Les partisans de Soumaïla Cissé ont marché samedi pour protester contre les résultats provisoires, plaçant le président sortant Ibrahim Boubacar Keïta largement en tête.
Tout était prêt à 8 heures du matin, samedi 18 août. La place de la Liberté, départ habituel des manifestations de Bamako, était bouclée par des dizaines de policiers et militaires en tenue antiémeute. Les vuvuzelas circulent, 500 F CFA l’unité. Des champs partisans sont entonnés. Mais seules quelques centaines de militants ont investi la place. « La prise de la Bastille a commencé avec sept personnes, et après, elle a été prise ! Ce n’est pas la foule qui compte. Le 4 septembre, Soumaïla Cissé va être investi président. Nous sommes déterminés et nous allons nous battre », assure Ibrahima Adema Coulibaly.
Comme ce chauffeur de poids lourd, les militants présents rejettent les résultats provisoires annoncés par le ministère de l’administration territoriale, le 16 août. Avec 67,17 % de voix contre seulement 32,83 % pour Soumaïla Cissé, le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a été largement réélu. Une « supercherie, mascarade, parodie et mensonges », a dénoncé M. Cissé le 17 août. « Si on exclut les résultats issus des bourrages d’urnes avérés dans de nombreux bureaux de vote (…) ainsi que les résultats tout simplement fantaisistes dans de très nombreuses localités du nord du pays, je sors vainqueur de l’élection présidentielle avec 51,75 % des voix contre 48,25 % à notre adversaire », avait-t-il déclaré.
Si des irrégularités ont été constatées par certaines missions d’observation électorale, d’aucuns doutent que cela ait pu inverser la tendance entre les deux candidats, qui ont plus de 34 points d’écart au second tour.
Quelques milliers de manifestants
A 10 h 30, Soumaïla Cissé arrive place de la liberté, sous les acclamations de ses partisans. Les rangs ont grossi. Quelques milliers de personnes commencent à marcher, calmement, en direction de la bourse du travail. La mobilisation est inférieure à celle constatée lors de la manifestation du 8 juin dernier, elle aussi organisée par l’Union pour la République et la démocratie (URD), le parti de M. Cissé. L’opposition avait alors marché pour réclamer une élection présidentielle transparente. La manifestation de samedi n’est pas non plus comparable avec la marée humaine soulevée par cette même opposition l’an dernier, lors des marches contre la révision constitutionnelle.
« Il y a moins de monde car le gouvernement travaille à démobiliser les troupes avec des menaces par-ci par-là. Beaucoup de gens voulaient venir mais ils ont eu peur car on leur avait dit qu’il allait y avoir des troubles », souligne Diakité Kadidja Fofana. Derrière la directrice adjointe de la campagne de M. Cissé, les manifestants scandent « IBK, voleur » à tout va. « IBK, président de l’incompétence et du vol », hurle l’un d’entre eux. « Il ne faut pas dire qu’IBK est président », le corrige son voisin avant de le conseiller : « Crie plutôt que Soumaïla Cissé est président ».
Derrière le cordon de sécurité formé par les policiers, les riverains observent la foule qui passe. Certains encouragent les marcheurs, d’autres affichent un visage inquiet. « On veut la paix ! », supplie un passant, les mains en l’air, avant de s’agacer : « A chaque fois, c’est pareil. Les hommes politiques prennent nos enfants pour les faire sortir pour ces conneries. » « Elections = turbulences », lance un autre, lorsque la foule passe devant sa concession. « A bas la communauté internationale, à bas la France », entend-on à plusieurs reprises.
« Nous n’accepterons pas qu’on nous vole notre victoire »
A Bamako, les félicitations adressées à IBK par Emmanuel Macron sont restées en travers de la gorge de beaucoup. Les partisans de Soumi reprochent au président français de n’avoir pas attendu la proclamation des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle, prévue le 20 août, pour se prononcer. « On s’attendait à ce que la France joue l’arbitre, comme il n’y a pas de justice dans notre pays. Vous les Français, vous nous avez imposé la démocratie et maintenant vous ne nous aidez pas à la garder, c’est une honte ! », estime Abass Diallo, un militant de l’URD.
Devant la bourse du travail, Soumi et ses soutiens montent sur scène. « Ça ne sert plus à rien d’aller aux élections, ni d’être candidat. Quel que soit ce que vous allez faire, voter, ils vont bourrer les urnes… Ce n’est pas un système démocratique », dénonce Choguel Kokala Maïga, un des candidats malheureux de cette présidentielle. « Peut-on constituer une démocratie sur le vol ? Non ! », enchaîne Soumaïla Cissé. Nous n’accepterons pas qu’on nous vole notre victoire, votre victoire. (…) Si vous aimez votre pays, il faut résister. Restons mobilisés », poursuit-il.
Mais le calendrier ne joue pas en faveur du chef de file de l’opposition. Mardi 21 août, les Maliens fêteront l’Aïd-el-Kébir en grande pompe. « Après la fête, nous allons nous retrouver et nous allons en découdre avec ces mauvais agissements », promet Soumi en clôturant son discours. En attendant, M. Cissé a introduit plusieurs recours auprès de la Cour constitutionnelle. Lors du premier tour, les juges les avaient tous rejetés.
Par Morgane Le Cam (Bamako, correspondance)
LE MONDE Le 18.08.2018 à 17h54