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Avant-projet de constitution au Mali : Les Syndicats de magistrats regrettent que les réformes proposées annoncent un grave recul de l’Etat de droit

Hier, jeudi 27 octobre 2022, le Syndicat autonome de la Magistrature (SAM) et le Syndicat libre de la Magistrature (SYLIMA) ont rendu public leur position commune par rapport à l’avant-projet de constitution publié par le gouvernement malien, le 12 octobre dernier. Dans leur document de 4 pages, les Syndicats de magistrats regrettent que les réformes proposées annoncent un grave recul de l’Etat de droit. «Toute velléité d’affaiblir l’institution judiciaire participe de la liquidation des acquis démocratiques dans notre pays… L’effritement de la gouvernance, sous la 3ème République, est essentiellement tributaire de la prédominance de l’Exécutif sur les autres Pouvoirs… A défaut de renforcer davantage le Pouvoir Judiciaire, le SAM et le SYLIMA estiment que le maintien du statuquo éviterait une nouvelle crise », révèle le document des Magistrats. Lisez ci-dessous l’intégralité du texte des syndicats de magistrats !

SYNDICAT AUTONOME DE LA MAGISTRATURE (SAM)

SYNDICAT LIBRE DE LA MAGISTRATURE (SYLIMA)

 POSITION COMMUNE SUR L’AVANT-PROJET DE NOUVELLE CONSTITUTION

 Octobre 2022

  • CONTEXTE ET JUSTIFICATIONS

Depuis août 2020, le Mali connait une période de Transition politique. Cette situation, qui résulte des graves crises sociopolitique et sécuritaire que traverse notre pays depuis 2012, a conduit les plus hautes autorités politiques à initier un vaste programme de réformes en vue de la refondation de l’Etat. Ce processus a conduit, à la fin du mois de juin 2022, à la mise en place d’une Commission chargée de rédiger une nouvelle Constitution, Cette commission, conformément à sa mission, a rendu le 12 octobre 2022 au Président de la Transition, Chef de l’Etat l’avant-projet de nouvelle Constitution qui a résulté de ses réflexions.

L’idée de doter le Mali d’une nouvelle Constitution se justifie par les limites que la loi fondamentale du 25 février 1992 a montrées. Elle rentre, également, dans le cadre général des réformes entamées et indispensables à la refondation de l’Etat par la conception d’une politique institutionnelle courageuse et ambitieuse. Elle concerne l’ensemble des secteurs de la vie publique y compris la justice, qui est l’un des piliers indiscutables de la République.

Le rapport rendu public se prononce sur le Pouvoir Judiciaire. Il propose des changements voire une véritable défiguration de l’institution judiciaire dans notre pays. Cette situation impose une réaction du monde judiciaire à travers les organisations professionnelles, celles-ci étant investies de la mission de défense des intérêts matériels et moraux de leurs militants ainsi que de l’institution judiciaire.

Le présent document détermine la position du Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) et du Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA) sur ledit avant-projet de Constitution. Il s’articule, après la détermination de son contexte et de ses justifications (I) en trois points essentiels et successifs. Ainsi sera-t-il, d’abord, dressé l’inventaire des réformes proposées (II), ensuite, formulées les observations du SAM et du SYLIMA (III) et, enfin, les recommandations des deux organisations syndicales (IV).

II- LES REFORMES PROPOSEES AU TITRE DU POUVOIR JUDICIAIRE

L’avant-projet de Constitution proposé annonce, au compte du Pouvoir Judiciaire, les réformes suivantes :

  1. L’ouverture du Conseil Supérieur de la Magistrature, pour moitié, à des non magistrats ;
  2. La possibilité pour les citoyens de saisir directement le Conseil Supérieur de Magistrature ;
  3. Le retrait à la magistrature d’un statut autonome ;
  4. L’affirmation de l’indépendance au compte des seuls juges à l’exclusion, semble-t-il, des magistrats du parquet ;
  5. Le souhait de privation du parquet du pouvoir de détention (article 6 in fine de l’avant-projet de Constitution);
  6. La consécration constitutionnelle de la rédaction des décisions de justice ;
  7. La réduction, à deux, du nombre de magistrats que le Conseil Supérieur de la Magistrature doit envoyer à la Cour Constitutionnelle ;
  8. L’annulation souhaitée par la Cour constitutionnelle en cas de réformation des résultats provisoires de nature à changer la donne s’agissant de l’ordre d’arrivée des candidats (art. 157) ;

III- LES OBSERVATIONS

Tout d’abord, le SAM et le SYLIMA font observer à la Commission de rédaction de la nouvelle, à l’opinion nationale et internationale que la tendance actuelle dans les sociétés modernes est au renforcement du Pouvoir Judiciaire qui demeure le contrepouvoir le plus crédible pour assurer l’équilibrage dans l’exercice du pouvoir d’Etat. Cela passe, sous d’autres cieux, par le retrait du Président de la République et du Ministre de la Justice de la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) ou, encore, par la rupture du lien de subordination du Ministère Public (organe véritablement et exclusivement judiciaire) au Ministre de la Justice, Garde des Sceaux (membre éminent du Pouvoir Exécutif). Cela passe, en outre, par le détachement total de la police judiciaire du Ministère de la Sécurité pour la placer, sur le plan fonctionnel, sous l’autorité exclusive du Procureur de la République et, sur le plan organique, sous l’autorité du Garde des Sceaux.

