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CEDEAO – Mali : au cœur du tripatouillage juridique des sanctions illicites

Au cœur du tripatouillage juridique des sanctions illicites de la CEDEAO contre l’Etat souverain du Mali, se cachent de nombreuses violations et aberrations juridiques des textes communautaires dont en particulier, le Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance et l’Acte additionnel A/SA.13/02/12 portant régime des sanctions.

 

Lorsqu’une organisation originellement mercantile, enfantée par le souci économique d’intégration de la région ouest-africaine, se mue en sélectif censeur auto proclamé de la démocratie et des droits de l’homme, le monstre institutionnel qui en découle prend la forme actuelle de la CEDEAO en perdition dans le maquis inextricable de son droit communautaire soumis à des tripatouillages inqualifiables.

Les citoyens communautaires ont désormais à faire à une organisation sous régionale vagabonde, en errance institutionnelle, qui délire depuis qu’elle a pris goût aux escapades en dehors de sa zone  économique de confort institutionnel. Manifestement mal outillée, pour ne pas dire inapte sur le terrain politique à jouer un véritable rôle de gendarme de la démocratie et de la gouvernance politique, la CEDEAO est devenue une organisation sous régionale insolente qui ne brille plus que par ses extravagances décisionnelles jurant avec ses textes fondateurs. En substance et pour l’essentiel, le régime de sanction des ruptures constitutionnelles se trouve en divagation entre deux principaux instruments communautaires en tension permanente :

– le Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité ;

– l’Acte additionnel A/SA.13/02/12 portant régime des sanctions à l’encontre des Etats membres qui n’honorent pas leurs obligations vis-à-vis de la CEDEAO.

DES CONTREVERITES JURIDIQUES AU SERVICE DE LA MANIPULATION POLITIQUE DES SANCTIONS

L’Acte additionnel A/SA.13/02/12 portant régime des sanctions s’auto réconforte de contrevérités juridiques pour asseoir son régime superfétatoire de sanctions concurrentes à celles du Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance.

Deux Considérants méritent l’attention à cet égard :

  1. « NOTANT que les dispositions communautaires ne définissent pas les obligations dont la non-application ou le non-respect par les États membres les exposent à des sanctions » :

COMMENTAIRE : Affirmer l’absence de définition par le droit communautaire d’obligations dont le non-respect exposerait à des sanction, revient tout simplement à un déni de réalité juridique. Ce Considérant est une contrevérité juridique, au moins regard de l’article 45 du Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance dont tout un Chapitre II avec ses articles 44 et 45, s’intitule « Des modalités de mise en œuvre et des sanctions ».

« CONVAINCUES que la Communauté ne peut imposer une sanction à l’encontre de ses Etats membres ou imposer à l’encontre de ses Etats membres ou de leurs dirigeants des sanctions efficaces et effectivement applicables que si elle se dote d’un régime de sanctions bien défini » :

COMMENTAIRE : Une telle affirmation échappe au bon sens au regard du Chapitre II du Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance évoqué plus haut que ce Considérant semble ne pas considérer comme un « régime de sanction bien défini » au mépris de ses articles 44 et 45. Le prétexte fallacieux de l’absence de régime de sanction bien défini ne tient pas la route.

« DESIREUSES d’adopter un tel régime qui comprendrait les obligations dont le non-respect est susceptible d’entraver la mise en œuvre de sanctions, regrouperait dans un texte unique l’éventail des sanctions applicables et définirait les modalités de la mise en œuvre desdites sanctions, en précisant notamment les procédures relatives à la prise et à la levée des sanctions » :

COMMENTAIRE : Cet autre récit qui n’est que fanfaronnade de la part des Chefs d’Etat. Comment parler de regroupement au travers de l’Acte additionnel A/SA.13/02/12 comme « texte unique des sanctions applicables », quand ces mêmes Chefs d’Etat continuent au même moment de se référer notamment aux sanctions de l’article 45 du Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance ?

 LE PANORAMA DE LA GAMME DES SANCTIONS DE LA CEDEAO

En dépit du régime confus des sanctions de la CEDEAO en cas de rupture de l’ordre constitutionnel, il reste que globalement, deux textes principaux régissent la matière, à savoir le Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance et l’Acte additionnel A/SA.13/02/12 portant régime des sanctions.

