Un « ami du Mali » s’en va. Bart Ouvry, Ambassadeur de l’Union Européenne depuis 2019 dans le pays, est en fin de mission. Le Belge quitte un pays, dit-il, d’une « grande culture d’accueil et de générosité », où il a durant quatre ans été « attentif » aux aspirations de ses citoyens.
Vous êtes arrivé au Mali une année après la réélection d’IBK, qui a été marquée par une crise postélectorale. Plus tard, la situation du pays a empiré, avec les contestations du mouvement M5-RFP et les deux coups d’État qui les ont suivies. Comment avez-vous vécu ces évènements ?
Je les ai vécus de près en tant qu’observateur politique. Et je peux témoigner de la dernière année sous le Président IBK. Ça a été certainement une année difficile pour les Maliens, une année difficile pour nous aussi, communauté internationale, parce qu’il faut avouer qu’outre les contestations la situation sécuritaire posait aussi problème. Durant ces années, on a assisté à des attaques contre les FAMa, les membres des Forces de sécurité, parfois des fonctionnaires, mais aussi des représentants de la communauté internationale, qui ont causé beaucoup de difficultés au Mali. Nous avons condamné les coups d’État, mais, en nous rendant compte de la crise profonde que traversait le pays, que traverse toute la région du Sahel, nous avons continué notre collaboration.
Depuis le deuxième coup d’État et l’arrivée du Colonel Assimi Goïta au pouvoir, le pays s’est beaucoup tourné vers la Russie. Ne pensez-vous pas que cela est en partie dû à la teneur des relations entre l’UE et le Mali ?
Ce qui pour nous Européens est important, c’est de nous poser des questions sur l’efficacité de notre action. Je crois qu’il y a eu une grande impatience de la part des Maliens sur la résolution d’une situation qui, depuis 10 ans, suscite beaucoup de problèmes. C’est vrai qu’il y a lieu de se poser des questions de notre côté. Par exemple, est-ce qu’on aurait pu faire autrement dans la gestion de cet aspect ? L’une de mes réponses est probablement que nous n’avons pas suffisamment eu une pensée sur la durée. Les solutions aux problèmes ne se trouvent pas en six mois ou un an.
Mais, pour cela, à présent, pour moi, l’une des solutions est d’aller aux élections. Ce qui aura l’avantage qu’un prochain gouvernement, si les élections se passent bien, aura un mandat sur cinq ans. Cela permettra de réfléchir à des réponses structurelles, de longue durée, qui vont répondre aux enjeux. Mais c’est un questionnement légitime que vous faites. Peut-être que dans le passé nous avons été aussi trop impatients, nous Européens.
Vous avez une grande expertise en matière de communication, pour avoir été de 2008 à 2011 Porte-parole du ministère des Affaires étrangères belge. Comment évaluez-vous la communication des autorités de la Transition du Mali ? Pensez-vous que les pays européens comprennent leurs activités ? Qu’est-ce qui pourrait être amélioré ?
C’est un souci constant pour nous diplomates : expliquer à nos capitales ce qui se passe ici. Moi, dans ma communication, dans mon rapportage, j’ai toujours voulu bien faire comprendre la profondeur de la crise. La crise que vit le Mali est une crise sociétale. Et donc la réponse qui doit être donnée à cette crise ne doit pas être uniquement sécuritaire. Il faut une réponse qui permettra d’améliorer les conditions de vie des populations et le retour des services de l’État sur l’ensemble du territoire malien. Par exemple, que ce soit au Nord ou au Centre, et même au Sud du Mali, la qualité de l’enseignement est insuffisante. Au niveau des services de base, tels que la santé, il y a aussi des insuffisances. Là, notre effort est d’avoir une action effective sur le terrain pour ramener ces services à niveau. Je crois que ce message est bien compris. C’est vrai qu’aujourd’hui la Transition prend des positions qui sont parfois très difficile à admettre pour nos autorités. Par exemple, le dernier vote sur l’Ukraine, où le Mali a voté en faveur de la Russie. Je ne cache pas que cela est très mal compris de notre côté. Je n’ai pas de conseils à donner aux autorités de la Transition, mais certainement il faut un dialogue diplomatique. Moi je continue à plaider de part et d’autre pour qu’il y ait toujours des échanges diplomatiques et une coopération entre le Mali et l’UE. J’essaie toujours d’amener des collègues ici, à Bamako, et je crois qu’il est important que les Maliens fassent aussi l’effort de se rendre dans nos capitales pour expliquer leurs positions sur différents dossiers.
Quelle est actuellement la posture de l’UE à l’égard de la Transition malienne ?
Aujourd’hui, nous tenons beaucoup à maintenir notre action au profit des Maliens. Nous voulons rester aux côtés des Maliens, nous reconnaissons la profondeur de la crise et la nécessité d’y apporter une action concrète pour justement éviter la déstabilisation du pays. Cela est au cœur de notre position. Nous maintenons le dialogue, nous maintenons notre appui aux Maliens et, au final, nous espérons beaucoup que la Transition pourra respecter le calendrier convenu. Ainsi, on aboutira à des élections dont la principale, la présidentielle, est annoncée pour l’année prochaine.
Quels sont les projets-phares que l’UE a menés au Mali depuis votre venue et les perspectives ?
