Un article de TOI Staff publié dans THE TIMES OF ISRAEL dans sa livraison du 21 janvier 2019 annonce “une visite historique du Premier Ministre du Mali, Soumeylou Boubèye Maïga” en Israël, de préférence avant les élections législatives israéliennes du 09 avril prochain. Cette visite serait la suite d’une rencontre entre le Président du Mali et le Premier Ministre Israélien en marge du 51e Sommet de la CEDEAO au Libéria en juin 2017. Revigoré par la réussite de sa récente visite au Tchad, avec le rétablissement des relations diplomatiques à la clé, le Premier Ministre israélien espère obtenir un autre succès retentissant en renouant avec le Mali. La réalisation d’une telle visite de la part d’officiels maliens serait un acte diplomatique majeur. Et la normalisation des relations diplomatiques avec le Mali serait un revirement d’une position de la diplomatie malienne en place depuis 1973.
Qu’est ce qui a changé pour que le Mali fasse ce saut périlleux?
Est-ce que ce choix répond aux intérêts stratégiques de notre pays?
Qu’est-ce qu’on perd et qu’est-ce que l’on gagne en se prêtant à cet exercice?
En un mot, est-ce opportun?
Pour camper le sujet, nous allons faire un rappel historique et parler de l’évolution du contexte.
La République du Mali a noué des relations diplomatiques avec Israël en novembre 1960 à l’occasion de la visite Jean Marie Koné dans ce pays. A cette occasion le Mali et Israël ont signé au moins trois accords de coopération.
Les relations entre les deux se sont maintenues malgré “la guerre de six jours” de juin 1967, qui a vu Israël occuper les territoires de plusieurs pays arabes. Un équilibre précaire a été maintenu jusqu’à la guerre d’octobre 1973 (le Yom Kippour), qui a vu la Ligue des Etats Arabes appeler les pays africains à isoler Israël et à soutenir la cause palestinienne. La suspension des relations entre le Mali et Israël est intervenue la même année en réponse à cet appel.
Depuis, Israël a conclu des accords de paix avec l’Egypte (Camp David 1978), avec la Jordanie et a restitué des territoires au Liban.
Malgré toutes ces avancées, la question contentieuse qui a été à l’origine de la suspension des relations entre les pays africains et Israël, à savoir la question Palestinienne, est toujours d’actualité, pour ne pas dire qu’elle s’est détériorée, cela, à maints égards :
-Le peuple Palestinien n’a jamais eu l’opportunité d’exercer son droit à l’autodétermination. Et les espoirs suscités par les Accords d’Oslo de 1993 se sont dissipés sur le terrain,
-Les colonies de peuplement rognent chaque jour davantage le peu d’espace en Cisjordanie. Le territoire de la Cisjordanie est aujourd’hui occupé à plus de 60% par les colons,
– Israël a proclamé l’entièreté de Jérusalem, “capitale éternelle” de l’Etat Hébreu et incite les pays tiers à y transférer leurs représentations diplomatiques,
– Les jeunes Palestiniens de Gaza sont tués par dizaines chaque vendredi depuis plusieurs mois, sans provoquer de l’émoi,
– Gaza est asphyxiée en raison d’un blocus interminable. Elle est devenue une “grande prison à ciel ouvert”.
Tout cela se passe aujourd’hui encore. C’est dire donc que les causes du gel des relations diplomatiques entre Israël et plusieurs pays africains n’ont pas disparu.
Et le Mali qui est membre du “Comité pour l’exercice des droits inaliénables du Peuple Palestinien” est plutôt discret.
Dès lors qu’est-ce qui a changé pour valoir un revirement de la diplomatie malienne?
Il faut reconnaitre que près de quarante (40) pays africains ont normalisé leurs relations avec Israël.
Le dernier en date est le Tchad qui a accueilli le Premier Ministre Israélien avec les honneurs il y a une semaine. Toutefois il est utile de signaler que cette visite a été ponctuée d’un horrible attentat perpétré contre les troupes tchadiennes de la MINUSMA le même jour à Aguel’hoc.
Qu’est-ce que la coopération avec Israël apporte aux Etats africains?
Les données en matière de commerce entre Israël et les pays africains sont très modestes, soit moins de 2 milliards de dollars d’échange par an.
Toutefois, Israël a une longue expérience de culture dans les zones arides et un savoir-faire en matière de gestion des ressources en eaux. Il a également réalisé d’importantes avancées dans le domaine technique, technologique et dans celui de la médecine.
Israël a surtout développé une aptitude à la résilience du fait ses prouesses en matière sécuritaire. En effet il évolue dans un environnement géopolitique peu enviable.
Le Mali pourrait bénéficier de l’assistance d’Israël dans les domaines énumérés, en particulier en matière de sécurité.
Sur le plan diplomatique ce serait aussi une ouverture importante, car qui a le soutien d’Israël jouit automatiquement de la sympathie des Occidentaux, des Etats Unis en particulier.
Qu’est-ce le Mali pourrait perdre dans la normalisation de ses relations avec Israël?
En raison de sa fragilité et de l’instabilité sécuritaire, le Mali n’a pas la résilience d’autres pays africains qui ont fait le même choix de renouer avec Israël. La normalisation des relations avec Israël exposerait le Nord du Mali à encore plus d’instabilité dans la mesure où la cause palestinienne est un élément fédérateur entre les groupes djihadistes.
Un autre élément à prendre en compte est la position géostratégique du Mali. La plupart des pays au Nord de l’Afrique n’ont pas de relations diplomatiques avec Israël, à l’exception de l’Egypte. Le revirement du Mali suscitera plus de méfiance dans ses relations avec ces pays.
Au niveau national, aucune discussion n’a eu lieu à l’initiative des dirigeants pour évaluer l’opportunité d’une telle normalisation.
Même si l’article 114 de la Constitution de 1992 stipule que “Le Président de la République négocie et ratifie les traités. Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d’un accord international non soumis à la ratification”, il n’en demeure pas moins qu’une décision d’une telle ampleur nécessite des consultations plus pointues en raison de ses répercutions latentes.
Si le principe de la visite est en soit un geste d’ouverture de notre politique extérieure que nous encourageons, le rétablissement des relations diplomatiques nous paraît précipité. Ce serait trop vite aller en besogne.
Si nous devons quand même aller de l’avant, attendons au moins que la Grande Alliance que les Etats-Unis veulent créer soit mise en place entre Israël et les pays de la Ligue Arabe. Le Mali sera alors exonéré de ses engagements. Car comme dirait l’autre, on ne peut pas être plus royaliste que le roi.
La prochaine Conférence des Ambassadeurs et des Consuls généraux serait le lieu approprié pour débattre de la question dans toutes ses implications et pour recueillir le point de vue des praticiens de la diplomatie avant toute décision.
S’il y a d’autres motivations justifiant l’urgence, nous voulons le savoir.
Des décisions de grande ampleur affectant la vie de la Nation sont prises en catimini par ces temps de tumulte où notre attention est plus portée sur notre survie quotidienne que sur toutes autres considérations, à fortiori des actions de politique extérieure, qui intéressent peu de gens.
La politique du fait accompli semble être le choix de nos gouvernants, que ce soit en matière de politique intérieure ou de politique extérieure.
Nous récusons cette façon de faire qui est loin d’être transparente.
A bon entendeur salut!
Cheick Sidi Diarra
Ancien Ambassadeur du Mali
auprès des Nations Unies