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Au Sahel, les civils sont pris au piège entre les groupes djihadistes et les juntes militaires au pouvoir

2023 est déjà l’année la plus mortelle pour les civils au Mali et au Burkina Faso. Un bilan chiffré qui démontre une détérioration générale de la situation dans ces pays.

De pire en pire”. Le constat dressé par un travailleur humanitaire présent depuis près de dix ans au Burkina Faso est sans appel. Il rejoint les derniers rapports diffusés par l’ONG Human Rights Watch qui épinglent la croissance soutenue des attaques et des meurtres de civils dans ce pays mais aussi au Mali voisin. Deux pays qui ont été marqués par des coups d’État en 2021 à Bamako (après un premier coup de force en 2020) et en 2022 à Ouagadougou.

Les juntes militaires qui se sont installées au pouvoir dans ces deux pays ont justifié leur action par l’incapacité des autorités civiles de mettre fin aux violences terroristes et interethniques, or ces violences n’ont jamais été aussi nombreuses que cette année”, explique un activiste du mouvement Balai citoyen de Ouagadougou, qui enchaîne : “c’est un échec total dont les premières victimes sont une fois de plus les citoyens ordinaires de nos régions. Ces militaires sont incapables de gérer le pays et incapables de mettre fin aux agissements des djihadistes qui prospèrent dans des régions, de plus en plus vastes, complètement laissées à l’abandon par le pouvoir”. Un constat confirmé dans la dernière publication de Human Rights Watch qui explique que “les groupes djihadistes ont multiplié depuis janvier 2023 les meurtres, les viols et les pillages à grande échelle sur les civils dans le nord-est du Mali”.

Des centaines de morts

Sur le terrain, au Mali, la situation est relativement figée dans le face-à-face entre les groupes djihadistes de l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et le Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), lié à Al-Qaïda. Les deux mouvements cherchent à contrôler les voies d’approvisionnement et à accroître leur influence mais depuis de longues semaines, à part quelques escarmouches, les positions paraissent assez stables. Les vraies victimes sont une fois de plus les populations civiles prises en otage ou instrumentalisées par ces hommes en armes.

Des groupes armés islamistes attaquent brutalement les civils et contribuent à alimenter une urgence humanitaire de grande ampleur”, a expliqué il y a quelques jours Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. L’ONG affirme par ailleurs avoir documenté huit attaques sur les six premiers mois de l’année dans le nord-est du pays qui ont fait “des centaines de morts et poussé des milliers de civils à fuir la région.” Elle apporte aussi des témoignages recueillis par ses enquêteurs qui décrivent des combattants armés de “fusils d’assaut”, de “lance-grenades”, et habillés en tenues civiles ou treillis avec des turbans identifiables. Ils parlent plusieurs langues locales (le tamashek, le fulfulde, le songhaï et l’haoussa), ainsi que l’arabe, et arborent parfois le drapeau de l’État islamique.

Utilisation des tensions ethniques

Dans cette région du Mali, les chercheurs de différents instituts et groupes de recherche pointent une évolution dans la nature des conflits locaux. “Avant, les combats étaient interethniques, aujourd’hui, on constate une évolution avec des affrontements essentiellement entre les Peuls qui ont rejoint l’État islamique et ceux qui ont fait allégeance au mouvement proche d’Al-Qaïda”, explique un de ces chercheurs. Les djihadistes démontrent ainsi qu’ils ont compris qu’ils peuvent s’appuyer sur les dissensions sociales qui existent au sein même des groupes ethniques pour asseoir leur pouvoir.

Ils instrumentalisent aussi des dissensions, parfois très anciennes, entre les notables et les laissés-pour-compte”, expliquait dans une précédente interview à La Libre, Luis Martinez, directeur de recherche à Science-Po-CERI, qui a notamment été observateur pour l’Union européenne en Afrique subsaharienne et qui vient signer un remarquable ouvrage sur la région (”L’Afrique, le prochain califat”, Ed. Tallandier). “Ce sont généralement des jeunes d’origine sociale défavorisée qui sont ainsi récupérés. Grâce à leur intégration dans ces mouvements, ils peuvent soudainement renverser cet ordre établi parfois depuis de très, très nombreuses années, voire sur plusieurs générations”. Pour les djihadistes, ces recrutements se font à bas coût. “Il suffit d’une arme, d’une moto pour capter ces jeunes qui, du coup, vont acquérir une nouvelle importance dans leur groupe. Il n’y a aucune idéologie, c’est une manière de monter de quelques échelons dans la hiérarchie sociale. C’est aussi une forme de revanche pour eux et un nouvel horizon qui se dessine”, poursuit Luis Martinez.

Une réponse militaire inadéquate

Les mouvements djihadistes, eux, non seulement recrutent des combattants mais déstabilisent du même coup un ordre social établi, ce qui facilite leur mainmise sur les villages et des régions entières.

Dans son ouvrage, qui s’intéresse à toute la région du Sahel, Luis Martinez explique que des enquêtes auprès des jeunes recrues de ces mouvements notamment dans le bassin du lac Tchad confirment “que les jeunes qui s’enrôlent ne le font pas pour des raisons religieuses mais pour des motifs matériels ou pour se protéger face à la répression”.

Les djihadistes se sont installés durablement dans cette région du Sahel et une solution militaire, très compliquée à envisager dans un tel environnement géographique, ne suffira pas. Les réponses esquissées jusqu’ici ont toutes échoué et les juntes au pouvoir semblent aujourd’hui bien démunies face à ces défis.

Source : lalibre.be

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