L’équation qui est posée aux militaires qui ont pris le pouvoir à Ouagadougou est simple. Comment installer des structures de commandement et d’action efficaces à la fois dans la consolidation de la nation et la résistance aux terroristes islamistes, et ce, sans donner l’impression de vouloir confisquer le pouvoir ou de s’y éterniser en dehors d’un ordre constitutionnel légal et légitime ? L’acuité de la question permet de comprendre pourquoi rarement débat public autour de la gouvernance aura été aussi dense que ce qui a été observé ces derniers temps au Burkina Faso.
Les organisations de la société civile en première ligne
L’avènement du Mouvement patriotique de la sauvegarde et la restauration (MPSR), qui a renversé le pouvoir de Roch Kaboré, a apporté du grain à moudre aux organisations de la société civile qui avaient déjà fait montre de dynamisme auparavant, avant la chute du gouvernement sous la présidence de Roch Marc Christian Kaboré. Autant dire que, face à la volonté des militaires de remettre à flot un ordre constitutionnel parallèlement à la restauration de la sécurité, celle-ci tient là une arène où elle devrait pouvoir donner toute la mesure de sa détermination à aider les nouvelles autorités à trouver la meilleure formule pour une transition optimale.
Que constate-t-on ? Certains de la société civile souhaitent une équipe de transition composée à parité de civils et de militaires. D’autres estiment que doit prévaloir un accompagnement désintéressé et patriotique du processus, en écho à l’appel du chef du MPSR, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba.
Les concertations sont lancées
Ouagadougou, mercredi 2 février. Dans un complexe de la capitale, des leaders d’organisations de la société civile de la région du Centre se retrouvent pour une « concertation ». Des dizaines, voire des centaines de personnes ont répondu à cet appel du Conseil national des organisations de la société civile du Burkina (le Cnosc), qui a lancé une série de rencontres dans toutes les régions du pays. Nous sommes au lendemain d’une prise de contact entre des représentants de la classe politique et le président du MPSR, dont l’agenda immédiat est occupé par des échanges avec les forces vives de la nation.
À l’ouverture de la concertation de Ouagadougou, le responsable du Cnosc, Jonas Hien, s’adresse aux participants, leur explique le bien-fondé d’une telle initiative. Ces concertations, dit-il, « visent à dégager une position commune et consensuelle de la société civile sur les modalités de mise en ?uvre du processus de transition avant une éventuelle rencontre avec le chef de l’État ». Oui, une « position consensuelle », car le débat public est inondé d’avis contradictoires lorsqu’il s’agit d’indiquer aux nouvelles autorités la voie à suivre.
« Jouer à fond la carte du patriotisme »
Dans son tout premier discours, le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba avait exprimé le souhait du MPSR de conduire une transition sans entrave mais aussi de bénéficier de l’accompagnement « patriotique et désintéressé » des composantes de la nation. Jonas Hien veut que la société civile s’inscrive dans cette vision. « Ceux qui souhaiteront apporter leur accompagnement à la transition doivent savoir qu’ils ont intérêt à le faire sur la base du patriotisme, sans prétendre à une quelconque récompense. Ce que nous aurons tous gagné sera le retour de notre pays à sa stabilité et à sa paix d’antan. Nous devons jouer à fond le patriotisme pour éviter des erreurs du passé », suggère le patron de la faîtière nationale des structures de la société civile. Et Jonas Hien de préciser : « Nous ne devons pas nous attendre à être appelés au gouvernement ou à nous faire attribuer des postes de nomination. »
« Gérer de façon équitable la transition »
Désintéressée ou pas, la participation de la société civile à la gestion des affaires transitoires de l’État est non négociable pour bien des organisations. C’est le cas de l’Association Buud Lagnon-go, une organisation qui encourage les initiatives locales. Son président, Salifou Nignan, préconise une transition constituée de civils et de militaires à participation égale, soit 50 % de part et d’autre. « Aujourd’hui, nous avons une société civile faite d’une jeunesse intelligente et assez capable de libérer son génie. Les nouvelles autorités auront simplement à faire confiance à cette jeunesse en la responsabilisant, d’autant plus qu’elle a toujours été à l’avant-garde des luttes », explique le quinquagénaire, qui écarte l’idée d’une participation de la classe politique à la gestion de cette transition. En effet, « nos hommes politiques devront faire preuve de sagesse et comprendre que cette ère n’est pas celle du politique mais qu’il s’agit de rechercher des solutions pour redonner au pays sa souveraineté. Eux ? hommes politiques ? ayant échoué, ils doivent laisser leur place à d’autres ».