Au titre du Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance en son article 45, les sanctions prévues en cas de rupture de la démocratie sont les suivantes : refus de soutenir les candidatures présentées par l’Etat membre concerné à des postes électifs dans les organisations internationales ; refus de tenir toute réunion de la CEDEAO dans l’Etat membre concerné ; suspension de l’Etat membre concerné dans toutes les instances de la CEDEAO.

Au titre de l’Acte additionnel A/SA.13/02/12 portant régime des sanctions de nature notamment politique, l’article 6 égrène les sanction suivantes « applicables à l’encontre des États membres qui n’honorent pas leurs obligations vis-à-vis de la Communauté » : la suspension de l’octroi de tout nouveau prêt ou de toute nouvelle assistance par la Communauté ; la suspension de décaissement pour tous les prêts, pour tous les projets ou les programmes d’assistance communautaire en cours ; le rejet de la présentation de candidature aux postes statutaires et professionnels ; la suspension du droit de vote ; la suspension de la participation aux activités de la Communauté ; le refus de soutenir les candidatures présentées par l’État membre concerné des postes électifs dans les organisations internationales ; le refus de tenir toute réunion de la CEDEAO dans l’État membre concerné ; la suspension de l’Etat membre concerné dans toutes les instances de la CEDEAO ; l’interdiction de voyager pour les dirigeants, les membres de leurs familles et leurs partisans, nonobstant les dispositions communautaires sur la libre circulation des personnes ; le gel des avoirs financiers ; le rappel par les autres États membres, de leurs ambassadeurs auprès de l’État en rupture de démocratie ; l’embargo sur les armes à destination de l’Etat membre concerné ; l’interdiction de briguer la magistrature suprême ; la condamnation et la non-reconnaissance des gouvernements issues de changements anticonstitutionnels ; l’imposition de la paix ou la restauration de l’ordre constitutionnel par l’utilisation de la force légitime.

 DES SANCTIONS SANS FONDEMENT JURIDIQUE INFLIGEES AU MALI

Néanmoins, au mépris de cette gamme de sanctions prévues par les deux dispositions conventionnelles du Protocole A/SP1/12/01 et de l’Acte additionnel A/SA.13/02/12, la Conférence des Chefs d’Etat de la CEDEAO en réaction aux coups d’Etats intervenus au Mali, a toujours infligé des sanctions à ce pays dans l’arbitraire absolu, comme une vulgaire instance communautaire hors- la loi.

Contrairement à ce qui sort généralement de la bouche des Chefs d’Etat, la plupart de ces sanctions ne sont conformes ni au Protocole additionnel de 2001, ni ne reposent sur des instruments conventionnelles explicites de l’organisation dont l’Acte additionnel de 2012 notamment.

Ces forfaitures communautaires sévissent déjà depuis l’intervention de la CEDEAO à la suite du coup d’Etat du 22 mars 2012 contre le Président ATT.

L’embargo total avec effet immédiat décrété le 2 avril 2012 contre le Mali pour soi-disant obtenir le retour à l’ordre constitutionnel, était sans fondement juridique. Ledit embargo abusif totalement arbitraire, comprenait notamment la fermeture de toutes les frontières des Etats membres de la CEDEAO avec le Mali, la fermeture au Mali de l’accès aux ports maritimes des pays côtiers de la CEDEAO, le gel du compte du Mali à la BCEAO et le non-approvisionnement de ses comptes dans les banques privées à partir de la BCEAO.

Et dire que ce pur acte de forfaiture communautaire contre l’Etat souverain du Mali, de la part de Chefs d’Etats de la CEDEAO est décrété à peine deux (02) petits mois seulement après l’adoption de l’Acte additionnel du 13 février 2012 portant régime des sanctions ne faisant mention d’aucun embargo économique, pas plus que le Protocole de 2001.

Les Chefs d’Etat de la CEDEAO vont récidiver le 18 août 2020 à la suite du coup d’Etat du 18 août 2020 en décidant, toujours sans aucun fondement juridique de nature communautaire, de la fermeture des frontières terrestres, aériennes et maritimes des pays membres avec le Mali et du blocage économique du pays par l’arrêt des flux financiers et commerciaux.

Durant un (01) mois et demi environ, ces sanctions illégitimes vont peser sur le Mali.

