« Parce qu’il me l’a dit, je me dois de le témoigner ici, Ibrahim Boubacar Keïta n’avait aucune amertume et n’en voulait à personne. Grand croyant, il a toujours pensé que le plan de Dieu est le meilleur ». Ces propos sont venus du fils de l’illustre disparu et représentant de la famille, Boubacar Keïta ‘’Bouba’’, aux obsèques nationales de l’ancien Président de la République, le vendredi 21 janvier 2022, à la Place d’arme du 34ème bataillon du Génie militaire.
La mort dans toute sa tristesse, a arraché au peuple malien, l’ancien Président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, affectueusement appelé IBK. Homme d’expérience, grand homme politique, patriote et amoureux du Mali, démocrate dans l’âme, panafricaniste engagé et très généreux, IBK attachait beaucoup d’importance à l’humanisme et à nos valeurs sociétales. Boua, comme l’appellent les jeunes maliens, s’est éteint en toute discrétion à son domicile de Sébénicoro, le dimanche 16 janvier 2022, à l’âge de 76 ans.
Pour ses nombreux services rendus à la nation, un dernier hommage lui a été rendu. C’était le 21 janvier dernier à la Place d’arme du 34ème bataillon du Génie Militaire en présence du Premier ministre, Dr Choguel Kokalla Maïga, de l’ancien Président de la Transition, Pr Dioncounda Traoré, des anciens Premiers ministres, des représentants des corps diplomatiques accrédités au Mali et de plusieurs personnalités politiques et religieuses.
Il était 10 heures 23 minutes lorsque le corps du Président Ibrahim Boubacar Keïta, recouvert du drapeau national, est apparu pour la marche funèbre sous le regard impuissant de sa fidèle épouse Mme Keïta Aminata Maïga, son troisième fils Bouba, ses petits-enfants, amis et ex-collaborateurs. En ce moment de recueillement, la tristesse et la peine se lisaient sur tous les visages. On pouvait remarquer parmi ceux qui avaient effectué le déplacement, celui qu’il considérait comme son quatrième fils, Moussa Timbinè, son ami et camarade de lutte pour la cause des étudiants de d’Afrique noir en France, Me Kassoum TAPO, Dr Baba Hakim HAÏDARA, son Directeur de cabinet et beaucoup d’autres compagnons et connaissances, de Koutiala à Bamako. A 11 heures, place à la cérémonie proprement dite avec une série de témoignages qui a été commencé par sa-petite fille, Aminata Jeanne Keïta. Ensuite, ce fut le tour du fils de l’illustre disparu, Boubacar Kéïta qui a témoigné que son père avait pardonné à tous et n’était en colère contre personne. «…..Parce qu’il me l’a dit, je me dois de le témoigner ici, Ibrahim Boubacar Keïta n’avait aucune amertume et n’en voulait à personne. Grand croyant, il a toujours pensé que le plan de Dieu est le meilleur. Combien de fois t’ai-je-vu, après que tu te sois retiré de la vie publique et politique de la manière que nous savons, faire du lobbying pour ce pays ? Combien de fois t’ai-je-vu dire à tes interlocuteurs et pas des moindres, les supplier presque de venir en aide à ceux qui ont la lourde charge du Mali aujourd’hui ? Car il ne s’agissait jamais de ta personne mais bel et bien du Mali. Seul compte le Mali, tout le reste est superfétatoire. Ces mots résonnent dans ma tête comme Roland Solon Solipha Rossolo. Tu me disais, oh combien ton grand-oncle feu le Président Modibo Keïta avait raison et que le Mali ne fera qu’avec l’Afrique. Tu auras été dans toutes les batailles contre la préservation de la dignité, de l’honneur, de la culture africaine à tel point que tes pairs de l’Union Africaine t’avaient nommé Champion de la Culture et de l’héritage Africain ».
Il a tenu à saluer particulièrement le Président de la Transition pour le respect et la considération à l’égard de son père. « Nous, tes enfants, tenons à remercier tout le monde pour le soutien dans les bons et dans les mauvais moments. Tu nous as inculqué des valeurs et des principes sur lesquels je ne saurais transiger, première desquelles la reconnaissance. A cet égard, nous remercions particulièrement certaines personnes, en commençant par le Président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta. Je dis bien particulièrement, des évènements d’août 2020 à ce jour, il t’a toujours traité avec beaucoup de respect et d’égard. Ne pas le souligner, serait ingrat et contraire à ce que tu m’as inculqué ».
Au nom des partis politiques des anciennes majorités, Amadou Koïta a retracé le riche parcours et l’immense carrière politique de l’illustre disparu en commençant par le lycée Terasson de Fougère jusqu’à la Présidence. « … Tout au long de sa vie, IBK a œuvré sans relâche pour le renforcement de la démocratie, la recherche de la paix et de la stabilité au Mali. Sa détermination a été sans faille pour le dialogue et la réconciliation, l’Accord d’Alger, le Dialogue National Inclusif, la Conférence d’entente nationale, l’Accord politique de Gouvernance en sont les illustrations ».
