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Burkina Faso: retour sur un mois sous tension

En proie au terrorisme depuis 2015, le Burkina Faso continue de subir la terreur des groupes armés, généralement non identifiés, qui s’attaquent aux symboles de l’Etat et aux civils. Pour une fois, des Organisations de la société civile (OSC) ont demandé le départ du chef de l’Etat suite à la perte en vies humaines enregistrée chez les forces armées et les civils. Une situation qui a secoué les autorités politiques et qui a occasionné des remaniements dans les garnisons.

Les attaques terroristes continuent au Burkina Faso. Civils et forces armées tombent sous les balles des terroristes. Du côté de l’opposition politique, la situation ne fait que se dégrader. « Avec des recoupements, on peut dire que la sécurité dans toutes ses dimensions notamment physiques, territoriales, juridiques, alimentaires, sanitaires va de mal en pis. Les terroristes n’arrêtent pas de gagner en conquêtes territoriales avec pour résultats, des victimes, ce qui, sur ce plan, nous classe au premier rang au Sahel et au troisième au niveau mondial », affirme Me Hermann Yaméogo, président de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD).

Dans la nuit du dimanche 14 novembre 2021, un détachement de la gendarmerie d’Inata, dans la région du Sahel, est attaqué. Une énième attaque au Burkina Faso mais elle est toute particulière. Le bilan est sans précédent pour les Forces de défense et de sécuié (FDS). L’on enregistre 57 personnes tombées dont 53 gendarmes et 4 civils, selon le bilan officiel du gouvernement.

C’est une attaque de trop, visiblement. Des Organisations de la civile (OSC) regroupées en mouvements sonnent la mobilisation pour une grande marche le samedi 27 novembre 2021 sur toute l’entendue du territoire. Deux objectifs sont visés : soutien aux FDS et demande de démission du président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré. Selon Me Hermann Yaméogo, « le degré atteint par les plaintes et manifestations (qui vont maintenant jusqu’à la demande de démission du chef de l’Etat), reste un indicateur incontestable du déclin sécuritaire en aggravation continue ».

« La volonté très rapide de prendre des dispositions »

Bien avant cette date, les couleurs sont annoncées. En effet, à partir du 17 novembre 2021, des mouvements d’humeurs sont enregistrés dans plusieurs villes du Burkina Faso. Des sorties médiatiques favorable et défavorable à la marche du 27 novembre se succèdent. L’exécutif est de plus en plus bousculé par la situation.

Jeudi 18 novembre, des manifestants ont bloqué durant trois jours à Kaya, à une centaine de kilomètres au nord de la capitale, un convoi logistique de l’opération Barkhane qui assurait la liaison Abidjan-Gao. Entre le blocage du convoi et l’appel à manifester le 27 novembre, les autorités ont coupé l’Internet mobile.

Dans la nuit du 25 au 26 novembre, le président du Faso s’adresse à la Nation pour calmer la situation. « Oui, j’ai compris votre message qui nous invite à un changement de paradigme », déclare Roch Marc Christian Kaboré. Au cours de cette allocution lue à la télévision nationale, il annonce un gouvernement resserré, une présence des chefs militaires sur le théâtre des opérations et une opération anti-corruption dénommée « opération mains propres ».

Du côté de la majorité présidentielle, le physique du chef de l’Etat et les annonces faites traduisent sa bonne volonté. « L’adresse du chef de l’Etat à la Nation montrait un dirigeant affligé. Je peux même me permettre de dire touché, qui a pris la mesure de la situation actuelle. Au sortir de cette adresse, nous avons retenu la volonté très rapide de prendre des dispositions pour que les choses changent dans notre pays. Ce n’est pas évident pour un père, un président de voir des soldats tombés au front face à l’ennemi », indique Aziz Dabo, le vice-président de la Nouvelle alliance du Faso (NAFA).

« Le Burkina Faso est devenu un endroit malsain »

A Ouagadougou, la mairie centrale publie un communiqué, à la veille, pour démontrer l’illégalité de la marche. La coalition qui organise la marche n’est pas dans le délai, donc elle n’a pas l’autorisation. Le maire de la ville, Pierre Armand Béouindé, demande aux forces de sécurité de prendre leur disposition.

La marche interdite finit par avoir lieu. Les manifestants et les forces de l’ordre se livrent à une course poursuite au centre-ville de la capitale. Certaines rues dans les alentours sont bloquées par des manifestants. Des pneus sont brûlés sur des voies publiques pour exprimer le ras-le-bol. La direction de la population et de l’état civil est saccagée par des manifestants révoltés par l’interdiction et les jets des gaz lacrymogènes à leur endroit.

