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Avec la fin de Barkhane, le chef djihadiste malien Iyad Ag Ghali croit en sa victoire

Il ne s’était pas exprimé depuis novembre 2019. Dans un message audio, Iyad Ag Ghali, chef touareg du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, principal groupe armée djihadiste dans le nord du Mali, s’en est à nouveau pris à la France. La fin de l’opération Barkhane constitue selon le chef terroriste un encouragement à poursuivre la lutte. Le rapport de force a t-il changé au Sahel en faveur de ces groupes armés ? Réponses de Isselmou Ould Salihi, journaliste, spécialiste des groupes djihadistes sahéliens. Entretien.

TV5MONDE : Iyad Ag Ghali ne s’était pas exprimé depuis le mois de novembre 2019. Pourquoi maintenant ?

Isselmou Ould Salihi​ : Beaucoup de choses ont changé sur le terrain. Les Français ont annoncé le retrait d’une grande partie de leurs hommes. C’est la fin de l’opération Barkhane (NDLR : opération militaire française dans le sahel, mobilisant plus de 5200 hommes. Le président français Emmanuel Macron a annoncé la fin de l’opération Barkhane le 10 juin dernier). La donne politique au Mali a changé (NDLR : un nouvel exécutif a été formé, dominé par les militaires dont le président le colonel Assimi Goïta). Ce nouveau pouvoir malien a même dialogué avec certains groupes armés djihadistes.

Ce message est un discours de mobilisation. Iyad Ag Ghali à ses hommes que son camp est en train de l’emporter. Ainsi, les Français sont en train de partir.

Dans ce contexte, il affirme que maintenant il faut traiter avec les groupes armés djihadistes. Iyad Ag Ghali s’adresse à sa base et à ses hommes. Il leur dit : ” Nous sommes en train de l’emporter. Les Français partent. Notre persévérance a payé”. C’est un discours de mobilisation. Selon lui, la victoire est proche. Et il le fait dans un style que l’on retrouve chez les grands chefs djihadistes par le biais d’un message audio à tous les combattants comme pouvait le faire Oussama Ben Laden, chef d’Al Quaida.

TV5MONDE : Iyad Ag Ghali affirme que son camp est en train de l’emporter sur le terrain. Quelle est la réalité de cette affirmation ?

Isselmou Ould Salihi​ : Iyad Ag Ghali dit très clairement que les Français se retirent parce qu’ils n’ont pas rempli leurs objectifs. Et pour cela il dresse un parallèle avec l’Afghanistan. Les Américains se sont retirés au bout de 20 ans de présence et les talibans sont en train de l’emporter sur le terrain. Les Français sont en train de réduire leur présence militaire au Mali et au Sahel au bout de huit ans. Iyad Ag Ghali dit à ses troupes : “Notre heure est venue” comme celle des talibans. La situation en Afghanistan revient souvent dans ce discours et constitue un encouragement selon lui

TV5MONDE : Iyad Ag Ghali, dans ce message, s’adresse également aux mouvements Azawad leur demandant de rejoindre le djihad (NDLR : l’Azawad regroupe un territoire du nord du Mali dont les Touaregs réclament l’indépendance. Par extension l’Azawad se confond avec les revendications d’indépendance des Touaregs ). Peut-il y arriver avec le départ des Français ?

Isselmou Ould Salihi : Ce message a un double sens. Le premier est de dire à l’ensemble des Maliens que la démocratie n’est pas un modèle capable de fonctionner pour le Mali. La démocratie, selon Iyad Ag Ghali est un modèle importé. Dans la démocratie, beaucoup de valeurs, selon lui, ne sont pas conformes à la charia. Et cette charia, selon lui, doit s’appliquer à l’ensemble du territoire malien.

On trouve aussi effectivement un discours tourné vers les groupes politiques et militaires qui ont signé des accords politiques avec Bamako (NDLR : L’accord d’Alger, officiellement dénommé Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, est un accord visant à mettre fin à la Guerre du Mali, signé le 15 mai et 20 juin 2015 à Bamako — après des négociations menées à Alger — entre la République du Mali et la Coordination des mouvements de l’Azawad ).

Il dit à ses groupes qui ont signé des accords : “Ne comptez pas sur la démocratie malienne pour vous libérer. La libération, la prise en compte de vos revendications, passera par le djihad”.

TV5MONDE : Ce discours porte-t-il auprès de ces populations en opposition au pouvoir central ? Au Burkina Faso et au sud du Mali, des groupes armés ont épousé la cause des Peuls, populations nomades marginalisées.

