L’opposant Succès Masra a requis auprès du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) l’ouverture d’une enquête au Tchad sur des faits présumés de crimes contre l’humanité commis lors de la répression de la manifestation du 20 octobre et lors des jours qui suivirent. Selon nos informations, le leader du parti Les Transformateurs a mandaté à cet effet les avocats parisiens William Bourdon et Vincent Brengarth, qui ont transmis sa requête mercredi 9 novembre à La Haye.
Dans le document d’une trentaine de pages envoyé à la CPI et que Le Monde a pu consulter, ses conseils incriminent en premier lieu le président de transition, Mahamat Déby, considéré comme le « donneur d’ordres » de ces « attaques généralisées et systématiques » consécutives à son maintien au pouvoir pour deux ans et à l’opportunité qui lui a été offerte de pouvoir concourir à la prochaine élection. Sont également visés le ministre de la sécurité, Idriss Dokony Adiker, et les généraux Moussa Haroun Tirgo, directeur général de la police, Ahmat Dary, à la tête des renseignements généraux, et Taher Erda Taïro, patron de la garde présidentielle.
Le 20 octobre au soir, le premier ministre avait déploré « une cinquantaine de morts » et « près de 300 blessés » sur l’ensemble du pays. Lui-même issu des rangs de l’opposition, Saleh Kebzabo avait alors fustigé « la soif de pouvoir de Succès Masra » comme étant à l’origine de cette tentative d’« insurrection populaire armée ». Mais selon ce dernier, qui rejette toute la responsabilité de ces violences sur le pouvoir en place, le bilan serait bien plus lourd : « Il y a eu plus de 200 personnes tuées et 184 sont portées disparues, selon notre décompte. Sur les 27 membres de mon cabinet qui ont été arrêtés le 21 octobre, il n’en reste que quatre en vie », prétend Succès Masra depuis le Cameroun, où il dit avoir trouvé refuge le 1er novembre.
« Créer les conditions d’une guerre civile »
Il dénonce également les conditions de détention infligées aux plus de 2 000 personnes arrêtées pendant et après les manifestations et dont la moitié ont été transférées à la prison – de sinistre réputation – de Koro Toro, selon l’Organisation mondiale contre la torture.
« Le nombre de personnes tuées est déjà un motif suffisant pour saisir la CPI, mais 90 % des victimes, comme en atteste leur patronyme, viennent d’une seule communauté, les Sara, qui représente 30 % de la population et à laquelle j’appartiens. J’en déduis que le pouvoir en place a la volonté de créer les conditions d’une guerre civile pour imposer son plan de succession dynastique au profit d’une branche clanique de l’armée », assène le leader des Transformateurs, qui a sollicité la CPI en son nom propre et en celui de son parti : « La répression d’octobre n’a été que la suite logique des violences qui ont commencé il y a dix-huit mois [avec la mort, le 27 avril 2021, de 17 manifestants protestant contre la transmission du pouvoir d’Idriss Déby, tué au combat, à son fils] et n’ont entraîné aucune action judiciaire. »