La participation de la société civile toujours souhaitée
Une transition avec la participation active de la société civile, c’est aussi l’avis de la Coalition des patriotes du Burkina Faso (Copa-BF), cette organisation qui a été à l’initiative de plusieurs manifestations avant le putsch du 24 janvier. À l’instar d’autres structures, elle n’a pas été associée aux concertations du Cnosc, selon le porte-parole Roland Bayala. « Nous estimons que c’est ensemble que nous pourrons rebâtir le Burkina et procéder à sa refondation », avait-il, en effet, déclaré dans un entretien au Point Afrique, précisant qu’il n’est tout de même pas question de « forcer la main à ces nouvelles autorités ».
Les conditions d’une bonne transition avancées
Au-delà du rôle que devra jouer la société civile, les propositions sont nombreuses quant à la bonne conduite de la transition.
Pour bien des observateurs, la durée de ce processus importe peu devant les priorités à attaquer. Mais, aussi multiples que soient les points de vue, ils se rejoignent sur un aspect jugé capital : la lutte contre le terrorisme, l’un des principaux axes déclinés dans l’agenda du MPSR, alors qu’une grande partie du territoire est assiégée par des groupes armés.
Chercheuse à l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (Inera) et présidente de l’Association des anciens maires et élus locaux du Burkina (Amel), la Dr Julienne Gué pense que l’objectif de la junte de restaurer l’intégrité physique du territoire peut être atteint. Elle pense cependant qu’un certain nombre de conditions doivent être remplies : « Il faut galvaniser, motiver les troupes combattantes. Cela passe par une prise en charge effective et conséquente, par de l’armement de qualité et en quantité suffisante. Il faut renforcer la synergie d’action entre les forces armées nationales et mettre à profit l’expérience des haut gradés », égrène celle qui porte par ailleurs la casquette de secrétaire générale de l’Association des femmes scientifiques du Burkina (AFSCI-B). Lutter contre la corruption, particulièrement dans le secteur de la défense, assainir le climat social par la réglementation des structures associatives, ainsi qu’apurer un lourd et sensible passif foncier, ce sont là autant d’autres priorités qui devront occuper les nouvelles autorités pour une transition sans entrave, estime Julienne Gué.
Du contenu, oui, mais aussi de la méthode
Alors que ces avis s’entremêlent dans le débat public, le MPSR, tout en poursuivant les consultations, continue de révéler les couleurs de la prochaine transition. En effet, après la publication, le 29 janvier dernier, d’un acte fondamental qui rétablit la Constitution, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a signé ce 3 février un décret portant création d’une commission technique d’élaboration de projets de textes et de l’agenda de la transition. Cette commission devra avoir pour rôle de « proposer une méthodologie visant à déterminer un consensus solide au sein de la société et orienté vers l’action pour sauver la patrie ». Elle devra aussi suggérer « un agenda assorti d’une durée » à cette transition, également esquisser une charte indiquant ses « principes, organes, objectifs, orientations stratégiques et modalités de conduite ». Le chantier s’annonce titanesque au regard des contraintes annexes, mais la détermination pour un consensus salvateur semble être de la partie. Elle pourrait aider à avancer doucement mais sûrement sur le chemin d’une restauration appelée de tous ses v?ux par le peuple burkinabé.
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