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Censure du film « O KA » ou Notre Maison: Souleymane Cissé interpelle le DG de l’ORTM

Dans une lettre ouverte, en date du 26 février dernier, le cinéaste Souleymane Cissé, très remonté suite à une attitude du directeur général de l’ORTM qu’il qualifie de ‘’censure’’, interpelle. Monsieur Cissé se dit surpris de constater qu’au Mali, un pays démocratique et de grande culture, qu’un journaliste puisse se permettre d’être le censeur d’un film qui n’est rien d’autre, comme le dit Roland Colin, qu’« une poésie pour la justice… ». Lisez plutôt sa lettre !

Monsieur le Directeur Général de l’ORTM,
Je tiens à vous signaler ma grande surprise de constater qu’au Mali, un pays démocratique et de grande culture, un journaliste puisse se permettre d’être le censeur d’un film qui n’est rien d’autre, comme le dit Roland Colin, qu’« une poésie pour la justice… ».
Je vous invite à lire ce texte de Roland Colin, lorsqu’il a vu ce film pour la première fois. Œil extérieur au Mali, mais fin connaisseur du Mali et de l’Afrique, cet ancien administrateur français a su s’élever de nos complicités primaires qui font que la corruption continue de gangrener notre pays. Il dit et je cite :
« IL N’Y A PAS DE PLUS GRANDE DETRESSE QU’UN HOMME IMPUISSANT DEVANT L’INJUSTICE »
« Le film O KA est un chemin d’entrée de jeu, une statue se déplace dans le champ visuel, ouvrant la voie. Pèlerin de l’histoire, il s’incarne dans un vieux sage, dont le visage se lit comme un livre. Il témoigne de l’origine à longue course de la dynastie des Cissé, liée depuis plus d’un millénaire aux origines de la saga fondatrice du Mali, dans ‘’ l’Afrique du soleil couchant’’.
Le mythe emblématique évoquera le pacte porteur du destin d’un peuple, où le héros fondateur aurait libéré l’avenir, vainqueur d’un serpent dominateur et cruel exigeant le sacrifice d’une jeune vierge. Pour le narrateur, le dessein n’est pas de s’engluer dans le passé mythique, mais de tenir le fil du temps porteur de sens.
Le défilement des plans nous plonge peu-à-peu dans un univers de sensualité poétique nous fait parler l’image en force et en finesse, dans une singulière ‘’oralité visuelle’’. On se trouve alors au rendez-vous des puissances créatrices enracinées dans l’Afrique-mère. Sans jamais perdre ce contrepoint sensible, on avance dans l’histoire. L’enfant fragile résiste aux forces contraires, dont notamment l’impéritie d’un brutal maître d’école : un roman d’apprentissage qui conduit à la période contemporaine. Devant une photo plein cadre, le personnage s’écrie : ‘’ le garçon que vous voyez, c’est moi ! ‘’ et je parle de ma vie, de ma famille et de mon pays. Une sorte d’autobiographie.
On continue de basculer dans l’histoire de la famille implantée alors dans le quartier historique de Bozola à Bamako. La trame du film se précise et se durcit. La maîtrise du sol propriété familiale, porteur de la maison emblème et refuge de l’identité, devient un enjeu primordial. Les maximes de sagesse salvatrice affluent dans la bouche de l’acteur-narrateur : ‘’Avant de trouver où s’asseoir, il faut trouver où se coucher. Avant de se coucher, il faut tenir debout. Peu d’hommes le font. Le reste n’est rien ‘’. La réflexion guide et soutient l’enracinement. Il faut tenir au sens : ‘’ Si le feu bondit vers le fleuve, il va s’éteindre’’.
La défense de la terre-mère est mise en question par les démarches frauduleuses d’une famille voisine plus tard venue, les Diakité, qui revendiquent l’enclos et la maison des Cissé. Le film épouse la force dramatique de cette compétition placée sous le signe de l’illégitimité. Les prétendants abusifs s’arment de toutes les compromissions où viennent se rejoindre d’antiques querelles traditionnelles.
À l’issue des étapes de résistance, les Cissé sont chassés des lieux par une intervention brutale des forces de l’ordre, en vertu d’actes de justice stipendiés. Et c’est la détresse infinie des femmes brusquées et meurtries, qui décident alors de s’établir à demeure sur la chaussée nue devant leur maison saccagée pour proclamer leur droit, malgré la souffrance et l’humiliation. On les a projetées dans le statut d’étrangères, à proximité de leurs demeures natales. Le bamana définit ainsi l’étranger : duntan, ‘’ celui qui est privé de domicile, de maison’’.
Le message de ce film nous touche au cœur ; au cœur des problèmes d’aujourd’hui. L’admonestation est forte, mais ne se résigne pas à une plongée dans la nuit. Les dernières séquences font droit à la lumière et à la vie. Le message est clair. Le narrateur dit : ‘’ Si tu pleures toujours sur ton sort, tu n’as pas compris… Il faut avoir le courage d’arrêter cette machine de tueries et de mensonges’’.
Dans le champ, le vieil homme déambule avec sa famille, hommes, femmes, enfants, tous vêtus de blanc, alors que l’arrière-champ est envahi d’une horde d’autruches, courant en martelant le sol de leurs pattes puissantes, en trajectoires incertaines. Des enfants ramassent les belles plumes laissées sur le sol. ‘’Comment dansent les grands oiseaux ?’’ S’interrogent les humains. Les enfants miment et dansent avec le vieux, une danse de vie. ‘’Nous revoilà au début de ce procès. Que de temps, que d’argent, que de vies perdus dans la recherche de la vérité ! Quand prendra fin la cruauté des hommes ? Alors la vérité sera au rendez-vous… Le pays ne peut pas rester ainsi’’.
Comme une raie de lumière filtre une note d’espoir : le 5 octobre 2015, la Cour Suprême du Mali a annulé l’ordonnance d’expulsion de la famille Cissé. Le héros du film conclut : ‘’À toutes les familles victimes d’injustices ! ‘’.
Ce film est une poésie pour la justice et à la gloire enfuie contre l’injustice ».