Nous ferons remarquer ici que dans la gamme des sanctions prévues par les textes de la CEDEAO telles que présentées ci-dessus et qui relèvent à la fois du Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance et de l’Acte additionnel A/SA.13/02/12 portant régime des sanctions, ne figure nullement l’embargo économique avec fermeture de frontières et de l’accès aux ports maritimes des pays côtiers de la CEDEAO, gel du compte du Mali à la BCEAO et non-approvisionnement de ses comptes dans les banques privées à partir de la BCEAO.

Le seul embargo licite demeure « l’embargo sur les armes à destination de l’Etat membre concerné » prévu au point xii) des sanctions politiques de l’article 6 de l’Acte additionnel A/SA.13/02/12 portant régime des sanctions.

On retiendra en définitive qu’à l’égard de l’Etat souverain du Mali en rupture constitutionnelle, la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO prétextant de dispositions communautaires inexistantes, a eu plutôt tendance à agir comme une bande organisé réglant des comptes en en dehors de tout encadrement juridique.

 L’ACTE ADDITIONNEL A/SA.13/02/12 PORTANT REGIME DES SANCTIONS : UN CONDENSE INDIGESTE D’ANACHRONISMES JURIDIQUES

Truffé d’aberrations juridiques défiant parfois les principes élémentaires du droit, l’Acte additionnel A/SA.13/02/12 portant régime des sanctions est un véritable condensé d’anachronismes.

Le régime concurrent de sanctions qu’il institue est à l’origine d’un cumul inextricable de sanctions générales et particulières, synonyme d’une vaste confusion entretenu en la matière.

L’amas d’obligations et de sanctions qui s’imbriquent ainsi les unes dans les autres devient propice aux manipulations et aux interprétations les plus fantaisistes de la part des Chefs d’Etat de la CEDEAO.

L’Acte additionnel /SA.13/02/12 portant régime des sanctions n’est décidément pas un modèle fiable d’engagement conventionnel à la hauteur des prétentions démocratiques de la CEDEAO, truffé qu’il est d’aberrations juridiques dont nous mettons ici en relief les plus caractérisées :

L’obligation de ratification des Protocoles et Conventions de la CEDEAO :

Sur la liste des obligations des Etats membres telles qu’énumérées à l’article 2 de l’Acte additionnel, on découvre avec stupeur celle relative à « la ratification des Protocoles et Conventions de la CEDEAO ». Ce qui implique pour les Etats membres, une obligation de ratification sous peine de sanctions judiciaires et politiques en conformité avec l’article 3. Or les traités, y compris ceux relatifs à la CEDEAO, ne pouvant être ratifiés qu’en vertu d’une loi, il peut bien arriver qu’un traité signé soit rejeté en toute souveraineté par le parlement sans qu’il n’en résulte une quelconque obligation pour l’Etat. Quelle est donc la pertinence de « l’obligation de ratification » par exemple au regard de l’article 115 de la Constitution du Mali stipulant que les traités ou accords relatifs aux organisations internationales ne peuvent être ratifiés et prendre effet qu’en vertu de la loi. Est-ce à dire qu’en cas de refus d’autorisation par le législateur, l’Etat membre concerné va devoir en répondre sous peine de sanctions ?

La « restauration de l’ordre constitutionnel par l’utilisation de la force légitime » (Article 6(xv) :

Comment les Chefs d’Etat de la CEDEAO peu respectueux de démocratie, pour la plupart mal élus souvent à l’issue de présidentielles consécutives à des troisièmes mandats anti constitutionnels imposés à leurs peuples, peuvent-ils prétendre restaurer l’ordre constitutionnel dans un Etat membre par la force armée ?

 

  1. L’interdiction de tout recours judiciaire contre les actes imposant des sanctions contre un Etat membre (Article 16.4) : Les actes politiques de sanction censés être pris sur la base des dispositions pertinentes du droit communautaire, sont érigés au rang de faits du prince par l’article 16.4 de l’Acte additionnel aux termes duquel ils ne sont susceptibles d’aucun recours devant la Cour de justice de la Communauté ou devant toute autre juridiction ». L’Acte additionnel célèbre ici la protection juridique de l’arbitraire des sanctions politique ainsi couvertes d’immunité de facto. Belle leçon de démocratie !