Certains meneurs de cette marche ont été identifiés et sont poursuivis par la justice. Le mercredi 8 décembre, ils ont été présentés devant un juge pour « participation à une manifestation illicite et destruction de biens publics ». Malgré le renvoi de l’audience à une semaine, il y a des mécontents dans la salle. Ils ont participé à la marche et trouvent ‘’injuste’’ qu’on poursuive des gens qui sont sortis pour une manifestation noble.

C’est le cas d’Anaïs Drabo, l’une des figures féminines dès les premières heures de l’annonce de cette marche de protestation. « Nous sommes sortis en tant que citoyens conscients juste pour la survie de notre Nation, pour nos survies », se justifie-t-elle, elle qui estime toujours que « sortir est un droit ». Même dans les locaux du Tribunal de grande instance (TGI) de Ouagadougou, elle ne cache pas sa colère. « Le Burkina Faso est devenu un endroit malsain, avec les attaques terroristes de partout. Il nous reste que Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Et si nous dormons ? Et si les gens sont en train de nous intimider, ce n’est pas la peine. De quel droit vous parlez ? Quand on dit que le Burkina Faso est un pays de droit et de liberté, vous parlez de quel droit ? » lance la dame, avec amertume.

Des dysfonctionnements dans l’armée

Suite à l’attaque d’Inata, un document confidentiel a fuité sur les réseaux sociaux. Bien avant le drame, les gendarmes sur place ont émis une alerte suite à un manque d’approvisionnement. Cette situation a causé l’émoi de la population.

Le président du Faso a fait une annonce au sortir du Conseil des ministres du mercredi 17 novembre pour condamner ce dysfonctionnement. « Il ne peut pas être normal en ce moment, que l’armée qui doit être la structure la mieux organisée, que dans cette armée, nous ayons des dysfonctionnements à un niveau si important », regrette le chef de l’Etat, qui, par la même occasion, a annoncé une enquête administrative pour situer les responsabilités.

Pour Me Hermann Yaméogo, s’il existe des incohérences dans l’armée, il faut les corriger. « Nous sommes en guerre et en de tels moments, aucune incohérence ne doit être négligée dans les secteurs de l’Etat », recommande l’opposant politique.

« C’est sur cette structuration qu’il faut se pencher »

Deux hauts gradés de l’armée ont été relevés de leurs fonctions après l’attaque. Il s’agit du commandant du groupement des forces du secteur Nord et le commandant de la première région de gendarmerie.

Le 30 novembre, le président du Faso, chef suprême des armées, a rendu public, un décret qui procède à plusieurs remaniements à la tête des garnisons. La majorité présidentielle y voit une mise en œuvre du changement annoncé. « Le chef de l’Etat a noté des dysfonctionnements gravissime au sein de l’armée. (…) Ces réaménagements montrent la volonté des autorités actuelles d’arriver à bout de l’hydre terroriste parce que lorsque les terroristes attaquent, ils ne se sont jamais attaqués à la chapelle politique de qui que ce soit », notifie Aziz Dabo de la NAFA.

Selon le militaire à la retraite, Colonel Lona Charles Ouattara, ce n’est pas la solution. Il s’explique : « L’approche adoptée pour résoudre le problème sécuritaire n’est pas la bonne. Je pense que ce n’est pas en changeant les hommes à la tête du commandement qui permettra de résoudre le problème. L’armée, c’est : son organisation, son commandement, ses effectifs. Or depuis 2015, le président se focalise sur le commandement. Il n’y a pas que ça. Le plus important à mon avis, c’est le format que Blaise Compaoré a laissé en partant. Comment est-ce qu’il a structuré nos forces d’armées en partant ? C’est sur cette structuration qu’il faut se pencher. Vous pouvez faire valser tous les colonels-majors, tous les colonels à la tête de notre armée, l’état de guerre ne va pas changer parce que c’est la structure sur laquelle vous venez mettre un commandement qui a un problème. »

Malgré l’anonymat, un gendarme n’a pas voulu trop se prononcer sur le sujet. Il affirme tout simplement qu’ils ne dorment plus actuellement. En ce qui concerne les remaniements, il laisse entendre : « nous estimons que les choses vont changer.»

A la veille de la commémoration de l’indépendance du Burkina Faso (le 11 décembre), le chef de l’Etat a nommé un nouveau Premier ministre, après avoir mis fin aux fonctions de Christophe Joseph Marie Dabiré, après trois ans de fonction. Lassina Zerbo, le nouveau chef du gouvernement est très attendu sur le chantier de la sécurité.

Alpha DialloAgaïcha KanoutéMody Kamissoko

*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de l’IMS, financé par DANIDA.

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