Monsieur, le Directeur Général de l’ORTM
Voilà en quelques lignes l’histoire d’O KA que vous avez pris la lourde responsabilité de censurer sur les antennes de l’ORTM. Je m’empresse à vous poser une question : Est-ce qu’avec ce film, j’ai encore ce droit dans un pays démocratique comme le Mali de me battre pour la liberté d’expression, sans qu’on ne me traite de tous les maux du monde ?
Je ne vous demande pas de me donner une réponse à cette question, parce que vous n’en n’avez pas. Mais, retenez que le temps a toujours donné raison à mes films et j’en suis fier.
Par ailleurs, pour vous et pour tous ceux comme vous qui l’ignorent, je tiens à vous informer que le 05 octobre 2015 la Cour Suprême du Mali a reconnu qu’il y a eu déni de justice à l’encontre de la famille Cissé et a spontanément procédé à l’annulation pure et simple de l’arrêté d’expulsion que la famille Diakité s’était procurée pour nuire à l’occupation du domicile familiale des Cissé. En amont de cette décision de la Cour Suprême, le Tribunal de la commune II avait pour sa part atténué la situation en relogeant mes sœurs, ainsi de droit.
Et si la censure du film par Sidiki N’fa Konaté est motivée par le fait qu’il soit parent par alliance de la famille Diakité ?

Monsieur le Directeur Général de l’ORTM,
Et si la censure du film est motivée par le fait que vous soyez parent par alliance de la famille Diakité ?
En effet, suite à la lettre N°011/03/02/17/UC du 03 février 2017 de l’Union des Créateurs et Entrepreneurs du Cinéma et de l’Audiovisuel de l’Afrique de l’Ouest (UCECAO), relative à la diffusion du film O KA sur l’ORTM, Monsieur le Ministre de l’Economie numérique et de la Communication vous a adressé une correspondance sous le bordereau d’envoi N° 2017-1095-/MENC-SG, avec la mention « Pour disposition à prendre pour la diffusion » du Film O KA.

Malgré cette instruction de votre ministre de tutelle, je suis désagréablement surpris par votre refus catégorique de diffuser le film O KA sur la Chaîne Nationale.
Je tiens à vous rappeler que contrairement aux arguments que vous avancez, le film O KA a été diffusé à plusieurs reprises dans le quartier de Bozola et dans un certain nombre de quartiers de Bamako, sans provoquer d’incidents. Mieux, le film a déjà été diffusé sur AFRICABLE et sur ENERGIE TV, sans provoquer de troubles à l’ordre public comme vous voulez le faire croire.
Depuis plus de 50 ans, nous nous sommes investis pour que la liberté d’expression soit une réalité au Mali. Par conséquent, par cette lettre ouverte, nous prenons le Peuple Malien à témoins, en vous réitérant notre souhait de voir diffuser le film O KA sur les antennes de la télévision nationale, pour qu’il soit vu par tous les maliens de Kayes à Kidal. Nous rappelons que ce film a bénéficié d’un appui financier de Monsieur Ibrahim Boubacar Keita, Président de la République.
Monsieur le Directeur Général de l’ORTM,
Je doute fort que les arguments que vous avancez, soient les véritables raisons de votre décision de censure de la diffusion du film sur les antennes de la chaîne nationale. Vos raisons sont ailleurs et avec le temps, elles seront connues de tous.
Vous n’êtes pas non plus guidé par ce vieil incident qui a amené l’ORTM à diffuser une de mes œuvres, sans au préalable prendre la peine de m’en informer. Comment en plein 21ème siècle l’ORTM peut se permettre de nier le droit à la propriété intellectuelle d’un artiste ?
Mais, d’ores et déjà, je tiens à vous informer que lors d’une réunion, j’ai avoué à ma famille que je ne comprenais pas votre attitude rigide quant à la diffusion du film O KA sur les antennes de la chaine nationale. C’est à ce moment qu’une de mes sœurs me convie à sous-entendre votre partialité en me relatant ces phrases : « Ne sais-tu pas que Djelika Koné est la cousine de la femme de Sidiki N’fa Konaté ; mariée à Massamou Diakité dit Mamou qui travaille à l’Energie du Mali et qui semble être l’instigateur principal des problèmes ; elle ajoute : quant à Yaya Diakité qui travaillait à la direction de la SEMA, il n’est rien d’autre qu’un simple figurant dans cette affaire ». C’est alors que j’ai compris votre attitude.

