L’ancien Premier ministre d’IBK, Boubou Cissé, était l’invité de l’émission “Et si vous me disiez toute la vérité” de TV5. Les questions de Denise Epoté (l’animatrice de l’émission) portaient sur le coup de force qui a renversé Bah N’Daw et Moctar Ouane et condamné par la communauté internationale (Cédéao, l’Union africaine, la France), la décision de la France de suspendre ses opérations avec les FAMAs, la leçon tirée de son arrestation, sa traque par la junte et sa libération.
Sur le coup force qui a renversé Bah Daw et son Premier ministre Moctar Ouane, Boubou Cissé a laissé entendre qu’il n’est pas rare de voir au cours d’une Transition où les équilibres sont très fragiles que des contradictions naissent entre les tenants du pouvoir. “Nous l’avons dans d’autres pays à travers le monde. Et nous l’avons surtout vécu au Mali en 2012. D’où l’importance de maintenir le calendrier initial pour pouvoir avoir dans le meilleur délai un pouvoir légitimé par les urnes et qui puisse s’attaque aux énormes défis que sont l’insécurité, la réconciliation nationale, le climat social et l’assistance aux personnalités en difficulté”, a-t-il dit.
Comprend-t-il les exigences de l’Union africaine à l’endroit du Mali et la bienveillance vis-à-vis du Tchad qui a aussi connu une rupture constitutionnelle ? Boubou Cissé répond qu’il est bon de garder en tête que le Mali et ses choix ne sont pas isolés du reste du monde. “Ce que nous décidons pour nous-mêmes ne concerne pas que nous seuls. Non seulement nous avons des relations avec nos différents partenaires qui entrent en ligne de compte dans les choix que nous faisons. Et le choix que le Mali fait a des conséquences sur les autres relations des autres pays. En condamnant le coup d’Etat au Mali, la Cédéao et l’Union africaine étaient dans leur rôle. Ce sont des institutions fondées sur des valeurs et des principes qui condamnent les coups de force et les coups d’Etat. Nous devons les saluer pour avoir évité au Mali des sanctions plus dures d’ordre économique parce que les difficultés du quotidien des Maliens sont très importantes.
La Cédéao n’a pas eu d’autre choix que d’entériner une situation de fait Puisqu’avant même le Sommet des chefs d’Etat d’Accra, la Cour constitutionnelle du Mali avait désigné le colonel Assimi Goïta comme le président de la Transition. Je pense qu’elle est restée aussi sur ses principes puisque, après la condamnation, elle a exigé que la date de fin de la Transition puisse être respectée. Je pense que cet engagement du Mali est un engagement de l’Etat malien vis-à-vis de lui-même et également vis-à-vis des autres. Il faut que cet engagement puisse être maintenu pour qu’on puisse parvenir à organiser des élections libres et transparentes et qui puissent être acceptées par tous”, a-t-il expliqué.
“Les Maliens sont impatients de pouvoir se passer des services de certains des partenaires du Mali qui sont à son côté depuis 2012”
A la question si la décision française de suspendre ses missions de conseil d’opérations conjointes compte tenu du contexte sécuritaire avec les FAMAs est-il tenable pour le Mali, Boubou Cissé est resté très sage dans sa réponse, précisant que cette décision, pour lui, est une décision souveraine de la France et il la respecte. Cependant, ajoute-t-il, la France et le Mali sont des partenaires très anciens dont les relations sont multiformes. “Dans le partenariat, il est compréhensible que certains des partenaires qui sont à côté du Mali depuis 2012 puissent être impatients. Les Maliens sont impatients de pouvoir se passer de leurs services. C’est comme une personne qui prête son épaule pour marcher, ça va au début du chemin, un peu plus loin, il y a la fatigue. Mais je pense que, l’essentiel, c’est de faire le chemin ensemble. Aujourd’hui, le chemin entre le Mali et la France, entre le Mali et ses partenaires internationaux, c’est la lutte commune, implacable contre le terrorisme. Le chemin, c’est la restauration de la démocratie à travers une Transition apaisée qui puisse aller à des élections crédibles et acceptées de tous. Pour ma part, chacun souhaite de part et d’autre que le Mali puisse passer, dans un délai raisonnable, de toute aide en matière militaire. Ce temps n’est pas encore venu. Nous sommes en guerre. Et dans la conduite de la guerre, il y a des alliances qui ont un avantage décisif”, a-t-il commenté.
“Ma liberté a été acquise à un prix et la justice malienne a pratiquement joué sa crédibilité dans cette affaire”
Quelle leçon a-t-il tiré de la longue période de son arrestation et de sa traque par la junte qui l’avait accusé de tentative de renversement du gouvernement de la Transition avant d’être blanchi et libéré par la justice le 2 mars 2021 ? Boubou Cissé répond que depuis le 2 mars 2021, il a le choix entre regarder derrière lui ou regarder devant lui. Il a dit qu’une chose l’encourage à plutôt regarder devant lui.
“Evidemment, ma liberté a été acquise à un prix. Si je décide de regarder derrière moi, je peux voir la solitude et le sacrifice parce qu’il y en a eu comme le prix de la liberté. Mais je préfère voir le prix de la liberté non pas en termes de souffrance, mais plutôt le compter en bonnes volontés. Et des bonnes volontés, il en a eu. Quand je regarde les juges au siège en particulier, ils ont montré qu’ils pouvaient être à la hauteur de l’enjeu. La justice malienne a pratiquement joué sa crédibilité dans cette affaire. Mais je pense que du fait que des personnes, hommes de droit ou simples citoyens se sont levés pour que la vérité soit dite dans le droit, je pense que la justice malienne s’en est sortie grandie. Je pense que l’Etat de droit au Mali a résisté et continue de résister. Cet Etat de droit est un idéal, mais aussi une norme qui a encore tout son sens pour la plupart des Maliens. C’est ça la lueur d’espoir que je retiens. Et je pense que la stabilité, de façon générale dans mon pays, au Mali, passera par la considération de cet Etat de droit”, a-t-il raconté.
