Le pays d’Afrique de l’Ouest est la dernière étape de la mission « Microbiomes », qui étudie les micro-organismes et leur sensibilité à la pollution et au réchauffement climatique.
Toutes voiles dehors malgré l’orage qui gronde, le bateau-laboratoire de la Fondation Tara Océan sort du port de Dakar. Après le Chili, l’Argentine et le Brésil, la goélette scientifique est passée par l’Antarctique pour ensuite remonter le long de la côte ouest-africaine depuis Le Cap, en Afrique du Sud. Le Sénégal est la dernière étape de la mission « Microbiomes », commencée en décembre 2020 pour étudier les micro-organismes de l’océan et leur sensibilité à la pollution et au réchauffement climatique dans l’Atlantique Sud.
Des milliards de virus et de bactéries, des millions de protistes et de phytoplanctons prospèrent dans un litre d’eau. Tout un univers invisible qui fait de l’océan un milieu vivant, à la base de l’alimentation de la faune marine, du captage du carbone et de la production d’oxygène. « Le microbiome humain nous assure un état de santé correct, mais peut susciter des problèmes quand il est déséquilibré. C’est exactement la même chose pour le microbiome océanique », explique le biologiste Chris Bowler, l’un des deux directeurs scientifiques de l’expédition.
Sur le pont arrière du voilier gît un filet aux mailles très fines qui a trempé pendant deux semaines dans les eaux sénégalaises pour collecter le plancton. Au cours des cinq mois dans les eaux africaines, plus de 10 000 échantillons ont été récoltés (sur les 40 000 prélevés pendant l’ensemble de la mission) entre zéro et mille mètres de profondeur. Certains, stockés dans des tanks d’azote liquide, seront débarqués en France mi-octobre, à la fin de la mission. En tout, près de 200 scientifiques répartis dans treize pays participent au programme.
Après la Gambie, la Casamance
« A partir des données collectées, nous espérons comprendre la biodiversité et l’évolution de ce microbiome marin et donc prédire ce qui va se passer dans les années à venir, alors que l’océan se réchauffe », souligne Romain Troublé, directeur de la Fondation Tara Océan. Ces études, parce qu’elles concernent les premiers maillons de la chaîne alimentaire, sont vitales « pour pouvoir évaluer les stocks de poissons et donc ajuster les politiques de quotas de pêche, afin qu’ils soient soutenables dans l’avenir », ajoute-t-il.
Ces études sont vitales « pour ajuster les politiques de quotas de pêche », explique Romain Troublé, de la Fondation Tara Océan
S’il est trop tôt pour tirer un bilan scientifique, les chercheurs ont commencé à faire des observations à partir des eaux ouest-africaines, où se trouvent deux des trois principales zones d’« upwelling » au monde : au large de la Namibie et de l’Afrique du Sud, puis du Sénégal, des courants font remonter à la surface de l’eau froide riche en nutriments, attirant de nombreux poissons. « Nous y avons observé beaucoup de biomasse et donc plus de poissons et de mammifères qu’au large du Brésil, où l’océan est plus pauvre en plancton », prend pour exemple Samuel Chaffron, chercheur au CNRS et membre de l’expédition.
A l’embouchure des grands fleuves, des nutriments se dispersent en larges panaches dans l’océan, mais les eaux charrient aussi quantité de pollution plastique. Autant d’éléments qui influencent le microbiome et donc la concentration de nourriture pour les animaux marins. « Nous analysons des échantillons d’eau à différents niveaux du fleuve pour trouver des particules de micro ou nano-plastique, afin de comprendre leur impact sur le microbiome », décrit Samuel Chaffron. Après le fleuve Gambie, l’équipe scientifique va remonter le fleuve Casamance jusqu’au 19 septembre – faute de pouvoir aller sur le fleuve Sénégal, dont l’embouchure est bloquée par un banc de sable.
La mission a aussi dû renoncer à étudier le fleuve Congo et se contenter de faire des prélèvements au large de l’embouchure, au niveau de la zone internationale. La raison de cet échec ? « Nous n’avons pas eu de refus, mais pas de soutien non plus », commente Romain Troublé, sans livrer plus de détails. Car pour faire des prélèvements dans les eaux territoriales, la mission doit obtenir une autorisation du pays hôte. « Nous devions faire comprendre notre démarche à des Etats, comme l’Angola, qui ne sont pas forcément portés sur l’environnement », poursuit le directeur de la fondation.
« Nous voulons rendre visible le microbiome »
D’où l’aspect primordial de la sensibilisation qui a été faite à chacune des six escales africaines, en Afrique du Sud, en Namibie, en Angola, au Congo-Brazzaville, en Gambie et au Sénégal. Pendant deux jours, le grand public et des écoliers ont ainsi pu visiter le pont de la goélette au port de Dakar. Sans compter les expositions, tables rondes et diffusions de documentaires qui ont été organisées avec les associations environnementales locales pour sensibiliser sur le rôle essentiel de l’océan. « Nous voulons rendre visible le microbiome, qu’on ne voit pas à l’œil nu, afin que les populations prennent conscience de l’importance de le protéger dans un contexte de réchauffement climatique et de pollution des océans », explique Myriam Thomas, directrice du pôle culture et sensibilisation de la Fondation Tara Océan.
A chaque étape, des scientifiques locaux se sont aussi succédé à bord du voilier, comme Ange Bouramanding Diedhiou, qui travaille à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), à Dakar. « J’ai appris des méthodes pointues de prélèvement et de filtrage que je serai peut-être amené à utiliser dans l’avenir », note le jeune homme, qui a prêté main-forte dans les trois laboratoires du bateau remplis de machines, de tubes et de tuyaux. Pourquoi pas poursuivre le travail sur le fleuve Casamance ? « Sur la pollution, les données manquent. Ça pourrait faire un futur sujet de thèse », confie le chercheur.
La mission a justement l’ambition de favoriser les initiatives locales. « Nous espérons faire du Sénégal un pôle de recherche pour l’Afrique de l’Ouest et lancer un nouveau projet de coopération avec le Fonds français pour l’environnement mondial afin que des chercheurs sénégalais perfectionnent les modèles de quotas de pêche à partir de l’étude du microbiome », révèle Romain Troublé. Un enjeu de taille alors que certains Etats critiquent les missions des pays occidentaux qui viennent étudier la biodiversité locale puis repartent sans partager leurs connaissances.
« Nous avons organisé des formations à l’Université du Cap et en Angola, ainsi qu’un colloque pour le jeune public », répond l’océanographe et physicien Daniele Iudicone, l’autre directeur scientifique de la mission « Microbiomes ». Afin que le partage de connaissances soit fait à tous les niveaux.