Présente à Ménaka depuis plus d’un an pour lutter contre les groupes armés terroristes, la force Barkhane représente, dans cette région stratégique, une arme redoutable. Ses actions sur le terrain, en partenariat avec les FAMAs, la Minusma, les forces de sécurité et certains groupes armés, ont permis d’instaurer depuis quelques mois une relative accalmie dans la ville. Immersion avec une force qui mise parallèlement sur des actions de développement pour un retour à la normale.
Ménaka. 23 février. Il est 16 heures quand l’avion se pose sur une piste en latérite, à une centaine de mètres du super camp de la Minusma, qui abrite les forces armées maliennes et la base opérationnelle avancée de la force Barkhane. Un vent poussiéreux souffle sur toute la zone. Un camion de Barkhane pour le transport de l’équipage est déjà stationné, sécurisé à 360° par des véhicules blindés légers. Le convoi pénètre quelques minutes après dans la base de Barkhane, dont la voie d’accès passe par la Minusma. De véritables fortifications se présentent sous nos yeux. Des postes de défense, des BRDM, des véhicules blindés, des avions, des militaires armés sont installés dans cette zone, soigneusement épargnée des regards indiscrets.
À l’intérieur de la base, l’ambiance est particulière. Des tentes en bâches sont dressées, des douches et toilettes de campagne aussi. À quelques mètres, le drapeau de la France flotte à côté de celui du Mali. « Bienvenue sur le camp français de Ménaka. C’est assez exceptionnel d’accueillir autant des journalistes sur une base militaire, donc nous sommes forcément obligés de respecter certaines consignes de sécurité », explique le lieutenant Léopold, officier de presse. Au même moment, un hélicoptère survole de camp. C’est dans ce labyrinthe que se préparent les opérations communes et les patrouilles, souvent avec les forces armées maliennes ou avec la Minusma. Mais aussi des opérations d’envergure contre les groupes armés terroristes (GAT). Une vie rustique, dans un environnement aux aléas difficiles. Déjà, le soleil rougeâtre cède la place à l’obscurité.
L’éternel combat pour la sécurité
À Ménaka ou Minika (Où allons-nous en tamasheq), la force Barkhane entretient un partenariat solide avec les forces armées maliennes. Les deux armées mènent régulièrement des patrouilles communes dans la ville. Dimanche 24 février. Alors que la nuit a été froide, les premiers rayons du soleil annoncent le début d’une journée de forte chaleur. Sur la base de Barkhane, le dispositif se met en place pour une patrouille commune avec les FAMAs dans Ménaka. Le convoi se met en marche et quelques instants après, toujours à l’intérieur du super camp, deux pick-up des Famas, équipés d’armes lourdes, rejoignent le cortège. Au dehors, un premier arrêt au commissariat de police de la ville, de l’autre côté de la route nationale. Les bâtiments avaient été occupés suite à la rébellion de 2012 par des groupes armés. Rénovés par la Minusma, ils sont redevenus opérationnels en décembre 2017, avec un effectif d’une vingtaine d’éléments. Selon le capitaine Alhousseyni Ag Annaib, chef du commissariat, la conjoncture sécuritaire s’est améliorée depuis, même si les défis sont considérables. « Il y a du calme aujourd’hui. La situation sécuritaire à Ménaka n’est pas seulement d’ordre terroriste, elle est mise à mal surtout par les conflits intercommunautaires », souligne-t-il. « Nous avons obtenu la participation des groupes armés, qui montre leur volonté d’aller vers la paix. Cette dynamique fait qu’avec les FAMAs et les forces étrangères, ils patrouillent ensemble pour sécuriser les populations, d’où une certaine tranquillité », ajoute-t-il. L’établissement bénéficie, outre de l’appui de la MINUSMA, de celui de la force antiterroriste. « Barkhane nous a installé des postes de combat sur le toit et dans les alentours, mais aussi des fils barbelés. Nous avons mis en place avec les FAMA, Barkhane et la Minusma un poste de coordination d’opérations tactiques, ici au commissariat », se réjouit le capitaine, avant d’ajouter « sans la France nous n’en serions pas là ». Il reste cependant que l’action de ces forces de sécurité intérieures est très limitée dans une ville où tout le monde peut s’arroger le droit de porter des armes. Il déplore l’insuffisance des moyens humains et matériels. « La police ici, est militaire et donc nous avons besoin de moyens militaires. Quand on va attaquer le commissariat avec des moyens militaires, ce n’est pas avec du gaz lacrymogènes que nous allons pouvoir nous défendre », argumente sereinement le chef de la police judiciaire.
