Deux semaines après le putsch du 24 mai, le Mali tourne une nouvelle page de son histoire politique tumultueuse. Ce lundi, le colonel Assimi Goïta, chef de la junte, doit être investi président de la transition. Il succédera à Bah N’Daw, poussé à la démission à la suite d’un second coup de force des militaires. Le premier, le 18 août 2020, avait déposé l’ex-président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) contesté dans la rue par une coalition de partis d’opposition et d’associations née le 5 juin 2020 (M5). C’est dans ce vivier de vieux routiers de la politique malienne – pour l’essentiel –, qu’Assimi Goïta avait indiqué qu’il choisirait un nouveau Premier ministre. Son nom sera dévoilé peu après la prestation de serment de ce lundi. Mais tout indique que Choguel Kokalla Maïga pourrait ravir la primature. Ingénieur de formation, plusieurs fois ministre, ce fer de lance du M5 a vu sa cote de popularité s’envoler en un an.
La tâche qui incombe à l’exécutif est immense. En gros, il s’agit de faire beaucoup plus que ce que la junte a réalisé jusque-là… en moins de temps. Préparer la présidentielle de février 2022, répondre aux fortes demandes de sécurité et de justice sociale de la population, engager le dialogue avec la principale centrale syndicale (UNTM) qui a multiplié les mouvements de grève durant la transition. Ce vendredi, en pleine tractation avec la junte, Choguel K. Maïga a également eu un avant-goût de la complexité de la relation avec les partenaires étrangers du Mali. La France a annoncé la suspension temporaire de ses opérations conjointes avec l’armée malienne au Sahel, et la Banque mondiale a déclaré avoir provisoirement “mis en pause les décaissements de ses opérations au Mali pendant qu’elle suit et évalue de près la situation ». Le 30 mai, la Cedeao avait déjà suspendu le Mali de ses instances suite au coup d’Etat, sans toutefois imposer d’embargo écommercial et financier comme en août 2020.
Docteur en sciences politiques, chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM), chargé de cours à l’université de Ségou, Boubacar Haïdara a accepté de décrypter pour Le Point Afrique les attentes et les contraintes qui vont peser sur le nouveau gouvernement malien.
Le Point Afrique : À quelles attentes de la population devra répondre le nouveau gouvernement ?
Boubacar Haïdara : Les attentes n’ont pas changé depuis les premières mobilisations du M5 en juin 2020 qui ont conduit au coup d’État du 18 août 2020. Les manifestants réclamaient des changements en matière de lutte anticorruption, de sécurité, d’éducation, en raison d’années scolaires minées par les grèves… Les aspirations étaient très fortes. Mais depuis la mise en place des organes de la transition en octobre dernier, qui n’intégraient pas les principales figures du M5, on n’a pas vu de changement dans ces domaines. Il paraît aujourd’hui difficile de citer un secteur où les choses se sont améliorées. Les mécontentements sont donc latents. D’ailleurs, on entend un certain nombre de Maliens dire à propos de la gestion des affaires : « c’est du IBK sans IBK ».
Pour autant, le coup d’État du 24 mai, le deuxième en 9 mois, n’a pas suscité d’opposition dans la rue ou de réactions critiques, même si quelques intellectuels s’en sont offusqués. Au contraire. On a vu des manifestations de soutien en faveur des militaires. Ils ont manifestement réussi à convaincre l’opinion lorsqu’ils se sont justifiés sur leurs manques de résultats. Par exemple, sur les actions en justice attendues contre des officiels soupçonnés d’avoir détourné l’argent public – des faits documentés par le Bureau du vérificateur général chargé de vérifier la gestion des ressources publiques – ou sur le scandale du détournement des 1 230 milliards de francs CFA initialement prévus pour équiper les militaires et autonomiser l’armée malienne. La junte s’est défaussée sur l’ancien président de la transition Bah N’Daw. Elle a notamment laissé entendre qu’il avait refusé de procéder à l’audit de ces 1 230 milliards de francs CFA.
Les militaires s’en « sortent » donc plutôt bien, au vu de leur bilan, et s’adjugent de surcroît le soutien politique du M5. Mais les militaires maliens jouent leur dernière carte, car les aspirations au changement ne se sont pas annihilées.
Outre les attentes de la population qui demeurent intactes, à quelles pressions se confronte la junte au pouvoir dans le choix du nouveau Premier ministre et du gouvernement ?
La décision de la France de suspendre les opérations militaires conjointes avec l’armée malienne peut être interprétée comme une pression particulièrement forte. Cette annonce n’a pas été formulée au moment du coup d’État du 24 mai, elle intervient alors qu’Assimi Goïta est en passe de nommer son Premier ministre. La France a d’ailleurs créé la surprise, car on pensait qu’elle avait tourné la page en annonçant s’aligner sur les positions de la Cedeao, peu après le coup d’État.
Assimi Goïta a fait part de son intention de confier le poste de Premier ministre à Choguel Maïga, un des leaders du M5. Or, Choguel Maïga est connu pour ses positions critiques à l’égard de l’accord de paix d’Alger. Il estime qu’il n’est pas acceptable dans son format actuel et a appelé maintes fois à sa révision. En cela, il a le soutien d’une grande partie de l’opinion malienne. On peut aussi rappeler qu’une des conclusions du dialogue national inclusif de septembre 2020, qui a réuni acteurs politiques, organisations de la société civile et religieuse, a été de rediscuter cet accord de paix.
