Le coordinateur du Mouvement pour la sauvegarde des droits de l’Homme au Mali (MSHD), Boubacar NDjim jette un regard critique sur l’esclavage au Mali. Dans l’entretient qui suit, il parle de la journée du 2 décembre consacrée à la célébration de l’abolition de l’esclavage dans le monde, ses relations avec d’autres organisations de lutte contre l’esclavage et le ministère de la Justice, etc.
Mali Tribune : Le 2 décembre est la Journée internationale pour l’abolition de l’esclavage. Quelle est la situation de l’esclavage au Mali ?
Boubacar NDjim : La Journée internationale pour l’abolition de l’esclavage est commémorée chaque 2 décembre depuis 1949 marquant l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Convention pour la répression et l’abolition de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui.
La célébration de cette journée, tout en s’inspirant de l’esprit de l’abolition de la traite des noirs, actualise le combat permanent contre toutes les autres formes d’esclavage moderne qui privent de très nombreux êtres humains, de leurs libertés et leurs droits les plus élémentaires à la dignité, au travail libre, à la vie tout simplement.
La situation de l’esclavage au Mali laisse à désirer, la forme la plus répandue est l’esclavage par ascendance qui a fait plusieurs morts, des dizaines de blessés et des déplacements forcés de ces prétendus esclaves.
Cette pratique est fréquente dans la région de Kayes, Koulikoro, Kita dans les régions du nord et du centre du Mali. L’esclavage a été aboli au Mali en 1905, toutefois des pratiques d’esclavage par ascendance subsistent dans plusieurs régions du pays. Les individus assignés au statut d’esclave au Nord sont majoritairement affectés par ce phénomène. Même si des milliers de Maliens ayant hérité du statut d’esclave sont parvenus à s’émanciper en migrant vers d’autres régions, certains se trouvent contraints de rester sous la domination de leurs « maîtres ».
L’esclavage revêt plusieurs formes : de la traite d’êtres humains, l’exploitation sexuelle, le travail des enfants, les mariages forcés au recrutement forcé d’enfants dans les conflits armés.
Mali Tribune : Depuis longtemps, vous menez une croisade contre l’esclavage par ascendance. Pensez-vous être entendu un jour ?
B N. : Oui notre cri de cœur a été entendu et il y a de cela quelques jours, le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme Garde des Sceaux a donné une instruction ferme aux procureurs généraux pour la gestion des affaires en lien avec la pratique de l’esclavage par ascendance et nous avons apprécié aussi ces récentes sorties médiatiques tout en dénonçant cette pratique.
Donc le fait que les autorités de transition sortent de façon officielle en reconnaissant l’esclavage qui sévit dans la région de Kayes est une lueur d’espoir pour nous organisation de défense des droits de l’homme et en même temps les victimes.
Mali Tribune : Pourquoi l’état ne criminalise-t-il pas cette pratique?
B N. : L’esclavage, surtout celui par ascendance n’est toujours pas criminalisé car des facteurs socioculturels s’y imposent, le rôle des légitimés traditionnelles est très prépondérant dans l’éradication de cette pratique, tous ces aspects font que le sujet devienne sensible et cela donne l’opportunité aux entreprises esclavagistes de sévir sans arrière-pensée.
Mali Tribune : Est-ce qu’il y a une différence entre l’esclavage et la situation d’exclu et de rejet qui frappe certaines ethnies ou classe sociale ?
B N. : Non, car ce sont ces mêmes personnes traitées comme esclaves qui sont exclues de la société et sont rejetées par certaines ethnies.
Mali Tribune : Que pensez-vous de la décision prise par le ministre de la Justice des Droits de l’homme, Garde des Sceaux à l’endroit des Procureurs de la République en faveur de la lutte contre l’esclavage au Mali ?
B N : Nous avons été très touchés par cette circulaire du ministre de la Justice et nous sommes plus que contents et très confiants par rapport à cette décision. Les organisations de défense des droits de l’homme y compris les victimes ont regagné confiance et commencent à croire en leurs retours dans leurs différentes localités. Nous recommandons une application stricte de cette décision pour que tout puisse finalement rentrer dans l’ordre et ensuite un suivi-évaluation de cette circulaire.
Mali Tribune : Quel bilan faites-vous de la lutte contre l’esclavage au Mali par votre mouvement ?
B N. : Notre mouvement a réalisé beaucoup d’activités et a posé beaucoup d’actions depuis sa création par rapport à la question de l’esclavage par ascendance, nous avons récemment mené une campagne au cours de laquelle des messages d’information, de sensibilisation, de plaidoyer et des chiffres et statistiques ont fait le tour de toutes les plateformes digitales et des médias afin d’éveiller la conscience de tous les niveaux de la société sur la question. Le bilan ne peut qu’être positif et bien en rappelant aussi que nous avons encore plein de choses à réaliser et espérons compter comme d’habitude sur tout un chacun.
Mali Tribune : Travaillez-vous en synergie avec d’autres organisations nationales ou internationales dans le cadre de la lutte contre l’esclavage ?
B N. : Oui, nous travaillons avec la Coordination de la Synergie des Organisations de la Défense des Droits de l’Homme (ODDH), les membres du Cadre de Concertation des ODDH au niveau de la CNDH, la Coalition nationale de Lutte contre l’Esclavage au Mali, le Réseau Trust Africa, Amnesty International Mali, la Coordination des Organisations de Lutte contre l’Esclavage et ses Séquelles, AfrikaJom Center, la Minusma…
Mali Tribune : Des zones considérées comme esclavagistes dans la région de Kayes ont défrayé la chronique un moment donné dans des violences physiques contre des personnes et leurs biens. Quel a été votre rôle pour mettre fin à cette situation ?
BN. : Nous avons joué le rôle d’informateur, nous avons fait des sensibilisations en faveur de la population afin qu’elles puissent prôner la paix et la cohésion sociale.
Propos recueillis par
Koureichy Cissé
Source: Mali Tribune