A l’issue de leur sommet extraordinaire tenu à Accra (Ghana) ce dimanche 9 janvier 2022, les Chefs d’Etat de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont durci le ton contre le Mali. Mais, pour le gouvernement malien, tout comme bon nombre des observateurs de l’espace CEDEAO, ces sanctions sont excessives et sortent du cadre prévu par le Protocole additionnel de la CEDEAO adopté en décembre 2001 à Dakar (Sénégal). On se pose la question pourquoi ces sanctions sont illégales et excessives.
Parmi les châtiments infligés à notre pays, on note : la fermeture des frontières entre le Mali et les pays membres de la CEDEAO, le gel des actifs maliens au sein de la Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest, la suspension des transactions sauf pour les produits de première nécessité et pharmaceutiques ; la coupure des aides financières ; le rappel des ambassadeurs des pays membres au Mali, telles sont les principales sanctions prises par les chefs d’Etat de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), à l’encontre de notre pays et des autorités de la Transition, ce dimanche 9 janvier 2022, lors du Sommet extraordinaire tenue à Accra.
Tombées du ciel ?
A la lecture de ces mesures, on se demande sur quel texte de l’organisation sous régionale les Chefs d’Etat se sont basés pour prendre de telles décisions ? Car, il est clair que le traité de la CEDEAO ne prévoit pas la fermeture des frontières, par exemple. Une légèreté que notre Gouvernement n’a pas manqué de dénoncer dans une réaction officielle adressée aux responsables de la CEDEAO.
En effet, dans un communiqué daté du 9 janvier et lu par le colonel Abdoulaye MAÏGA, ministre de l’Administration territoriale et porte-parole du gouvernement dans la nuit du dimanche au lundi à la télévision nationale, les membres du gouvernement du Mali n’ont pas caché leur stupéfaction face auxdites sanctions, qu’il jugent « illégales et illégitimes » et qui, selon eux, contrastent avec les efforts fournis jusque-là en vue de trouver un compromis sur le chronogramme.
Concernant la suspension des transactions commerciales avec le Mali, le gouvernement de la transition indique que cet embargo décidé par les chefs d’Etat constitue une violation des traités de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) et de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO), la banque centrale commune des huit pays de la région.
En outre, ajoute-t-il, le gel des avoirs d’un État, des entreprises publiques et parapubliques ne saurait être appliqué par la banque centrale qui, déplore-t-il, reste un organe indépendant auquel chaque Etat a concédé son droit souverain ».
Ce que dit les textes
De notre part, nous avons parcouru le Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité de la CEDEAO.
Dans ce document de trois chapitres et 50 articles, on ne trouve nulle part ces genres de sanctions.
Dans ledit document, les sanctions sont prévues au Chapitre II relatif aux modalités de mise en œuvre et des sanctions dont nous vous proposons des ici des extraits.
L’Article 44 stipule : 1- «Le présent Article complète les dispositions du Chapitre V du Protocole du 10 décembre 1999» ; 2- «Aux fins de donner plein effet à ce qui est affirmé à l’Article 28 du présent Protocole additionnel et conformément à l’Article 57 du Traité révisé de la CEDEAO une convention judiciaire intégrant au besoin la Convention A/P.1/7/92 de juillet 1992 relative à l’entraide judiciaire en matière pénale et la Convention A/P1/8/94 relative à l’extradition sera élaborée et adoptée dans un délai de douze mois à compter de l’entrée en vigueur du présent Protocole additionnel ».
L’Article 45 : 1- «En cas de rupture de la Démocratie par quelque procédé que ce soit et en cas de violation massive des Droits de la Personne dans un Etat membre, la CEDEAO peut prononcer à l’encontre de l’Etat concerné des sanctions».
2- «lesdites sanctions à prendre par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement peuvent aller par graduation : Refus de soutenir les candidatures présentées par l’Etat membre concerné à des postes électifs dans les organisations internationales ; Refus de tenir toute réunion de la CEDEAO dans l’Etat membre concerné ; Suspension de l’Etat membre concerné dans toutes les Instances de la CEDEAO ; pendant la suspension, l’Etat sanctionné continue d’être tenu au paiement des cotisations de la période de suspension ».
3- «Pendant ladite période, la CEDEAO continuera de suivre, d’encourager et de soutenir tout effort mené par l’Etat membre suspendu aux fins de retour à la vie institutionnelle démocratique normale».
4- «Sur proposition du Conseil de Médiation et de Sécurité, il peut être décidé à un moment approprié de procéder comme il est dit à l’Article 45 du Protocole».
Comme nous pouvons le constaté, au regard de ce qui précède, les Chefs d’Etats de la CEDEAO auront du mal à adosser leurs sanctions sur les textes de la CEDEAO.
Bazoum se dédie
D’ailleurs, ce n’est pas le président du Niger, Mohamed Bazoum qui nous dira le contraire.
Et pour cause, à l’issue d’une visite en France au mois de juillet 2021, le même BAZOUM a avait reconnu que la fermeture de frontières ne fait pas parti des sanctions prévue dans les dispositions de la Charte et le Protocole de la CEDEAO.
«Au Mali il y a une Charte, il y a un Protocole sur la bonne gouvernance et la démocratie que le Mali a souscrit en même temps que nous(Niger) dans le cadre de la CEDEAO qui prévoit que lorsqu’il y a un coup d’Etat, qu’on prenne un certain nombre de mesures qui consistent, notamment dans l’exclusion de ce pays des instances de la CEDEAO.
C’est, ça que nous avons demandé au Sommet que nous avons tenu à Accra.
Nous avons dit, mais nous nous sommes partisans de l’Etat de droit.
L’Etat de droit prévoir quelque chose de très précise, il s’agit de l’appliquer.
Les mesures de fermeture de frontières et tout le reste, Monsieur le président, ça n’existe pas dans le traité de la CEDEAO. Voilà pourquoi nous Niger, nous n’avons pas préconisé cela. Mais nous avons été intraitables quant à mettre en œuvre les dispositions prévues par la CEDEAO », a-t-il déclaré lors de la conférence de presse conjointe avec Emmanuel MACRON le 9 juillet 2021 à Paris.
Alors, on peut se demander qu’est-ce qui a bien pu bien se passer pour que les Chefs d’Etats piétinent les règles de l’instrument au nom duquel ils agissent ?
Une attitude qui n’est pas surprenante de la part de la CEDEAO, quand on sait que ce n’est pas la première fois qu’ils ont décidé de violer les textes de l’Organisation.
Et c’est à juste raison que le Ministre MAIGA a indiquée dans le communiqué du gouvernement que les Chefs d’Etats de la CEDAO étaient instrumentalités. « Le gouvernement du Mali regrette que des organisations sous régionales se fassent instrumentaliser par des puissances extra régionales aux desseins inavoués ».
Par Abdoulaye OUATTARA
Source : Info-Matin