Centrafricain installé à Paris, Bibi Tanga sort en mars avec son groupe son cinquième album « Now ». Dans plusieurs titres, dont Ngombe, « Les armes », il exhorte ses compatriotes à prendre leur destin en main. Bibi Tanga & The Selenites se sont fait connaître pour leur musique joyeuse, à la croisée du funk, de la soul et de l’afrobeat.
«Tout le monde sait où la Centrafrique se trouve maintenant, mais pas pour de bonnes raisons », constate Bibi Tanga entre deux répétitions. Ce grand gaillard élancé, 44 ans et une bonne humeur contagieuse, balaie les critiques sur l’intervention militaire française chez lui. « Heureusement, la France est intervenue ! répète-t-il. On peut même dire qu’elle a trop attendu… L’armée française a permis d’éviter le pire ».
Du point de vue de ce fils de diplomate, né à Bangui, il n’était pas exagéré de parler comme l’ont fait de hauts responsables français et américains de situation « pré-génocidaire » en Centrafrique. Ni de brandir, comme le président tchadien Idriss Déby, la menace d’un nouveau foyer d’islamisme. « La Seleka s’en est pris dès le mois de mars à des églises à Bangui, rappelle-t-il. Les rebelles ont instillé de la haine là où elle n’existait pas avant, en poussant les civils à se défendre en constituant des milices anti-balaka. » Pour lui, les ex-rebelles de la Seleka qui se réclament de l’Islam et se posent en défenseurs de la minorité musulmane (15 % de la population) sont des imposteurs.
« La Centrafrique est l’un des rares pays d’Afrique où tout le monde parle le sango, la langue nationale. Les familles sont mélangées entre chrétiens et musulmans depuis des années. Dans notre langue, il n’y a pas de mot pour dire « terroriste ». On parle des « ennemis de la religion ». De son point de vue, partagé par plusieurs voix de la société civile, les rebelles sont « des voyous, des bandits, des mercenaires revenus avec des armes de Libye dans le chaos qui a suivi la chute de Muammar Kadhafi ».
L’intérêt général bafoué par les politiques
Bibi Tanga parle avec affection de Bangui, une capitale autrefois paisible où il faisait bon se promener sous les arbres et pêcher son poisson dans le fleuve Oubangui. Il évoque un « peuple joyeux », malgré les « quarante dernières années de galère ». Et rappelle que les fonctionnaires n’ont qu’un souci : continuer à se rendre au travail, même quand ils ne sont pas payés. La résilience des « petites gens » a donné des phénomènes comme les bouba ngérés,des jeunes qui cassaient les prix sur les marchés dans les années 1980, en allant s’approvisionner à l’étranger et en érigeant la débrouille en mode de vie. « Il faut savoir qu’à la morgue de l’hôpital, à Bangui, quand on va chercher un parent décédé, on trouve trois cadavres dans les emplacements frigorifiques en principe réservés à une seule personne.» Tous les problèmes accumulés et un certain fatalisme ont permis aux politiques d’instrumentaliser les civils à leur guise pour entrer dans une logique de guerre. « La présence française donne la possibilité d’inverser la tendance en allant dans un cercle vertueux », estime l’artiste. La démission de Michel Djotodia s’inscrit dans cette nouvelle dynamique, mais Bibi Tanga reste sceptique sur les capacités de la classe politique centrafricaine à sortir le pays de l’ornière : « On peut dire ce qu’on veut de la responsabilité de la France ou des pays voisins dans la situation actuelle, mais tant que les politiques centrafricains ne tiendront pas compte de l’intérêt du peuple, on ne s’en sortira pas ».
Le chanteur et bassiste regrette de voir les Centrafricains d’origine tchadienne quitter le pays. «La sympathie entre les peuples a été brisée. Lors d’une tournée en Afrique, j’ai fait un concert au Tchad, où les douaniers m’ont reçu comme un frère, en me parlant un sango sans accent ». La seule chose qui compte pour lui : la paix. Ensuite, que les auteurs des exactions commises depuis mars 2013 soient traduits en justice. Un préalable à la reconstruction morale et physique d’un pays fragile.
rfi