L’interdiction de voyager pour les « membres de familles » et les « partisans » des dirigeants (Article 6(ix) :

Au-delà des dirigeants individuellement commis à des fonctions officielles d’Etat, les sanctions de la CEDEAO vont jusqu’à frapper les membres de leur famille et leurs partisans sans que ces derniers ne répondent aucunement des responsabilités qu’ils exercent. La « peine » cesse ici de garder son caractère personnel. L’époux ou l’épouse, les fils et amis politiques, sont punis en raison de faits commis par le dirigeant lui-même. En quoi la largesse des critères de désignation des potentiels sanctionnés conduit-elle jusqu’à inclure des parents ou partisans qu’on prendrait pour responsables ou complices des fonctions officielles assumée par les autorités de la Transition ?

LES « PERES FONDATEURS » MALIENS DE L’ACTE ADDITIONNEL DE 2012 INTERPELLES !

Ce sont tout de même de grands commis de premier ordre de l’Etat malien qui ont eu à cautionner ces anachronismes juridiques de l’Acte additionnel. Ils endossent dans une certaine mesure, une part de responsabilité historique dans le fiasco conventionnel de l’Acte additionnel A/SA.13/02/12. Il s’agit en particulier des personnalités suivantes :

– l’ex-ministre de ATT Maharafa TRAORE à l’époque ministre de la Justice qui a participé au nom du Mali à la réunion des ministres de la Justice des Etats membres de la CEDEAO qui s’est tenue à Abuja les 16 et 17 mai 2011 et qui a planché sur le projet de l’Acte additionnel ;

– les ministres Soumeylou Boubèye MAÏGA des Affaires étrangères et de la Coopération internationale et Badara Alou MACALOU des Maliens de l’extérieur et de l’intégration africaine doivent pouvoir également s’expliquer sur la contribution du Mali à la 67ème session ordinaire du Conseil des ministres tenue à Abuja du 19 au 21 décembre 2011 qui a fait des recommandations sur l’Acte additionnel ;

– Enfin le même ministre Badara Alou MACALOU de nouveau, qui a signé le document final de l’Acte additionnel au nom du Président ATT et qui doit également des explications aux Maliens.

Afin que plus jamais, le Mali ne soit complice des tripatouillages et aberrations juridiques de la CEDEAO.

UN RENVOI ANECDOTIQUE !

Pour terminer, nous signalons à titre anecdotique et pour attester du sérieux de la CEDEAO où aucune légèreté n’est permise, l’existence d’une coquille dans la Décision CMS A/DEC. 12/11/2021 portant imposition de sanctions ciblées contre la Mali où l’on peut lire :

« Considérant que la non tenu des élections à date est constitutive de la remise en cause des fondements essentiels de la CEDEAO et viole les dispositions de l’article 2 paragraphe 2i) de l’Acte additionnel A.SA 13/02/12 qui prescrivent le respect et la protection des Droits de l’Homme, l’Etat de droit, la démocratie et l’ordre constitutionnel ».

Il est stipulé dans ce Considérant que la non tenue des élections à date est constitutive de violation de l’article 2 paragraphe 2i) de l’Acte additionnel A.SA 13/02/12 qui soi-disant prescrivent le respect et la protection des Droits de l’Homme, l’Etat de droit, la démocratie et l’ordre constitutionnel ».

Deux énormités juridiques sont consommées dans ce Considérant :

–  le lien entre la non-tenue à date d’une élection et la « remise en cause des fondements essentiels de la CEDEAO » comme si dans cet espace communautaire, les élections avaient de tout temps, y compris en période normale, été « tenues à date ». Les Maliens qui ont subi sous IBK un an et demi de hold-up représentatif de députés aux mandats inconstitutionnellement prorogés en riront certainement !

– la grossière erreur de casting du contenu de l’article 2 du paragraphe 2i) de l’Acte additionnel de 2012. Cet article 2 paragraphe 2i) est plutôt relatif à l’obligation (sic !) de « ratification des Protocoles et Conventions de la CEDEAO » et non, comme faussement annoncé dans la Décision, au « respect et la protection des Droits de l’Homme, l’Etat de droit, la démocratie et l’ordre constitutionnel ».

 

Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)

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