Mais la France, elle, pèse de tout son poids en faveur de l’application de cet accord. Son insistance est d’ailleurs un des éléments qui explique pourquoi elle est de plus en plus indésirable au Mali. Les Maliens peinent à saisir ses intérêts. Quoi qu’il en soit, cela complique l’équation pour Choguel Maïga, s’il est bien confirmé au poste de Premier ministre. Il sera peut-être contraint de mettre ses réserves de côté sur l’accord d’Alger. L’autre difficulté tient aux promesses de changement qu’il a faites et qui ont été très bien accueillies. On ne voit guère comment il pourra mettre en œuvre tout ce qu’il a promis.
Lors de la manifestation du M5 à Bamako, ce vendredi, Choguel Maïga a déclaré que le Mali respecterait ses engagements internationaux. Quelques jours plus tôt, Youssouf Coulibaly, un conseiller d’Assimi Goïta, a, de son côté, exprimé les difficultés à respecter le calendrier en vue de la présidentielle de février 2022, invoquant le peu de temps imparti. Une façon de préparer le terrain à un éventuel prolongement de la transition ?
Youssouf Coulibaly a évoqué à plusieurs reprises ces délais serrés, ce qui pose aussi la question de la volonté des militaires d’organiser ce scrutin en bonne et due forme. Et vu la légèreté des mesures prises par la Cedeao à la suite du coup d’État (l’organisation régionale a suspendu le Mali de ses instances, mais n’a pas prononcé de sanctions cette fois, NDLR), qu’est-ce qui les empêcherait de reporter les élections ? C’est un scénario très probable.
Quels sont les principaux chantiers à mettre en œuvre pour que la présidentielle puisse se tenir dans de bonnes conditions en février 2022 ?
Le premier point de blocage réside dans la mise en place d’un organe unique et indépendant de gestion des élections. Actuellement, cette fonction relève du ministère de l’Administration territoriale, donc de l’exécutif, ce qui n’est pas sain dans un contexte de suspicion sur la régularité du processus électoral. Une instance indépendante composée d’une diversité d’acteurs serait donc un gage de crédibilité et de transparence.
Il faut également engager la réforme du fichier électoral et la révision de la loi électorale. Le fichier contient des personnes décédées et doit être nettoyé. Ces problèmes avaient déjà été pointés lors de la présidentielle de 2018. Or, les militaires n’ont avancé sur aucun de ces points. Pire, les chantiers n’ont même pas été amorcés. La junte a invoqué le manque de temps imparti.
Choguel Maïga est un homme politique qui a été aux affaires dans divers gouvernements et qui a revendiqué par le passé sa proximité avec l’ancien dictateur Moussa Traoré. Sur quoi se fonde aujourd’hui sa popularité ?
En effet, il a assumé cette proximité et s’est même réclamé héritier de Moussa Traoré à un moment où celui-ci était banni au Mali, ce qui était plutôt courageux de la part de Choguel Maïga. Il a aussi servi, plus récemment, sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) en tant que ministre de l’Économie numérique, de l’Information et de la Communication. Il a même été son porte-parole, avant de basculer dans l’opposition et de le décrier. Il fait partie de cette classe politique qui a émergé dans les années 1990, dont les membres se connaissent tous et sont de la même génération. On les appelle « les acteurs du mouvement démocratique ». Et ce sont eux, surtout, qu’on retrouve dans le M5, qui n’a finalement fait émerger que très peu de nouvelles figures.
La cote de confiance de Choguel Maïga s’est accrue parce qu’il a su rester constant dans ses positions. Comme d’autres figures du mouvement, il ne s’est pas laissé acheter par IBK quand celui-ci a proposé aux leaders de la contestation des postes dans l’administration. Puis, quand Bah N’Daw, le président par intérim de la transition, a convoqué le M5 en vue d’intégrer certains de ses membres, Choguel Maïga a refusé de rallier les instances de transition au motif que les garanties exigées par le M5 n’étaient pas respectées. Il a su rester cohérent et cela lui a permis de transformer son image.
Il y a un an, au moment de la création du M5, l’imam Dicko faisait figure de redoutable opposant. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Il ne fait plus partie du M5, et c’est le plus gros changement survenu au sein de ce mouvement en un an. Il n’était d’ailleurs pas présent à la manifestation de ce vendredi. Les leaders du M5 estiment que l’architecture du pouvoir de transition porte la marque de l’imam Dicko. Certaines personnalités lui ont même imputé la nomination de Moctar Ouane, le Premier ministre évincé lors du second coup d’État.
L’un des rares à avoir continué de le ménager au sein du M5, c’est Choguel Maïga. Mais les autres membres du mouvement tiennent des propos très véhéments à son encontre et l’accusent de trahison. L’imam Dicko n’a pas réagi à ces déclarations. On ne l’a pas davantage entendu depuis le coup d’État du 24 mai, il est silencieux. Sa popularité semble s’être érodée, toutefois, on peine à répondre à la question de son influence aujourd’hui.
SOURCE: https://www.lepoint.fr/afrique