Monsieur le Directeur General de l’ORTM,
L’histoire retiendra qu’un Directeur de la Radiotélévision nationale (ORTM), journaliste de son état, a censuré une œuvre cinématographique Malienne. Du jamais vu au Mali. Même du temps du régime militaire, mon film « Finyé » ou le vent, n’a pas eu droit à un tel traitement. Etonnant non ?
Avant de clore cette lettre ouverte, je tiens à remercier le Président de la République du Mali, pour m’avoir aidé à la finition de ce film. Je remercie le Ministère de la Justice pour avoir donné un sens à notre combat de tous les jours en déclarant qu’il y a eu effectivement Denis de Justice à l’encontre de la famille Cissé et demandé au Procureur General de la Cour Suprême du Mali d’instruire à nouveau le procès. Je remercie les Ministères de la Culture et Des Domaines et des affaires foncières, le PMU Mali, la CANAM, les 6 Maires des Communes et le Maire Central de Bamako pour leur soutien à la diffusion du film O KA dans tous les quartiers de Bamako. Je remercie Jérôme Seydoux, Président de Pathé films France et tous les amis qui sont toujours restés dans l’anonymat pour leurs contributions à la finition de ce film.
VIVE LA DEMOCRATIE !
VIVE LA LIBERTE D’EXPRESSION !
VIVE LE MALI !

Qui est Roland Colin ?
Roland Colin est né en 1928, en Bretagne. Il entre à l’École nationale de la France d’outre-mer en 1948, où il a eu Léopold-Sédar Senghor comme professeur. Diplômé de l’École des langues orientales, il est d’abord administrateur au Soudan français (actuel Mali), jusqu’en 1954, puis Chef de cabinet du Délégué pour la Circonscription de Dakar et du Cap Vert, au Sénégal, de janvier 1955 à février 1957.
Le 13 juillet 1957, il est nommé conseiller technique dans le cabinet de Mamadou Dia, président du Conseil de gouvernement du Sénégal issu de la Loi-cadre Defferre (adoptée le 23 juin 1956) puis chef du gouvernement de la République du Sénégal en 1958. Il devient Directeur de cabinet le 15 septembre 1958. Il garde ce poste quand Mamadou Dia devient Vice-président du Conseil de la Fédération du Mali devenue indépendante en juin (1960), puis quand il dirige à nouveau le gouvernement sénégalais qui s’est émancipé de la Fédération en août 1960. En 1961, il quitte la direction du Cabinet et est nommé Conseiller personnel du Chef du gouvernement. Roland Colin abandonne toute fonction officielle après la rupture de Mamadou Dia avec le président Léopold-Sédar Senghor et l’arrestation du premier, accusé de coup d’État, en décembre 19621.
Pour Roland Colin, « on a vu se poser simultanément la question de la liberté et du développement. L’indépendance était-elle l’outil essentiel du développement ou était-ce l’inverse ? ». Selon la géographe Karine Besses « Roland Colin est l’un des rares « blancs » ayant participé, du côté africain, au processus des indépendances2. »
Rentré en France, Roland Colin, après avoir soutenu une thèse de Doctorat d’État en Socio-anthropologie, enseigne à l’École des hautes études en sciences sociales, puis aux Universités de Paris VIII (Saint-Denis) et de Paris III (Sorbonne nouvelle), et à la Fondation nationale des sciences politiques.

Le Président Souleymane CISSE
Commandeur de l’Ordre National du Mali
Commandeur des Arts et des Lettres de la République Française
Officier de l’Ordre National du Burkina Faso

Source: Info Matin

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