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Bissau : La paix des braves sénégalais !

Cette semaine, alors que nos yeux sont rivés vers Bamako où la détention des soldats ivoiriens défraie les chroniques sur le continent africain, la surprise jaillit de Bissau en Guinée. Et quelle belle surprise ? La signature d’un accord entre le MFDC et l’Etat du Sénégal, sous le leadership du Président Umaru Sissoko Embalo. Après plus de 40 années d’affrontements sanglants, l’Etat Sénégalais et les indépendantistes casamançais décident de déposer les armes et de poursuivre les pourparlers.

 

Cela devrait inspirer les Maliens et leur donner davantage de raison de croire en la vertu du dialogue. Si le paraphe d’un document symbolisant la paix des braves crée toujours de l’émotion, on ignore souvent le travail titanesque de coulisse pour trouver un texte qui fait consensus. Et l’architecte de ce travail de rédaction est rarement cité. En regardant les images publiées sur la page Facebook de la présidence Bissau guinéenne, mon regard se fige sur un homme dans l’ombre, caché derrière le Président Umaru Sissoco et la seule dame présente à la cérémonie.

La guerre étant une affaire de macho, rien de moins étonnant qu’à la signature d’un accord de cessez-le-feu, il n’y ait que des machos – petite digression. Revenons à cet homme niché en arrière-plan derrière le Président Embalo. Un visage qui m’est familier. Cet homme discret mais très efficace s’appelle Freddy N’Kurikiye. Je m’empresse alors de retrouver les contacts de mes amis journalistes à Dakar et à Bissau pour en savoir plus.

De mes investigations, je reçois un concert de louanges en faveur du Centre pour le Dialogue humanitaire Hd, maître d’ouvrage de cette facilitation réussie. Si le centre pour le dialogue humanitaire est si efficace dans les médiations, c’est parce qu’il fonde son expertise sur des cadres rompus à la tâche et discrets à l’image de Freddy ! C’est lui l’architecte de la facilitation qui a donné le « texte resté encore confidentiel » que les deux parties dans la crise casamançaise viennent de parapher ce 4 août 2022.

De mes contacts proches des protagonistes, je reçois cette confidence: « le buzz médiatique passé, il n’est pas superflu de révéler que cet accord est l’œuvre d’un quinquagénaire africain qui a facilité durant 3 ans le dialogue entre les deux camps. C’est Freddy N’Kurikiyé. Avec une mine à la fois grave et impassible, peu bavard, sa réserve peut le rendre mystérieux. Il a mené de main de maître les négociations qui ont accouché d’un accord que même les Présidents sénégalais et Bissau guinéen ont salué ».

Cela correspond au facilitateur N’Kurikiyé que j’ai rencontré il y a près de vingt ans. Ce diplomate accompli est aisément reçu à Lomé comme à Bruxelles, à Bangui, à Kigali, à Kinshasa, à New-York, à Paris et ailleurs. Sans doute qu’un tel carnet d’adresse lui ait été utile pour dénouer avec dextérité les fils d’un conflit qui dure depuis 4 décennies.

Mais qui est Freddy N’Kurikiyé ? Ce Burundais de naissance et Suisse d’adoption était loin de s’imaginer médiateur sur le continent africain, lui qui fit des études de finances, se voyait plutôt à la tête d’une grosse entreprise avec des paquets de fric à vous mettre plein la vue. Mais c’était sans tenir compte de son passé de jeune Burundais qui a vécu les affres de génocide de 1993 au Burundi et de 1994 au Rwanda. Sa maîtrise en poche, il compte parmi les organisateurs, avec l’Institut du Fédéralisme de l’Université de Fribourg (Suisse), du premier séminaire scientifique (Morat, mars 1998) qui a ouvert la voie aux négociations de paix d’Arusha et qui a vu la Suisse entrer activement dans le processus de paix burundais.

