Invité sur un plateau de la télévision nationale le 15 janvier, le Premier ministre malien Choguel Maïga n’y est pas allé avec le dos de la cuillère pour décrier les rapports en demi-teinte de son pays avec la France.
Et sur certaines questions, il s’est montré catégorique: “Nous voulons relire les accords déséquilibrés qui font de nous un État qui ne peut même pas survoler son territoire sans autorisation de la France. Cela fait partie des raisons pour lesquelles la France monte le monde contre nous”, a-t-il annoncé.
“Nous avons reçu une telle demande, nous l’examinerons”, a déclaré à Sputnik un responsable du ministère français des Affaires étrangères lors d’un point presse le 18 janvier, confirmant ainsi que son pays a effectivement reçu une demande du Mali de renégociation des accords bilatéraux de défense.
Le principal objectif du traité de coopération militaire signé le 16 juillet 2014 par les ministres de la Défense français et malien est d’aider le Mali à reconstruire son armée, notamment en ce qui concerne l’organisation, l’équipement et l’entraînement des militaires.
Selon Emmanuel Desfourneaux, directeur de l’Institut afro-européen de Paris interrogé par Sputnik, la demande de révision souhaitée par Bamako “sonne comme un coup de semonce”.
“C’est une réponse du berger à la bergère. Le bras de fer se poursuit entre Bamako et Paris, et tout particulièrement entre Assimi Goïta et Emmanuel Macron. La France était acculée après les deux coups d’État au Mali, elle a tenté de porter un coup fatal à la junte militaire. La CEDEAO lui a servi de prétexte pour tenter d’éliminer les autorités de la transition. Dès le lendemain des récentes sanctions de la CEDEAO, l’État français a présenté un projet aux Nations unies pour enfoncer le clou”, a-t-il déclaré.
Ce politologue fait par ailleurs observer que “les autorités transitoires maliennes n’ont pas dénoncé le traité de défense [n’ont pas unilatéralement déclaré ne plus y être tenu, ndlr]”. “Nous sommes donc dans une phase d’escalade maîtrisée. Chacun use de ses pouvoirs de nuisance contre l’autre, tout en évitant la décision fatale de rupture”, souligne-t-il.
Un “cadeau empoisonné”
Selon l’article 26 du traité de coopération de défense, comme l’indique Emmanuel Desfourneaux, la France doit donner son accord pour que les amendements souhaités par la partie malienne, dont la teneur demeure encore inconnue, entrent en vigueur.
“La balle est dans le camp de la France. Cela dit, cette demande de révision est pour elle un cadeau empoisonné. C’est une contre-mesure qui la place dans une situation délicate. En cas de refus, les autorités maliennes ne manqueront pas de fustiger le non-respect de leur souveraineté, en particulier par le survol de leur territoire d’aéronefs étrangers non autorisés, comme ce fut le cas ces derniers jours”, a-t-il poursuivi.
En effet, le gouvernement malien a dénoncé le 12 janvier la violation de son espace aérien par un avion français ayant effectué, la veille, une liaison Abidjan-Go-Abidjan. De son côté, l’armée française a soutenu jouir d’une pleine liberté de circulation sur le territoire et dans l’espace aérien malien, en vertu des accords qui lient Bamako et Paris.
Communiqué du gouvernement suite à la violation de l’espace aérien de la République du Mali par un aéronef de l’armée française hier 11 janvier 2022!
Emmanuel Desfourneaux estime qu’il y a peu de chances pour que la France consente aux amendements voulus par le Mali. “Tout au plus, elle fera remarquer que le traité respecte à bien des égards la souveraineté de l’État malien. Et qu’en l’espèce, l’incident [du 11 janvier, ndlr] ne viole ni le traité de coopération ni la souveraineté du Mali”, ajoute-t-il.
“Reprendre la main au Mali”
Pour Emmanuel Desfourneaux, “il est incontestable que la France veut pouvoir reprendre la main au Mali comme dans la sous-région et qu’Emmanuel Macron espère de nouvelles élections avec l’arrivée d’hommes politiques nouveaux beaucoup plus ouverts à la politique africaine de la France”.
“La France espère de meilleurs lendemains. Elle compte beaucoup à court terme sur les effets des sanctions de la CEDEAO. Si les sanctions de cette organisation ont été si dures, c’est pour qu’elles produisent des effets rapides et mettent en porte-à-faux les autorités transitoires par rapport à la population”, analyse-t-il.
Des tensions qui perdurent
La brouille diplomatique entre Bamako et Paris reste vive, depuis que les autorités maliennes ont accusé la France, dont les soldats au Sahel vont passer en 2022 de plus de 5.000 à 3.000, d’”abandon en plein vol”, avant d’exprimer ouvertement leur souhait, courant 2021, de recourir à de nouveaux partenaires dans la lutte contre les groupes terroristes.
Diversification de partenariats militaires, le premier ministre Malien Choguel Kokalla Maïga donne des raisons. pic.twitter.com/WaptnKCm01
— Fenelon MASSALA (@rfemassala) September 18, 2021
Lors de son intervention du 15 janvier à la télévision nationale, le Premier ministre Choguel Maïga a dressé un bilan pour le moins mitigé de la présence militaire française dans son pays qui, du reste, conforte les autorités maliennes dans leur choix. “L’opération Serval avait trois objectifs clairs énoncés par la France: détruire le terrorisme, aider à restaurer l’intégrité du territoire malien, appliquer les résolutions des Nations unies. Neuf ans après, le terrorisme a quitté l’extrême nord pour se répandre dans 80% du pays, l’intégrité du territoire n’est pas encore rétablie, quant aux résolutions des Nations unies, elles changent chaque année au point que nous nous sommes récemment opposés à une nouvelle résolution”, a-t-il déclaré.
Le Mali répond sans ambages aux Occidentaux sur la présence de mercenaires russes