Avec le recul, Boubou Cissé a-t-il compris ce qui lui était reproché durant la situation sociopolitique délétère ayant abouti au coup de force du 18 août 2020, alors qu’il était Premier ministre d’IBK ? Il répond qu’il est arrivé dans la crise en tant que Premier ministre et pour gérer cette crise. “C’était une crise intense non seulement sur le plan social mais aussi politique. Et cela dans un contexte sécuritaire qui était extrêmement préoccupant puisque la sécurité rongeait le Mali tant au Nord qu’au Centre avec une division intercommunautaire qui, à chaque moment, risquait de tourner en guerre civile. Donc, c’était un contexte assez complexe. Mais je pense que nous avons connu quelques succès. Je pense à l’accord politique de gouvernance. Pour la première fois de l’histoire de notre pays, des forces politiques contraires acceptaient de se donner la main pour un projet commun de sauvetage du Mali. Ce n’était jamais vu avant.
Et une partie de l’opposition a intégré le gouvernement de large ouverture que j’ai mis en place. Je pense comme succès au Dialogue national inclusif qui a été un moment d’union et de communion autour de valeurs communes et qui a donné des solutions à un certain nombre de maux que nous avions identifiés pour sortir le Mali de la crise”, a-t-il signalé. Pour lui, le coup d’Etat du 18 août 2029 s’explique par une exaspération de la jeunesse malienne en particulier. “Cette exaspération est due au fait que nous n’avons pas su répondre suffisamment à un certain nombre d’attentes de la part de cette jeunesse, notamment les préoccupations liées à l’emploi. Nous n’avons pas nécessairement été au rendez-vous. Ce sont des choses qui durent depuis des décennies. L’exaspération était aussi due au fait qu’il y avait une perception d’impunités par rapport à la lutte contre la corruption. Il y avait aussi des inégalités extrêmes qui se sont progressivement installées entre les différentes couches de la population”, a-t-il fait savoir.
“Il faut travailler pour aller vers une République sociale et répondre aux différentes attentes du peuple malien sinon chaque pouvoir qui sera mis en place courra le risque d’être renversé par la violence de la rue, par un coup d’Etat”
Faudrait-il passer par un dialogue national plus inclusif pour refonder le Mali et le faire sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve depuis 2012 ? Pour Boubou Cissé, l’analyse de la situation fait voir que chaque fois que les Maliens se sont éloignés de la route qui avait été fixée par leurs aînés lors de la Conférence nationale d’après Révolution de 1991, ils se sont mis en danger. Et, à ses dires, cela est une croyance, une superstition.
“En analysant la situation, je pense que c’est cela qui nous a progressivement conduit au coup d’Etat d’août 2020 à travers les événements d’avril, de juin et de juillet 2020. Je pense que le projet du peuple malien, c’est la République sociale, c’est-à-dire concrètement, donner à chaque Malien et à chaque Malienne l’opportunité de se réaliser en supprimant les empêchements. Je pense que tant que la société maintiendra les situations d’inégalités extrêmes qui existent, tant que la société maintiendra l’injustice, avec les obstacles à l’accomplissement que nous avons vus et qui existent depuis un certain nombre de temps, chaque pouvoir qui sera mis en place courra le risque d’être renversé par la violence de la rue, par un coup d’Etat. Donc, il faut travailler pour aller vers cette République sociale et répondre à ces différentes attentes du peuple malien”, a-t-il préconisé.
“Aujourd’hui, je cherche à plutôt fédérer les personnes, à rassembler les démocrates, les citoyens pour qu’ensemble nous puissions aller à l’écoute des Maliens, échanger avec eux et définir un projet commun, fédérateur que nous exécuterons pour sortir notre pays difficultés dans lesquelles il se trouve en ce moment”
Qu’a-t-il retenu de l’expérience politique en tant que ministre des Finances et Premier ministre et que compte-t-il faire ? Boubou Cissé répond que l’expérience a été enrichissante pour lui car il a exercé des fonctions au plus haut niveau. D’abord, il a été ministre de l’Industrie et des Mines, ministre des Mines, ministre de l’Economie et des Finances, avant d’être nommé Premier ministre du Mali par le président Ibrahim Boubacar Kéita. Ce qui est une expérience enrichissante pour lui. “Expérience enrichissante pour moi où j’ai compris de façon approfondie les rouages de l’Etat. J’ai compris les enjeux sécuritaires et géopolitiques non seulement du Mali, mais de la sous région et du Sahel en particulier. J’ai appris davantage à affectionner le peuple du Mali et avoir un amour profond pour mon pays. Aujourd’hui, je cherche à plutôt fédérer les personnes, à rassembler les démocrates, les citoyens pour qu’ensemble nous puissions aller à l’écoute des Maliens, échanger avec eux et définir un projet commun, fédérateur que nous exécuterons pour sortir notre pays des difficultés dans lesquelles il se trouve en ce moment”, a-t-il fait savoir.
Siaka DOUMBIA
Source: Aujourd’hui-Mali