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BÂTIMENT Pourquoi l’architecte est archi absent ?

Elément essentiel dans la chaîne de construction de l’habitat, l’architecte est très souvent « zappé » par les citoyens qui passent commande d’un logis. A quoi est dû ce désintérêt majoritaire pour l’architecture ? Enquête.  


Avouons-le. Nous sommes très probablement des dizaines de milliers de citadins maliens à avoir construit ou en train de construire nos maisons sans recourir à un architecte. « L’étape architecte ? Pour quoi faire ? Ça, c’est une idée de gens lettrés. C’est superflu ! », estiment unanimement les frères Bouramou et Mameh Makadji, copropriétaires d’un immeuble aux abords du marché de Diélibougou.

Même observation de la part de Khalilou Camara dit Taliban, propriétaire de deux alignements de magasins au marché de Banconi Plateau. « Moi, dans ma famille, on a toujours fait confiance à des tâcherons super expérimentés. Ils sont plus forts que tous vos architectes. Un tâcheron aguerri ayant de longues années de métier peut faire mieux que n’importe qui en construction. Il suffit de lui expliquer clairement ce qu’on attend de lui », argumente-t-il. Et de persister ainsi : « Hormis les promoteurs d’hôtels de luxe et les services de l’Etat, je ne vois pas l’utilité, pour des magasins, d’aller payer cher un architecte juste pour le design. »

Pourtant, contrairement à l’idée partagée par nos interlocuteurs Makadji et Camara, l’architecture ne se résume pas à un simple travail sur le design. Elle est (ou doit être) la démarche première dans la construction immobilière. C’est ce que nous ont expliqué Mohamed Coulibaly, patron du cabinet d’architecture CREA CONCEPT, et Mme Coulibaly Habibatou Bagayoko, directrice du cabinet d’architecture COLOMBE. « L’architecture est le fait de dessiner la matérialisation du besoin en espaces. L’architecte s’attelle à la conception de plans et aussi au suivi. C’est-à-dire ceci : le respect des dimensions et le contrôle de la volumétrie du bâtiment, tout cela est de la responsabilité de l’architecte », explique Mohamed Coulibaly.

Mme Coulibaly Habibatou Bagayoko, elle, nous indique que « l’architecture est l’art de penser et de matérialiser l’expression du bâtiment ». « Le rôle de l’architecte est de créer un monde d’abord artificiel puis utilitaire pour les besoins, les activités et le confort des humains et de la société », complète-t-elle.

Et pour appuyer le savoir-faire des architectes en général, M. Coulibaly insiste sur la durée de la formation académique : « La formation va de 5 à 6 ans, selon les pays. Et elle est très pratique ». Concernant les lieux de formation des architectes maliens, H. Bagayoko et M. Coulibaly donnent les mêmes réponses : « L’Algérie, le Maroc, la Tunisie, surtout. Mais aussi, de plus en plus, la Turquie, les USA et l’Europe. Avant, c’étaient les pays de l’ex-URSS et la Chine. »

En dépit de cette expertise et de la diversité des pays de formation, comment expliquer la faible sollicitation des architectes maliens sur le marché du bâtiment local ? Nos deux spécialistes apportent des détails édifiants. « La loi protège les quelques 200 architectes maliens. Ça, c’est évident, en ce sens qu’un étranger ne peut pas venir prester au Mali qu’à la condition de s’associer à un architecte malien. Le peu de sollicitations des architectes s’explique à un autre niveau… ou plutôt à deux niveaux. Un : c’est dû au fait que tout le monde veut que ce soit un architecte renommé qui fasse son travail. Du coup, les autres architectes, pourtant pétris de savoir-faire, peinent à tirer leur épingle du jeu, à cause du seul fait qu’ils n’ont pas de la notoriété. Or, être célèbre ne signifie nullement qu’on est le plus expert de tous », observe Coulibaly. Lequel se désole d’un constat : « Il y a peu de contrats pour les architectes. Certains de mes confrères peuvent faire un an ou plus sans décrocher un seul contrat. » Et d’enchaîner : « Deux : l’Etat lance des appels d’offre. Mais il faut avoir les bras longs pour en remporter. Là, malheureusement, c’est l’éternel clientélisme à la malienne qui prend toujours le dessus. Pire que tout cela, il y a également la tendance pour les services étatiques de s’affranchir de tout architecte agréé ou inscrit pour des projets de construction. Car ils se disent que maintenant il est possible de surutiliser les quelques fonctionnaires à portée de main. »

De son côté, Mme Habibatou Bagayoko note le fait que les Maliens, très majoritairement, méconnaissent « le rôle essentiel » de l’architecte dans la réalisation d’un bâtiment. « Les constructions sont pour la plupart anarchiques. C’est aussi un problème réglementaire car la législation n’est pas super contraignante de sorte à obliger les citadins à passer par un architecte avant toute construction de maison », observe-t-elle. Et de décrier elle aussi le faible nombre d’appels émanant de l’Etat : « Nous sommes à peu près 200 architectes maliens. Mais beaucoup n’arrivent pas à joindre les deux bouts parce que l’Etat ne nous propose pas de consultations massives. Loin de là. »

Pour nos deux spécialistes, une autre conséquence de la « quasi-marginalisation » des architectes est que la résistance des constructions « est fortement en cause. » Mohamed Coulibaly est catégorique. De son avis d’expert, « 90% des bâtiments au Mali sont sous-dimensionnés. » Traduction : « Les normes de résistance ne sont pas respectées », alerte-t-il. « D’autant plus, confie-t-il, que certains architectes, pour tirer le maximum de profits d’un contrat, joue un triple rôle en même temps : ils endossent les habits de géologue, d’ingénieur et d’électricien à la fois. Car, ils se disent ceci : plutôt que d’associer ces autres experts dont la mission est tout aussi nécessaire ; moi, architecte, ayant eu une formation accessoire dans toutes les spécialités liées au bâtiment, je joue ce triple rôle, ainsi je gagne plus. »

« Défaut de normes », c’est ce que pointe aussi du doigt Habibatou Bagayoko. « En zappant les architectes dans le processus de construction, les dangers sont multiples. Et ces dangers sont omniprésents dans chaque grande ville malienne. Il y a les risques de malfaçons dans la réalisation des travaux. Il y a les risques relatifs à l’usage de matériaux qui ne sont pas normés. Ce qui, forcément, engendre les risques élevés d’effondrement des édifices. »

MOHAMED MEBA TEMBELY

 

Source: Journal les Échos- Mali

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