Ce lundi 24 janvier, le Burkina Faso a été le théâtre d’un putsch militaire qui a renversé le président Roch Marc Christian KABORE, à la tête du pays depuis 2015. Les auteurs du pronunciamiento sont des militaires regroupés au sein du « Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration », qui affirment vouloir « remettre le pays sur le bon chemin » et « lutter pour l’intégrité territoriale ». Quelles sont les vraies raisons de ce putsch chez nos voisins ?
Détérioration continue de la situation sécuritaire, contestation de la gouvernance du président KABORE, mutineries de soldats et manifestations de civils, sentiment que «les politiques ont lâché les forces de défense», problèmes d’équipements et d’approvisionnement de l’armée, etc. Plusieurs hypothèses ont été avancées, jusque-là, pour expliquer le coup d’Etat contre l’ancien président burkinabè.
Cependant, selon les révélations faite par ‘’Daily Beast’’, un journal nigérien, les raisons sont ailleurs.
Révélations troublantes du ‘’Daily Beast’’
Le chef du coup d’État militaire réussi contre le président KABORE, cette semaine, est l’œuvre de l’homme qui a tenté de le forcer à accepter l’aide de Moscou, ont déclaré des sources dans le camp de l’ancien président, citées par Daily Beast.
Paul-Henri SandaogoDamiba, lieutenant-colonel, a été promu le mois dernier pour superviser la sécurité dans la capitale Ouagadougou. En effet, Damiba a été nommé en décembre commandant de la troisième région militaire du Burkina Faso, une unité chargée de la sécurité dans la capitale et dans l’est du pays, à la suite d’une attaque de militants islamistes qui a tué 49 militaires et quatre civils. L’incident a déclenché des manifestations anti-gouvernementales et des appels à la démission de Kaboré.
À deux reprises après sa nomination, il a cherché à persuader le président Roch Kaboré d’engager le groupe russe d’opérations secrètes, le groupe Wagner, selon deux responsables qui faisaient partie de l’équipe de communication du président, précise le journal nigérian.
Ce mois-ci, Damiba a tenu une réunion avec le président et l’a imploré de faire intervenir le groupe Wagner pour maîtriser les combats. La société paramilitaire russe, notoirement secrète, a été identifiée pour la première fois en 2014, combattant aux côtés de séparatistes pro-russes dans le conflit dans l’est de l’Ukraine. Mais, elle s’est depuis propagée en Afrique où elle a été engagée par des gouvernements en difficulté pour aider à combattre les djihadistes.
«Le président a rapidement rejeté l’idée et a même rappelé à Damiba que les gouvernements européens venaient de condamner le déploiement de mercenaires russes au Mali par ses chefs militaires », a déclaré l’un des responsables au Daily Beast.
«Kaboré ne voulait pas rencontrer de problèmes avec l’Occident pour s’être aligné sur la Russie», assure cette source.
Le journal rappelle que les putschistes maliens ont pris le pouvoir quelques jours après leur retour d’un camp d’entraînement militaire en Russie
Seize pays, dont la France, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Allemagne, ont déclaré, le 23 décembre, qu’ils étaient au courant de «l’implication du gouvernement de la Fédération de Russie dans l’apport d’un soutien matériel au déploiement du groupe Wagner au Mali» et ont exigé que la Russie «revient à un comportement responsable et constructif dans la région».
Cet avertissement n’a pas empêché DAMIBA de chercher à avoir le groupe, qui a également été déployé en Libye et en République centrafricaine, sur le terrain au Burkina Faso.
«Il a contacté le président une deuxième fois concernant l’embauche des Russes», a déclaré le responsable.
«Encore une fois, le président a rejeté l’idée», précise la même source qui s’est confiée Daily Beast.
Des sources affirment que c’était la dernière fois que DAMIBA, 41 ans, communiquait avec KABORE.
Des semaines plus tard, le lieutenant-colonel, vêtu d’un treillis militaire et portant un béret rouge, est apparu à la télévision nationale, assis à la droite d’un capitaine de l’armée qui a lu une déclaration annonçant le renversement du gouvernement KABORE et la suspension de la constitution du Burkina Faso.
Les putschistes ont déclaré qu’ils faisaient partie d’un groupe jusque-là inconnu appelé le’’Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration, «qui comprend toutes les sections de l’armée».
Cette annonce fait suite à deux jours de chaos à Ouagadougou, avec des soldats tirant des coups de feu en l’air et exigeant un soutien pour leur lutte contre les insurgés.
Méfiance de l’entourage
de KABORE
Selon un autre responsable de l’équipe de communication de KABORE, cité par le journal, des amis proches du président renversé avaient exprimé leur inquiétude quant à la nomination de DAMIBA. Car, ils pensaient qu’il avait des liens étroits avec les colonels de l’armée Assimi GOITA et Mamady DOUMBOUYA, les dirigeants militaires du Mali et de la Guinée, qui ont tous deux saisi le pouvoir des dirigeants civils dans leur pays respectif, l’année dernière.
Des sources affirment que KABORE a rejeté ces craintes, affirmant que DAMIBA était un officier dévoué qui pouvait l’aider à renforcer son soutien au sein de l’armée.
Toujours selon les révélations du journal, DAMIBA aurait passé du temps avec GOITA et DOUMBOUYA en 2019 lorsque les deux hommes ont participé à un exercice militaire dirigé par les États-Unis, connu sous le nom de Flintlock au Burkina Faso, et est resté proche d’eux depuis lors.
Relations avec GOITA et DOUMBOUYA ?