Me Kassoum Tapo a fait un témoignage au nom des amis du disparu. Prenant la parole, Baba Hakib Haïdara, ancien directeur de cabinet du Président IBK, a salué la grandeur de l’homme et formulé des bénédictions pour le repos éternel de son âme.
Après la cérémonie, le corps a été remis à la famille pour être enterré dans sa concession. Dors en paix, Président IBK.
Bintou Diarra
Ils ont dit :
Moussa Mara, ancien Premier ministre « Je retiens d’IBK son humanisme »
« Nous formulons des vœux de prières et de condoléances à sa famille, à ses proches et à l’ensemble du peuple malien. La première des choses que je retiens d’IBK, c’est son humanisme. Son statut de Président de la République et Chef d’un parti politique ne l’a pas empêché de garder ses valeurs humaines. Au moment où nous étions à la Primature, le pays avait des difficultés, comme aujourd’hui, mais ça ne l’a jamais empêché de garder des rapports humains avec les autres. C’est la raison pour laquelle, quand tu as collaboré avec lui, ce que tu retiens, c’est son côté humain. C’était quelqu’un de bien. Nous prions qu’il y ait ce genre de personnes de bien dans le pays et nous lui faisons des douaw pour que sa mort puisse être une occasion pour tous les fils du pays de se pardonner et de se réconcilier. Ainsi va la vie, c’est le Seigneur qui décide notre séjour sur terre et nous prions pour le repos éternel de son âme ».
Me Kassoum TAPO, ancien ministre
« J’ai retenu de notre dernier dialogue crépusculaire que tu as pardonné à tout et à tous »
« Je veux témoigner ici, de ce que j’ai retenu de notre dernier dialogue crépusculaire, il y a tout juste quelques semaines. De ce dialogue crépusculaire qui dura de 17 heures à 22 heures, j’ai compris que tu as pardonné à toutes et à tous, malgré la fatigue de la maladie, à l’issue duquel tu m’as offert le magnifique ouvrage de Jean Bernard de l’Académie Française ‘’ Le sang des poètes’’. Je saisis aujourd’hui le symbole, car pour l’homme de culture, pour le grand humaniste, tout est symbole. Le baobab qui se couche, comme les chênes qu’on bat, fait farouche bruit dans le crépuscule….. Adieu kôrô »
Mamadou Bakary Sangaré, ancien Conseiller spécial d’IBK :
« J’ai vu en lui un Président qui exerçait ses fonctions avec dignité et honnêteté »
J’ai collaboré avec IBK pendant plusieurs années, nous n’avons pas collaboré uniquement quand tout était rose mais nous avons collaboré ensemble lorsque le pays avait des difficultés. Exercer le pouvoir n’est pas une chose aisée. Moi même j’ai voulu être Président et c’est en ce moment que j’ai su que c’était quelque chose de difficile. Ce n’est pas donné à tous les Présidents de venir à bout de leur mandat. Mais aujourd’hui, c’est le mandat de Dieu et cela doit nous servir à tous de leçon. Pendant notre collaboration, j’ai vu en lui un Président qui exerçait ses fonctions avec dignité et honnêteté, un patriote qui aimait beaucoup le Mali. Nous ne pouvons que l’accompagner aujourd’hui avec des prières. Que son âme repose en paix !
Le Cardinal Jean Zerbo :
« Au moment où il partait, sa grande souffrance était de voir le Mali dans cette situation »
J’estime que c’était quelqu’un qui, pendant toute sa vie, a essayé d’honorer les bénédictions qu’on fait sur chacun de nous, le jour de notre naissance. Ce jour on te dit deux bénédictions essentielles : Allah ki ballo et Allah ki nakadiya. Et puis, je le définis comme quelqu’un qui avait une mission à accomplir et pas n’importe quelle mission. Il pouvait rester en Europe et faire sa vie, mais il a préféré revenir pour se mettre au service d’un Mali démocratique. Depuis 1990, il est sur la scène politique : Premier ministre, Président de l’Assemblée Nationale et Président de la République. Et ce que je retiens de lui, c’était un homme très sensible, dès qu’il s’agissait d’un problème humain, tu le voyais tout d’un coup au-devant de la scène, tellement que ça le touchait, il essayait vite de trouver des solutions. Au moment où il partait, sa grande souffrance était de voir le Mali dans cette situation. Nous prions qu’à cause de ce pays et tout ce qu’il a fait pour ce pays, Dieu lui pardonne et lui accorde le repos éternel.
Propos recueillis par Bintou Diarra
Source : Le Challenger