Isselmou Ould Salihi : Ces groupes armés djihadistes sont dans une logique de capitalisation de ces conflits intercommunautaires. Maintenant, ces derniers temps les populations se sont révoltées contres ces groupes armés prônant le djihad. Ce sont des groupes qui pratiquent l’extorsion de fonds avec la zakât. Ce sont des groupes qui imposent un mode de vie aux populations. Les djihadistes ne font aucune réalisation
économique capable d’aider les population locales.

Ces groupes armés se positionnent dans des logiques de révolution et de contestation. Ce ne sont pas des gens qui sont dans la construction d’un État moderne. Cela ne suffit pas pour ces populations. Ces groupes armés tiennent un discours très centré sur la présence de troupes étrangères qualifiés de croisés. Lorsque ces chefs djihadistes ne pourront plus invoquer la présence française pour justifier leurs actions, il sera bien compliqué pour eux de trouver d’autres arguments.

TV5MONDE : On trouve donc un gouffre entre les désirs de Iyad Ag Ghali et les aspirations des populations des pays du G5 Sahel.

Isselmou Ould Salihi : Les mouvements Azawad n’iront pas rejoindre, à mon sens, le camp djihadiste. Ce sont des mouvements laïcs. Les populations des pays du G5 Sahel ne sont pas plus forcément disposées à suivre ces groupes armées djihadistes. Ces populations pratiquent un islam sunnite, de rite malékite. Cet islam n’est pas radical. Elles pratiquent un islam ouvert qui donne une place importante aux libertés collectives et individuelles et aux femmes. Cet islam n’a rien à voir avec l’islam wahabite de ces groupes.

Le départ de Barkhane peut-t-il changer le rapport de force? Peut-on assister à une reproduction de ce qui s ‘est passé en 2013 avec une nouvelle offensive djihadiste ?

C’est grâce à l’ancêtre de Barkhane, Serval, que les villes du centre du Mali n’ont pas été occupées et que les villes du nord ont été libérées. Les opérations Serval puis Barkhane ont déstructuré la mouvance djihadiste. Cette mouvance a cependant repris son souffle. Les forces djihadistes ont profité de certaines réalités que Barkhane ne peut pas contrôler comme la constitution ou l’absence de présence d’un État moderne dans certaines parties du Mali.

On dit que Barkhane a échoué. Ce n’est pas le cas à mon sens. Des leaders djihadistes comme Mokhtar Belmokhtar (NDLR : premier chef d’AQMI, présumé mort depuis novembre 2016, éliminé par les Français). Des villes ont été sanctuarisées et libérés.

Les Français, dans ce contexte, ont sans doute tiré des enseignements de ce qui s’est passé pour les Américains en Afghanistan et qui sont restés 20 ans dans le pays.

Iyad Ag Ghali souligne l’impasse politique de la présence française au Mali. Les Français en 2013 ont sauvé un gouvernement malien putschiste pour quitter le Mali avec un exécutif dominé par les militaires. Ce discours porte-il ?

Isselmou Ould Salihi : Il y a eu à un moment un vrai sentiment anti-français qui n’était pas forcément d’ailleurs nourri par les groupes djihadistes. Il y a une forme d’impatience face aux attentats dans les villes alors que les Français sont présents militairement depuis huit ans dans la région.

Je le répète ! Barkhane n’a pas échoué car les solutions pour sortir de ce conflit ne sont pas militaires. Les solutions sont politiques. La sortie du conflit passe par une gouvernance acceptée. Cela passe par des populations responsabilisées dans la politique de développement. C’est comme cela, par ce type de dialogue, que l’on a vu des conflits se résorber en Amérique latine par exemple.

Des accords politiques existent déjà entre mouvements. Ils ont été signés entre des mouvements l’Azawad et Bamako en 2015 à Alger. Il faut qu’ils soient appliqués sur le terrain.

Iyad Ag Ghali se voit-il comme un leader des autres groupes armés djihadistes au Sahel ?

Isselmou Ould Salihi : C’est difficile à dire. Il est assez âgé. Il a 58 ans et la question de sa succession n’a pas été tranchée dans son mouvement. Les attaques djihadistes se sont surtout concentrées au sud du Mali, dans la zone des trois frontières entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso. La zone où il opère, celle du nord Mali, est moins victimes d’attaques.

Source : TV5MONDE

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