«Le gouvernement savait qu’il [Damiba] entretenait des relations étroites avec les chefs militaires du Mali et de la Guinée et qu’il était en contact régulier avec eux », a déclaré un ancien responsable.
«En fait, nous pensions à l’époque que le dirigeant du Mali, qui se rapproche de la Russie, était celui qui lui avait parlé d’amener des mercenaires russes au Burkina Faso », se confie davantage la source.
Comme DAMIBA, GOITA et DOUMBOUYA sont nés dans les années 1980 et étaient relativement inconnus au moment où ils ont pris par la force le contrôle du gouvernement dans leurs pays respectifs.
GOITA, 39 ans, est apparu le 18 août 2020, lorsqu’il s’est joint à Malick DIAW et Sadio CAMARA, tous deux colonels de l’armée, formés en Russie, pour lancer un coup d’État contre le président élu Ibrahim Boubacar Keita, après des semaines de manifestations de masse contre la corruption perçue.
Un mois plus tard, il a mis en place un gouvernement de transition avec lui-même comme vice-président, mais il a pris le pouvoir en mai dernier après avoir accusé le président de ne pas l’avoir consulté concernant un remaniement ministériel. Après ce second coup de force, le groupe Wagner a joué un rôle de plus en plus important dans le pays.
DOUMBOUYA, 41 ans, a pour sa part orchestré le coup d’État du 5 septembre 2021 qui a renversé le président guinéen Alpha CONDE, âgé de 83 ans, qui avait soutenu une nouvelle constitution lui permettant de briguer un troisième mandat en octobre 2020.
Cette décision controversée a déclenché des manifestations de masse au cours desquelles des dizaines de manifestants ont été tués.
Sa relation avec DAMIBA remonterait à 2017 lorsque les deux hommes ont suivi une formation à la célèbre École militaire de Paris.
On ne sait pas si DAMIBA, auteur d’un livre publié en juin dernier intitulé «Armées ouest-africaines et terrorisme : réponses incertaines», a reçu des conseils ou s’est inspiré de ses confrères putschistes avant de prendre le pouvoir au Burkina Faso.
La nouvelle direction a promis de ramener «l’ordre constitutionnel» dans un «délai raisonnable», mais est restée silencieuse sur le sort de l’homme qu’elle a renversé.
Divorce de longue date entre l’armée et KABORE
Ce coup de force, initié dimanche par des mutineries dans des casernes du pays, a provoqué la fermeture temporaire des frontières terrestres et aériennes, ainsi que la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée nationale et la «suspension» de la constitution.
Pour rappel, le divorce entre Roch Marc Christian Kaboré et une partie de l’armée est déjà ancien. En effet, Un an après la chute de Blaise Compaoré, Roch Marc Christian KABORE est élu président du Burkina Faso en 2015. C’est cette même année que le pays connaît les premières attaques de groupes jihadistes sur son sol. L’intensité, la fréquence et la zone d’intervention des attaques jihadistes sur le sol burkinabè augmentent au fil des ans. Certaines, de par leur ampleur, ont marqué les esprits. En janvier 2016, l’attentat contre l’hôtel Splendid et le Café Capuccino à Ouagadougou fait 30 morts, majoritairement des étrangers. En août 2017, 21 personnes meurent dans une nouvelle attaque dans la capitale. À partir de 2018, les attaques deviennent quasi quotidiennes.
Pour sa réélection pour un second mandat en novembre 2020, Roch Marc Christian Kaboré promet que la lutte contre les jihadistes sera sa priorité. L’opposition dénonce le fait que des centaines de milliers d’électeurs, déplacés à cause de l’insécurité, n’ont pas pu voter. En effet, le pays compte à ce jour 1,5 million de déplacés, doublant la crise sécuritaire d’une crise humanitaire. Et les attaques continuent.
KABORE (au pouvoir depuis 2015 et réélu en 2020) n’a pas été en mesure de faire face à une insurrection djihadiste dans les régions du nord et de l’est du Burkina Faso, déclenchée par des groupes liés à Al-Qaïda et au soi-disant État islamique.
En juin dernier, dans le nord-est, à Solhan, plus d’une centaine de villageois sont massacrés. En novembre, 53 gendarmes périssent à Inata et les révélations sur des problèmes de ravitaillement du détachement visé choquent l’opinion publique.
Le Premier ministre est remercié dans la foulée et le pouvoir effectue des changements dans les rangs de l’armée. Mais les attaques n’ont pas cessé et la défiance s’est installée.
Il y a deux semaines, les autorités annoncent l’arrestation de plusieurs militaires soupçonnés de « tentative de déstabilisation ».
Dimanche, des soldats se sont mutinés dans plusieurs casernes, à Ouagadougou, Kaya, Ouahigouya.
Ces derniers réclament des moyens plus adaptés pour lutter contre le terrorisme.
Ils demandent également des changements à la tête de l’armée et des services de renseignements. Et plus de considération pour les familles des blessés ou morts au combat.
«Nous voulons des moyens adaptés à la lutte» anti-jihadiste «et des effectifs conséquents», ainsi que le «remplacement» des plus haut gradés de l’armée nationale», avait affirmé dans un enregistrement sonore parvenu à l’AFP un militaire.
Après une journée confuse ce lundi 24 janvier, des militaires annoncent finalement à la télévision nationale avoir pris le pouvoir, s’engageant au « retour à un ordre constitutionnel » dans « un délai raisonnable ». Ils annoncent également la fermeture des frontières, la dissolution du gouvernement, de l’Assemblée nationale et la suspension de la Constitution.
Par Abdoulaye OUATTARA
Source : Info-Matin