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Au Mali, les autorités enquêtent sur des soupçons d’« exécutions sommaires » par l’Armée

Quatorze personnes ont été tuées début avril dans le centre du pays. Une nouvelle fois, les forces de sécurité maliennes sont suspectées de bavure. Par Morgane Le Cam (Bamako, correspondance) L’affaire commence le 6 avril. Dans un tweet, les forces armées maliennes annoncent que « suite à une présumée tentative d‘évasion, quatorze suspects terroristes ont trouvé la mort (…) à Dioura », dans le centre du pays.

Chez certains observateurs, le doute ne tarde pas à se manifester. S’agit-il d’une « tentative de la part de l’armée malienne de couvrir des actes de barbarie extrajudiciaires », comme s’en inquiète l’association peule Kisal sur sa page Facebook ? Deux jours plus tard, Tiéna Coulibaly, le ministre de la défense, précise que « des suspects terroristes », arrêtés « en possession d’armes de guerre (…) ont trouvé la mort ». Pour « faire toute la lumière sur cet incident » et « traduire les éventuels auteurs en justice », il annonce l’ouverture d’une enquête par le parquet militaire. L’annonce est immédiatement saluée par la Mission de stabilisation des Nations unies pour le Mali (Minusma). Jeudi 12 avril, Guillaume Ngefa, directeur de la division des droits de l’homme de la Minusma, informe que la mission de stabilisation des Nations unies au Mali est en train d’enquêter sur ces allégations touchant Dioura, mais pas seulement. Ces investigations, précise-t-il, portent sur des « allégations d’exécutions sommaires d’au moins 27 civils, et des cas de disparitions forcées, dans le cadre des opérations antiterroristes conduites par les Forces de défense et de sécurité maliennes ». Soupçons de fosses communes Quelques heures plus tard, le ministre de la défense réagit, à la sortie du conseil des ministres. Prudent, il qualifie l’événement de Dioura comme « un incident qui a conduit à la mort d’hommes ». « Ce que nous savons, c’est qu’il y a eu des morts. Combien ? Comment ont-ils été tués ? Par qui ? Rien de tout cela n’est précis », explique M. Coulibaly, avant d’insister sur la nécessité de poursuivrel’enquête pour que les crimes soient punis, si crimes il y a eu : « Qu’il y ait de temps en temps un militaire qui fasse un acte totalement odieux, je ne dis pas que c’est impossible. Cela arrive partout. Est-ce ce qu’il s’est passé au Mali ? A Dioura ? L’enquête le dira. » Ce n’est pas la première fois que l’armée malienne est soupçonnée de graves exactions. Le 8 septembre 2017, Human Rights Watch (HRW) a même publié un rapport au titre évocateur : « Mali, les opérations militaires donnent lieu à des abus », où il était question de « meurtres extrajudiciaires », « disparitions forcées », « actes de torture », « arrestations arbitraires » « à l’encontre d’hommes accusés de soutenir les groupes armés islamistes ». L’organisation de défense des droits de l’homme y affirme avoir documenté depuis fin 2016 « 27 cas de disparitions forcées » ainsi que « l’existence de trois fosses communes qui auraient contenu les cadavres d’au moins 14 hommes exécutés après avoir été détenus depuis décembre 2017 par des militaires maliens. » Selon HRW, ces trois fosses ont été découvertes dans la région de Mopti, au centre du Mali. Jeudi, Kadidia Sangaré Coulibaly, la ministre des droits de l’homme, a confirmé qu’une enquête avait été ouverte, suite à une mission d’évaluation effectuée sur place par une délégation gouvernementale à laquelle elle a elle-même participé : « Nous n’avons pas pu confirmer ces allégations. […] Nous n’avons pas vu de preuves. […] Dans ces fosses, pour eux [les enquêteurs], peut-être que ce sont des militaires. Nous allons vérifier et continuer les enquêtes. » Au moins 68 morts suspectes depuis fin 2016 Selon le décompte du Monde Afrique, depuis fin 2016, les allégations formulées à l’encontre des forces armées maliennes concernent au moins 68 morts ; des personnes qui auraient été tuées après avoir été arrêtées. Les autorités, qui ont réaffirmé par la voix de la ministre des droits de l’homme leur attachement à « l’Etat de droit » et leur engagement à « enquêter sur toutes les allégations de violations des droits de l’homme », ont ouvert cinq enquêtes. Une concernant l’existence d’une présumée fosse commune à Sokolo, dans la région de Ségou, au centre du pays, a été bouclée. Le 27 février, le gouvernement avait annoncé avoir déterminé que les sept hommes dont les corps ont été découverts à Sokolo « avaient été tués lors des combats dans la région ». Les quatre autres enquêtes se poursuivent. Dans son dernier rapport trimestriel sur la situation au Mali daté du 29 mars, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a souligné que « les opérations de lutte contre le terrorisme ont continué de susciter de graves préoccupations du point de vue des droits de l’homme ». Selon lui, depuis le début de l’année, « plus de la moitié des 80 personnes arrêtées par les autorités maliennes (…) pour des faits en lien avec le terrorisme ont subi des violations des droits de l’homme : 15 ont été victimes d’exécution extrajudiciaire ou de disparition forcée, 14 de torture ou de mauvais traitements et 15 de détention illégale. » Ces affirmations interviennent dans un contexte de recrudescence des attaques perpétrées par les groupes djihadistes – 63 depuis janvier 2018, selon le même rapport. Des assauts qui ont ciblé en premier lieu les forces maliennes. Comparé au dernier trimestre de 2017, le nombre de soldats maliens tués a doublé depuis janvier 2018, passant de 23 à 45. « Le gros de nos troupes, là-bas sur le terrain, sont des gens qui partent avec enthousiasme, qui vont se battre au prix de leur vie pour sauver leur pays, a déclaré le ministre de la défense, jeudi. Nous avons le devoir de soutenir ces gens-là. Et le premier soutien, c’est d’abord d’éviter de les décourager. […] Il faut arrêter de culpabiliser l’armée du Mali. Elle fait du bon travail. »

Le Monde

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