Je préfère surtout parler de nos projets en perspective pour 2023. Nous avons déjà mené une consultation très large avec des services de l’État sur notre programmation. Elle porte sur les questions de l’Environnement. C’est le projet de Grande Muraille Verte qui est très important pour un pays tel que le Mali, qui a une partie de son territoire dans le Sahara. Il faut éviter la désertification. C’est un engagement très important de part et d’autre que nous voulons mettre en œuvre en 2023. Et puis il y a également la problématique de l’enseignement, de la formation et le renforcement du secteur privé. Si on veut répondre au grand enjeu qu’est l’accès à l’emploi au Mali, car chaque année, il y a des milliers de jeunes Maliens qui viennent sur le marché du travail, il faut absolument donner une réponse aux aspirations de ces jeunes, qui veulent soit trouver un emploi, soit créer une activité professionnelle. Et là nous croyons que l’amélioration de la qualité de l’éducation, de l’offre de formation et le renforcement du secteur privé sont importants. Sur ces aspects, nous sommes en consultation avec nos partenaires maliens pour apporter des solutions. Globalement, c’est un budget d’à peu près 100 milliards de francs CFA. Outre cela, nous allons aussi maintenir notre action de coopération sur des bases régionales et thématiques telles que la question de la gestion des frontières, sur laquelle nous voulons maintenir notre coopération avec l’État malien.
Le référendum prévu pour le 19 mars a été reporté sine die le 10 mars dernier. Avez-vous des craintes quant à un retour à l’ordre constitutionnel comme prévu en février 2024 ?
Je crois que c’est un engagement très clair de la Transition, même si un report pour quelques mois peut être compréhensible. J’ai bonne confiance que les autorités de la Transition vont tenir leurs engagements.
Si les élections devaient se tenir, quel serait le soutien de l’Union européenne au processus électoral?
Il y a un fonds, le Programme des Nations Unies pour le Développement, qui centralise toutes les contributions. Nous avons déjà versé notre contribution, qui est de l’ordre de 10 milliards de francs CFA. Elle devrait contribuer à l’organisation des différents scrutins au Mali.
Depuis 2015, l’Accord pour la paix et la réconciliation tarde toujours à être mis en œuvre. Et son processus est bloqué depuis près de quatre mois. Quel avenir voyez-vous à cet Accord dans le contexte actuel ?
Le Cadre créé par l’Accord est toujours là. Nous continuons notre engagement avec l’Algérie, les Nations unies et les autres membres de la médiation pour permettre à toutes les parties prenantes de revenir à la table. Nous venons récemment d’offrir un cadre de propositions qui devrait permettre à toutes les parties prenantes de revenir. C’est la seule solution. L’autre alternative c’est la violence et ce n’est pas une alternative crédible. Nous voulons absolument que les parties prenantes trouvent des solutions sans violence. Nous, nous ne nous sommes pas là pour prescrire des solutions. Nous ne pouvons qu’amener les deux parties à la table de discussion et c’est à elles de se mettre d’accord sur les solutions et les mettre en œuvre. Nous espérons que ce sera pour bientôt.
Est-ce qu’il vous a été souvent difficile de manœuvrer, avec les impératifs de Bruxelles vis-à-vis du Mali et la Transition ?
J’ai toujours eu des relations très courtoises, très positives, avec les Maliens. Nous n’avons pas tellement d’instructions de Bruxelles. On nous demande de faire l’analyse, de coordonner avec nos États membres et chercher des solutions. Depuis que je suis là, j’ai toujours cherché à être à l’écoute des autorités maliennes. Mais aussi et surtout à l’écoute de la société civile (les jeunes, les associations de femmes) et des partis politiques. Notre rôle, je le rappelle, n’est pas de prescrire, mais de faire partie de la solution. Et d’offrir un cadre de la médiation pour trouver des solutions aux problèmes. Nous n’avons pas la capacité de trouver des solutions à la place des Maliens. Ce sont les Maliens qui doivent trouver un cadre politique pour sortir de la crise actuelle. Et cette crise, elle est profonde. Je crois que tout le monde le sait. C’est une crise sociétale, comme je le disais tantôt. Si on veut contribuer au développement du pays, il faut absolument renforcer l’enseignement. Je ne connais pas un seul Malien qui conteste la crise actuelle de l’enseignement. D’ailleurs, j’ai eu un entretien il y a quelques jours avec la ministre de l’Éducation et nous travaillons ensemble là-dessus.
Quel souvenir garderez-vous du Mali ?
J’ai vécu ici avec mon épouse, qui m’a accompagné tout au long de ce périple de quatre ans. Je garde beaucoup de souvenirs des rencontres avec les Maliens. C’est mon troisième pays africain et c’est probablement celui qui, en termes de richesse culturelle, a le plus de profondeur, parce qu’il a une tradition culturelle millénaire et très riche. Ça m’a beaucoup marqué. Et puis le Malien est quelqu’un qui a une grande culture d’accueil et de générosité envers l’étranger. J’ai beaucoup profité de cela. C’est pourquoi j’ai toujours tenu à communiquer sur tout ce qui va bien dans le pays, sur son potentiel par exemple en matière de beautés naturelles et de richesse de sa culture. C’est une manière de rappeler aux Maliens, qui parfois sont confrontés dans leur quotidien à d’énormes problèmes, que leur pays regorge de potentialités. Au quotidien on a tendance à beaucoup se focaliser sur les problèmes, mais il ne faut pas oublier tout ce qu’il a de bien dans le pays.
Source : Journal du Mali