Ensuite, ils font savoir que toute velléité d’affaiblir l’institution judiciaire participe de la liquidation des acquis démocratiques dans notre pays. Cela sape le caractère républicain de l’Etat, menace dangereusement la préservation et la sauvegarde des droits et libertés, surtout des citoyens, dont la justice est garante, et compromet la séparation des pouvoirs en ce qu’elle renforce la domination du Pouvoir Exécutif sur l’institution judiciaire.

Également, les syndicats de magistrats regrettent que les réformes proposées annoncent un grave recul de l’Etat de droit, au Mali, en ce qu’elles fragiliseraient délibérément et inopportunément le Pouvoir judiciaire par l’aggravation de son inféodation. Est-il besoin de rappeler que l’effritement de la gouvernance, sous la troisième République, est essentiellement tributaire de la prédominance de l’Exécutif sur les autres Pouvoirs et surtout par la caporalisation de la Justice par le Gouvernement ? A défaut de renforcer davantage le Pouvoir Judiciaire, le SAM et le SYLIMA estiment que le maintien du statuquo éviterait une nouvelle crise dont notre pays n’a nullement besoin, en ces moments particulièrement graves où tous doivent œuvrer pour le maintien d’un climat d’apaisement et de confiance indispensable à l’aboutissement sans heurt du processus enclenché.

Enfin, le SAM et le SYLIMA trouvent étonnantes les mesures annoncées, à un moment où il s’agit curieusement de corriger les erreurs du passé. Ils ne se reconnaissent guère dans cette entreprise annoncée de liquidation des acquis démocratiques dans notre pays. Ils attirent particulièrement l’attention de la Commission chargée de la rédaction de la nouvelle Constitution sur leurs conséquences négatives certaines, et l’invitent à épargner à notre pays d’être la risée du monde par une réforme constitutionnelle rétrograde.

IV LES RECOMMANDATIONS

Le syndicat Autonome de la Magistrature et le Syndicat Libre de la Magistrature s’étonne des nombreuses confusions enregistrées dans l’avant-projet de Constitutions étonnent du fait, essentiellement, du mépris affiché pour les techniques d’édiction de la norme constitutionnelle. Ces techniques diffèrent de celles législatives. Ainsi, le SAM et le SYLIMA recommandent :

  1. Que des mesures relevant du seul domaine des lois (organiques et ordinaires) ne soient pas consacrées par la Constitution dont la rigidité pourrait exposer notre pays à de nouvelles instabilités institutionnelles certaines ;
  2. Que l’article 64 de l’avant-projet de Constitution attribuant la présidence du Conseil Supérieur de la Magistrature au Président de la République sorte du Titre 111 consacré au Pouvoir Exécutif et soit logé dans le Titre V dédié au Pouvoir judiciaire ; (Si l’Assemblée estime nécessaire le maintien du statu quo, à savoir le maintien du Président de la République et du Garde des Sceaux à la tête du CSM);
  3. L’affirmation, de façon non équivoque, du caractère autonome du statut de la Magistrature dans la nouvelle Constitution ;
  4. Que l’article 133 relatif à la rédaction des décisions de justice soit biffé de la Constitution, les textes législatifs et réglementaires prenant déjà suffisamment en charge cette question. (Le CSM et le département de la justice doivent simplement se donner les moyens pour leur mise en œuvre);
  5. Que le terme “juges” soit remplacé par celui de “magistrat” dans l’article 134 ; (En effet, tous les magistrats sont indépendants, même si le Parquet, en l’état, bénéficie d’une indépendance relative);
  6. Que l’article 138 de l’Avant-projet de Constitution soit biffé et qu’il soit laissé à la loi organique le soin de déterminer les personnes pouvant saisir le CSM ;
  7. Que l’article 139 de l’Avant-projet de Constitution, lui aussi, soit biffé et que la loi organique détermine les membres devant siéger au CSM ainsi que leur qualité ; (Le CSM est déjà ouvert au non magistrats « le Président de la République, le Ministre de la Justice, le Directeur national de la Fonction Publique, le Secrétaire Général du Gouvernement ainsi que les membres de droit qui peuvent ne pas être des magistrats ». Ces derniers pourront simplement être remplacés dans la loi organique par des personnalités extérieures au monde judiciaire);
  8. Que la réformation des résultats, par la Cour constitutionnelle, ne puisse être une cause d’annulation des résultats en cas d’interversion des tendances (il est à éviter, à notre pays, un cycle infernal d’élections, d’une part, et, de l’autre, que de telles dispositions ne finissent par devenir un fardeau moral pour le juge constitutionnel pour l’amener à s’abstenir de sanctionner certaines dérives avérées. Le coût de l’organisation d’un scrutin est, effet, non négligeable).

Bamako, le 27 octobre 2022

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