En plus de son appui aux forces de sécurité, c’est véritablement avec les forces de défense que Barkhane collabore de façon quotidienne. « Nous faisons des patrouilles avec Barkhane, mais aussi avec la Minusma et les groupes signataires de l’Accord, comme le GATIA et le MSA », témoigne le sergent Aboubacar Traoré, chef de l’équipe en patrouille des Famas.
En visite à Ménaka le 25 février, le commandant de la force Barkhane, le Général Fréderic Blachon, a rappelé tout son intérêt pour la région. « Tout commence par la sécurité. En venant ici, c’est l’occasion pour moi de vous montrer à combien la force Barkhane estime essentielle la sécurité de cette ville. Ce que je suis en train de faire en ce moment, au côté d’un gouverneur, je le fais peu, et peut être pour la seule et unique fois au cours de mon mandat », affirme-t-il. « En 2018, nous avons pu neutraliser pas mal de terroristes. Nous leurs avons porté des coups et repoussé la menace. Mais nous savons que l’ennemi peut toujours faire du mal, même si c’est sans commune mesure avec la situation d’il y a deux ans », ajoute avec verve le commandant. Alors que les Famas s’installent à Anderanboukane, le patron de la plus importante opération militaire extérieure française rassure. « Nous avons bien l’intention de continuer à nous investir. Nous resterons le temps nécessaire à Ménaka, jusqu’à ce que le relais puisse être un jour pris complètement par les FAMAs », affirme-t-il. Parlant des rapports de Barkhane avec les mouvements présents sur le terrain, comme la Plateforme, la CMA et le MSA, le général fait le point. « Barkhane entretient entre avec l’ensemble des groupes signataires une impartialité totale. Il y a des groupes signataires qui sont plus engagés aux côtés du gouverneur et, par la force des choses, ce sont bien ceux-là qui bénéficient de plus de soutien », précise-t-il, avant d’ajouter : « ceux qui payent le prix du sang contre le terrorisme ont à un moment donné plus de légitimité, qu’on le veuille ou non », avance-t-il, faisant référence notamment au GATIA et au MSA.
Quelques minutes après, comme elle le fait le plus souvent, la patrouille commune s’engouffre dans la ville, au nord-ouest. Les enfants dans les rues, au passage des véhicules, lèvent une main en guise de salutation aux soldats. Une présence militaire qu’ils ont finie par intégrer, dans cette ville où le bruit des armes n’effraie plus. Sur certains murs figure encore le nom de la discorde : Azawad.
Arrivée Place de l’indépendance, adjacente à la mairie, la patrouille s’immobilise, puis commence une progression à pied vers le principal marché moderne de la ville. Des commerçants détaillants exposent leurs produits variés dans cet espace public. Mais c’est au marché que se concentre l’essentiel des articles, des céréales, des habits, des condiments, avec toujours une ambiance animée. Ceux qu’on appelle là-bas en tamasheq les « Ikoufar » (les Blancs, les Occidentaux, les non musulmans en général), suscitent malgré tout la méfiance de certaines personnes. « Je n’ai rien contre eux, mais je sais que les gens s’en méfient ici », confie un habitant de la ville, sous anonymat. Par contre, l’Imam de la mosquée du premier quartier se dit satisfait de leur présence. « Ils ne nous dérangent pas. Ce sont seulement ceux qui n’ont pas confiance en eux qui n’apprécient pas leur présence ici », se démarque Ibrahim Souley Maiga.