La confirmation de Freddy dans la sphère de la résolution non violente des conflits sur le continent africain et sa vocation pour la médiation se matérialise encore plus en 2003, à Nairobi. Il est facilitateur à la toute première rencontre de The Africain Youth Parliament (AYP), une initiative de jeunes panafricains résolus à prendre une part active sur les questions brûlantes du moment. Le forum regroupe 300 jeunes de tous les pays du continent africain. Là, Freddy, avec de longs cheveux afro, frêle et élancé, près de 2 m de haut, se fait remarquer par son calme et sa faculté d’écoute qui forcent l’admiration. Il s’improvise même interprète pour aider certains jeunes à participer activement aux travaux.

De là, il est embarqué par un jeune malien un peu la tête en l’air, qui le prend pour un peulh. Ce dernier l’embarque dans une folle aventure, réussir la prouesse de Nairobi, un an après à Bamako. C’est un pari fou, mais le jeune est si enthousiaste, et si convaincant qu’il a embarqué Freddy. Le voilà arrivé à Bamako en décembre 2003, pour une rencontre préparatoire, où il va humblement accepter de dormir à même le sol, avec quatre autres personnes dans une minuscule chambre d’étudiants du campus universitaire de Bamako sur la Colline de Badalabougou. Au sortir de cette réunion préparatoire, Freddy est désigné coprésident du Sommet Alternatif Jeunes-Mali 2004, qui regroupe 250 jeunes issus de 15 pays du continent africain à Bamako pendant plus de 10 jours du 23 mars au 5 avril 2004. Joignant l’acte à la parole, le sommet de Bamako, initie le camp chantier international Sanso 2005 au Mali.

L’objectif est de bâtir une école de 3 salles de classe en terre stabilisée, entièrement réalisées par les jeunes. Freddy est de nouveau désigné coordonnateur de ce chantier, toutes ses deux rencontres accordent une place prépondérante au dialogue interculturel entre jeunes du continent. De ce chantier sortira une école flambant neuve, réalisée par 150 jeunes venus de 16 pays dont une trentaine de Belges.

En 2006, après la signature d’un accord à Alger entre des sécessionnistes Touaregs et le gouvernement malien, Freddy est de nouveau sollicité par le Parlement Africain des Jeunes-Mali, l’association à l’initiative du sommet de 2004, pour organiser un sommet alternatif jeune pour la paix et la sécurité à Ga. Sommet qui ambitionne de faire venir L’abbé Diamacoune Senghor, et le président Pierre Buyoya à Gao, pour qu’ils parlent à la jeunesse du continent sur la nécessité de favoriser le dialogue et de faire taire les armes. Ce sommet est annulé faute d’engagement du gouvernement malien.

En avril 2006, Freddy réussit brillamment l’organisation à Lomé au Togo, d’un forum des jeunes sur la paix qui a regroupé plus de 250 jeunes de 15 pays africains dont 200 jeunes togolais de toutes les régions. C’est certainement depuis cet éclatant succès que le Président Faure Gnassingbé l’a remarqué. J’apprendrai 5 ans plus tard qu’il lui a même confié l’organisation du premier Forum national des jeunes. Depuis lors, le microcosme politique togolais ne lui est plus étranger, tout comme les portes d’autres capitales lui seront ouvertes.

Conseiller senior du Centre pour le Dialogue humanitaire, il a été de plusieurs processus de paix en Afrique. C’est donc un baroudeur dont la paix est chevillée au Cœur, qui a obtenu l’accord, encore tenu secret, qu’indépendantistes casamançais et gouvernement sénégalais viennent de parapher à Bissau. Un accord qualifié par Jeune Afrique d’un pas important vers le retour à la « paix définitive » en Casamance.

Puisse la sagesse, le talent et l’engagement de Freddy pour la paix, ainsi que l’expertise du Centre pour le Dialogue humanitaire, inspirer les autorités maliennes de la transition, à qui ils pourraient être d’une très grande utilité.

 

Paris

Makanfing Konaté

Journaliste, diplômé en sciences politiques

Source : Mali Tribune

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