvoir nous aider dans ce travail de construction du pays. De fait, les gouvernements passés ne voulaient même pas entendre parler d’islam, à plus forte raison aider les musulmans ! Je le dis et je répète, d’autant que je n’ai pas «bouffé» un franc d’aucun responsable malien. Chaque fois, je disais à ATT ce que je pensais de la gestion du pays. S’il entend ce que je suis en train de dire, il saura dire si c’est vrai ou faux. Je ne lui ai jamais caché la vérité ! Ils (gouvernements précédents) n’avaient pas besoin d’aider les musulmans, mais ils faisaient semblant avec nous pour gérer leur pouvoir et passer. C’est tout ! Ils n’ont jamais pensé à aider les musulmans. J’espère que les nouvelles autorités ne vont pas nous décevoir comme eux.
Le pays n’est pas stable, on se garde d’accuser qui que ce soit, sinon, le Stade du 26 Mars est trop petit pour accueillir le Maouloud. Et l’Etat ne fait rien pour nous, même les forces de sécurité qui étaient sur place sont payés par Ançardine. Nous avons fait ce qu’on pouvait. Le Stade a été rempli et même débordé ! Il y avait une bonne équipe de sécurité, on pouvait travailler sans problème. Mais face à l’impossible, on ne peut rien. C’est pourquoi on a été obligé d’arrêter la cérémonie de bénédiction de clôture.
Comment vous faites pour faire venir les responsables des autres religions lors de la fête de Maouloud ?
L’islam est une religion comme le christianisme, mais nous avons décidé de pratiquer la religion musulmane comme nos parents l’ont pratiquée. Quand nous avons grandi, nous avons fait des recherches sur notre religion pour approfondir notre foi. Comme nous, d’autres frères à nous, ont choisi d’être chrétiens parce qu’ils sont nés dans des familles chrétiennes. Nous sommes tous des intellectuels, nous savons ce que nous faisons : chacun dans sa religion. Chacun doit rester sur son chemin jusqu’à l’au-delà et c’est Dieu qui dira ce qui est bon, ce qui ne l’est pas. Mais ici-bas, il n’appartient à personne de juger son prochain. C’est Dieu qui a cette faculté. Toute personne qui croit dire que telle religion est meilleure à l’autre, n’est pas un bon croyant. C’est pourquoi nous pouvons tout faire avec les chrétiens : manger ensemble, travailler, mener toutes sortes d’activités. Et quand survient l’heure de la prière, chacun se rend à son lieu de culte pour faire sa prière.
Comment voyez-vous la situation à Kidal ; est-ce que vous croyez au dialogue ?
La contestation du pouvoir central à Kidal ne date pas d’aujourd’hui, elle remonte aux années de l’indépendance du Mali et chaque régime a dû y faire face. Le même problème persiste. Il y a des enjeux qui nous dépassent et dépassent les plus hautes autorités du pays. Je ne crois pas que les marches ou sit-in pour dénoncer cette situation de blocus puissent y changer quelque chose. Pourquoi les autorités ne prennent-elles pas langue avec les Français afin de clarifier la situation ? Mais si jamais nous prenons les armes contre Kidal, la main cachée viendra jusqu’à Bamako. Autant négocier avec la main cachée que s’aventurer dans une guerre inutile. Pourquoi n’arrivons-nous pas à asseoir l’autorité de l’Etat sur cette partie du pays ? Il serait intéressant de dire ce qui ne va pas réellement. Si nous devons négocier avec les forces présentes à Kidal, parlons avec elles ! Ce n’est pas une question politique, les autorités doivent dire la vérité aux populations.
Est-ce que vous avez un projet dans le cadre de la réconciliation entre les Maliens ?
Dans tous mes prêches, je ne parle que de réconciliation ; ça a été mon travail même entre les leaders musulmans. Je fais ce travail depuis fort longtemps. Même après Maouloud, nous allons parler de paix et d’entente. Quand les militaires ont fait le coup d’Etat, nous sommes allés voir Sanogo, qui était leur chef. Nous sommes partis leur demander la libération des ministres qui étaient arrêtés. Nous leur avons demandé de les libérer, et que s’il y avait des poursuites contre eux, que la justice fasse son travail. Après, ils ont libéré les ministres. En notre présence déjà, ils ont libéré 3 et les autres ont suivi. C’est pourquoi nous ne devons pas faire de la politique, pour garder notre neutralité.
Après il y a eu l’affaire des bérets rouges, personne ne voulait en parler. Sanogo m’entend, je suis allé le voir tout seul, pour lui demander de les libérer. Malheureusement, certains d’entre eux étaient déjà morts et leurs corps étaient à la morgue. Je me suis battu pour que les parents aient les corps des défunts ; les blessés aussi, pour que leurs parents puissent les voir à Kati. Sanogo a même aidé certains à faire les funérailles de leurs parents. Moi, je n’ai jamais demandé un franc à lui ; je ne suis jamais parti le voir pour une affaire personnelle. Il le sait très bien. C’est pourquoi, quand il a eu des problèmes, je suis allé le voir en prison. Parce que quand ça se passait bien pour lui, je le voyais. Ce n’est pas parce qu’il a des problèmes que je doive l’abandonner. J’ai demandé aux autorités de me permettre d’aller le voir, elles ont accepté et je me suis rendu en prison pour le voir. Nous ne faisons que ce travail : cultiver l’entente, la paix. Je suis souvent resté à 2 heures du matin avec les militaires pour les aider à construire le pays. Nous travaillons pour la paix, la tolérance. Ce n’est pas que pendant Maouloud, nous allons continuer à faire ce travail pendant notre vie.
Est-ce que vous serez candidat à la présidence du Haut conseil islamique ?
Je ne suis pas candidat. Je n’ai jamais été candidat et je ne le serai pas. Moi, je n’ai jamais été à la mise en place d’un bureau du Haut conseil islamique. C’est après les travaux qu’ils m’appellent pour me dire que je suis à tel poste ou tel poste. Quand je dis que je n’en veux pas, ils me répliquent que c’est une décision de tous les musulmans du Mali.
Avez-vous des mots pour conclure cet entretien ?
C’est pour remercier tous ceux qui nous ont aidés à célébrer le Maouloud cette année ; tous les membres d’Ançardine, les journalistes qui nous ont aidés. Je vous encourage et souhaite bon vent à «Le Reporter Magazine» !
Kassim TRAORE