Opérations séduction
Force militaire par excellence, Barkhane s’investit aussi depuis quelques mois dans des actions civilo-militaires en faveur des populations de Ménaka. « Nous sommes là pour rassurer la population et faire en sorte que le développement puisse se poursuivre, et même reprendre parfois dans certaines régions. Il n’y a pas de développement sans sécurité, ni de sécurité sans développement », dit le colonel Gabriel, commandant du groupement tactique numéro 2 de la force. Pour manifester cette volonté, Barkhane a signé un contrat avec le Groupement entreprise commerce général dans le cadre de la gestion des déchets du 1er quartier. Un incinérateur a été installé pour permettre à l’association des femmes de trier les déchets de Barkhane, qu’elles récupèrent, brûlant ce qui est inutile. D’un coût de 22 millions de francs CFA, il permettra dès le 1er mars à 110 familles de bénéficier de ses retombées, en vendant les bidons et contenants en aluminium récupérés jusqu’au Niger voisin. « Barkhane nous a aidé à obtenir le projet. C’est un atout, parce qu’il n’était pas destiné à l’origine à Ménaka », souligne l’entrepreneur Moussa Ismaguel.
De l’autre côté de la ville, dans le lit de la mare d’Izgaret, au troisième quartier, la force Barkhane a également doté les maraichers d’un puits à grand diamètre d’une valeur de 5 millions de francs CFA. Mais, mal conçu, il a été endommagé avant de recevoir un autre financement de Barkhane. « Je cultive de la betterave, de la salade, du choux et des épices variées. Je les vends à bas prix à ces femmes là-bas, qui, elles, les revendent au marché avec un peu de bénéfice », signale le jardinier Abdoulaye Mohamed. « Vu que nous n’avons pas d’activités, à cause de la crise, nous faisons ce travail », note-t-il avec amertume. Ces initiatives d’aide à la population sont mises à profit par la force pour échanger avec elle et recenser certaines de ses préoccupations. C’est dans ce cadre qu’elle a fourni en juillet 2018, dans l’ouest de la ville, au quartier Abattoir, un château d’eau. D’une capacité de 50 barriques, sa réalisation a coûté 22,6 millions de francs Cfa à Barkhane. Plus de 120 familles bénéficient désormais de cette source, rare, d’eau potable, grâce à cinq bornes fontaines installées dans le quartier. Devant le domicile du chef de quartier, président de l’entreprise Bellakoni, une borne fontaine. Des dizaines de bidons sont rangés devant.
Duo sécurité – développement
Si la sécurité de la ville et de la région en général est une préoccupation majeure, le développement demeure le socle de la stabilité. « La création d’un cadre de concertation de tous les acteurs présents à Ménaka a permis de conjuguer nos efforts, Famas plus groupes armés, de patrouiller à l’intérieur de la ville, mais, également, les patrouilles Famas – Barkhane – Minusma ont réduit largement l’insécurité à Ménaka et dans ses alentours », rapporte Daouda Maiga, le gouverneur de la région. Pour soutenir les actions de sécurisation, il mise sur des projets de développement colossaux, en plus des actions des ONG présentes. « Nous avons lancé il y a quelques jours le Programme de développement de la région de Ménaka, pour presque 1,5 milliard de francs CFA, sur financement de l’Agence française de développement (AFD), pour un an. (…) On lutte contre l’insécurité et on installe le développement, qui est l’une des mamelles de la stabilité », affirme le gouverneur.
Pour sa part, le Comanfor (Commandant de la force) prévoit de revenir au printemps avec le conseiller en développement de l’AFD. « Nous, notre domaine, c’est la sécurité. Mais le constat est fait depuis fort longtemps qu’il n’y a pas de développement sans sécurité. Nous sommes donc ceux qui vont créer les conditions pour cela », résume le Général Blachon.
Journal du mali